Claironnée par les membres de la commission des Finances et du Budget une semaine plus tôt, l’élaboration d’une mouture avancée de proposition de loi instaurant un contrôle formel des capitaux a commencé à être examinée mardi par la commission de l’Administration et de la Justice et devrait encore passer par les commissions parlementaires, avant d’être éventuellement soumise au vote du Parlement.
Le texte a pour principaux objectifs l’amendement, l’uniformisation et, surtout, la légalisation des restrictions bancaires, par exemple sur les retraits et les transferts à l’étranger, que les déposants libanais subissent depuis l’automne 2019, en plein contexte de crise. Une crise marquée, entre autres, par un assèchement des liquidités en devises dans l’économie, compromettant la solvabilité du système, également pénalisé par le défaut de l’État sur le remboursement des eurobonds en mars 2020 et par l’exposition des banques aux pertes de la Banque du Liban (BDL). Si quelques-uns de ses contours ont été évoqués par les parlementaires, l’ensemble des dispositions ont vocation à être modifiées dans la mesure où, de son propre aveu, la commission des Finances a élaboré le texte sans obtenir toutes les données chiffrées demandées aux banques.
Une lacune qui est loin d’être le pire défaut du texte, selon plusieurs experts contactés par L’Orient-Le Jour, à l’instar de Mike Azar. « Il y a beaucoup de commentaires à faire, que ce soit en bien ou en mal (…) Ce que l’on peut cependant dire, c’est que le Fonds monétaire international, qui possède une véritable connaissance des répercussions d’une telle loi sur l’ensemble des volets d’une économie, avait déjà émis des remarques et des recommandations substantielles en étudiant un précédent texte préparé en 2020 », explique l’expert financier. L’une de ces remarques consistait à appeler le Liban à mettre un terme au système de taux de change multiple actuellement en cours.
Données lacunaires et mauvais timing
« Mais la majorité de ces remarques n’ont pas été répercutées sur la nouvelle mouture, qu’il s’agisse de la pertinence des mesures imposées dans l’optique de limiter ses effets indésirables et de lui permettre d’atteindre l’objectif recherché (à savoir contrôler les entrées et sorties de capitaux pour protéger les secteurs bancaire et financier d’un pays en crise d’une vague de retraits massifs qui pourrait provoquer leur faillite, mais aussi protéger la valeur de la monnaie et garantir la valeur des dépôts) », poursuit-il. Mike Azar souligne de plus le fait que les députés libanais ne sont « pas techniquement formés » pour pouvoir élaborer ce type de dispositif légal, même s’ils ont sollicité les conseils de professionnels qui le sont.
En dehors du fait qu’elle se base sur des données lacunaires pour fixer les différents plafonds et limites des transactions, la proposition de loi arrive beaucoup trop tard. Uniquement fondé sur les chiffres officiels des banques, le montant des dépôts en devises enregistrés dans les établissements libanais a reculé de près de 20 milliards de dollars pour la seule année 2020, en baisse de 12,4 % en glissement annuel. Les baisses sont de 28,3 % pour les dépôts en livres et de 7,4 % pour ceux en devises, qui représentaient alors 80,4 % du total. En juillet 2020, l’ex-directeur général du ministère des Finances Alain Bifani avait affirmé dans la presse que près de 6 milliards de dollars avaient été transférés hors du pays par « des banquiers qui n’autorisent pas aux déposants de retirer 100 dollars », sans transmettre de décompte plus précis. Ceux qui n’ont pas pu bénéficier de ces largesses supposées ont dû, eux, subir une décote très importante de la valeur des montants retirés généralement en livres à un taux inférieur à celui du marché (circulaire n° 151 pour les retraits de “dollars libanais” ou “lollars” bloqués au taux de 3 900 livres pour un dollar).
Le porte-parole du FMI, Gerry Rice, a soigneusement choisi ses mots pour critiquer le timing des députés en déclarant que l’organisation ne voyait pas l’intérêt pour le Liban d’adopter cette loi « maintenant, et surtout sans le soutien de politiques budgétaires, monétaires et de taux de change adaptées ». De fait, un autre des manquements, qui a pour le coup été reconnu il y a une semaine par les députés, est lié au fait que la proposition de loi a été élaborée de manière isolée et ne s’inscrit pas dans un panel plus vaste de réformes visant à assainir les finances du pays, moderniser ses institutions, en renforcer la transparence ou encore restructurer l’économie. L’importance du timing de l’adoption de ce type de loi restreignant la liberté des capitaux est majeure, dans la mesure où elle peut pousser les potentiels investisseurs étrangers à prendre encore plus leur distance avec le pays à un moment où il faudrait pourtant les attirer, comme l’ont souligné à L’Orient-Le Jour plusieurs sources financières et bancaires ces derniers mois.
Problèmes de forme
Bancale sur le fond, la proposition pèche aussi sur le plan purement juridique, souligne pour sa part le président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic), l’avocat fiscaliste Karim Daher. Il souligne d’abord le fait que les plafonds et montants sont directement et précisément fixés par la loi pour chaque type de transaction (sauf pour les limites de catégorie, réservées au conseil central – voir par ailleurs), ce qui veut dire qu’ils ne pourront être modifiés que par le Parlement, faute de disposition prévoyant une autre voie pour le faire. Un malus particulièrement lourd dans un pays qui enchaîne les épisodes de paralysie institutionnelle liée aux sempiternelles tensions politiques et conflits d’intérêts. Cette situation est d’ailleurs à l’origine de l’échec des négociations lancées avec le FMI en mai 2020 ou encore du blocage de la formation du gouvernement depuis août dernier.
Autres problèmes de forme repérés par Me Daher : les exceptions énumérées pour déroger aux restrictions mises en place par la proposition de loi ne sont que vaguement exposées, comme c’est par exemple le cas pour celle liée au paiement des frais de scolarité d’un enfant inscrit dans un établissement à l’étranger et qui est limitée aux inscriptions précédant le 17 octobre 2019, en restant très vague et ambiguë sur celles qui suivent. De plus, bien que la proposition permette aux non-résidents (libanais ou étrangers) de retirer leurs dépôts, ils ne sont pas tous en mesure de se rendre physiquement chaque mois aux guichets des banques libanaises pour effectuer leurs retraits, alors que certains ont placé tous leurs fonds disponibles et économies au Liban. « Les restrictions risquent d’entraîner leur insolvabilité ou leur faillite ou d’autres situations critiques, ce qui est négatif pour la confiance envers le Liban et son secteur bancaire, risquant aussi de ne pas les inciter à investir au pays du Cèdre dans le futur, alors que le pays en a besoin pour se relever », regrette l’avocat fiscaliste.
Le projet de loi ne distingue pas non plus les déposants « normaux » de ceux qui, particuliers ou entreprises, exercent une activité agricole, industrielle ou commerciale. Le fait que la « wahdé » (l’unité) créée par le texte et le conseil central de la BDL soient les deux seules instances désignées pour contrôler l’application du texte et se prononcer de façon discrétionnaire en premier et dernier ressort sur les recours, alors que ce rôle pourrait revenir à la Commission de contrôle des banques ou même aux tribunaux judiciaires normaux garants de la bonne application des lois, est problématique. Le fait que cette loi soit d’ores et déjà programmée pour un an, alors que ce type de dispositif est généralement levé une fois que les conditions macroéconomiques et financières le permettent (en Grèce, le contrôle des capitaux a par exemple été levé au bout de huit ans), pose enfin aussi problème.
Il ne faut pas se faite d'illusions. Tous leurs "plans", "circulaires" et "lois" ne sont faites que pour depouiller encore plus les deposants et proteger les privileges des crapules bancaires et de la canaille politichienne. Rien n'est fortuit.....
20 h 06, le 17 juin 2021