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Lifestyle - Rescapés du 4 août

« Ce quartier était comme un village. C’était ça, le vrai Mar Mikhaël »

C’est l’histoire d’une maison, de familles et de personnes qui s’agrippent à leur passé. Plus de 10 mois après l’apocalypse du 4 août, ces habitants des quartiers les plus touchés de la capitale sont rentrés chez eux en tentant de (sur)vivre et, parfois même, de sourire. Après Nada Jezzini, rencontre avec son voisin de palier, Michel Assaad. 

« Ce quartier était comme un village. 
C’était ça, le vrai Mar Mikhaël »

Michel Assaad et son chihuahua Pepsi, sur sa terrasse où il passe le plus clair de son temps. Photo Carla Henoud

Le 4 août 2020 en fin d’après-midi, Michel Assaad sort avec sa femme faire des courses. « C’est quand nous sommes arrivés à Bourj Hammoud, 20 minutes plus tard, à 18h heures 07, que le monde a basculé », dit-il. Ses deux enfants, Rita et Anthony, n’étaient pas à la maison, mais chez son beau-frère à Saïdoun, un village à l’est de Saïda. Être hors de chez eux, à la rue Pharaon, à quelques encablures du port, les a tous sauvés. Car c’est ici qu’il vit, dans cet ancien immeuble qui, comme dans un dernier souffle, résiste encore aux dégâts de la double explosion. « Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver chez moi, les routes étaient totalement bloquées, se souvient-il. Plus je m’approchais de chez moi, plus j’étais témoin de scènes surréelles. Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai vécu toute la guerre au Liban, ici, à Mar Mikhaël, mais je n’ai jamais rien vu de tel. Tout était soufflé, l’immeuble, la maison, les voitures. Mes affaires étaient éparpillées partout. Heureusement, mes deux chiens Pepsi et Sushi, deux chihuahuas, ont survécu », dit-il encore.


Dans une bâtisse encore endommagée par la double explosion du 4 août, Michel Assaad a réintégré son appartement au rez-de-jardin. Photo Carla Henoud


C’est probablement cette explosion qui a modifié sa perception des choses et qui a eu un peu raison de sa ténacité. Car il fait partie de ces anciens locataires de Beyrouth qui risquent à tout moment de perdre leur maison située dans un immeuble âgé de plus d’un siècle. Au fil des années, il a accumulé des documents, étudié ses droits pour pouvoir rester dans ces lieux où il est né et où il a grandi. Aujourd’hui, il n’est plus attaché à grand-chose. « Avec l’explosion, j’ai réalisé que tout pouvait se perdre en un instant, surtout la vie », dit-il. « Quand on voit autant de dégâts et qu’on réalise qu’on l’a échappé belle, les biens matériels ne comptent plus, tout devient secondaire », ajoute-t-il.

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Sur son balcon jonché d’objets hétéroclites, un rez-de-jardin donnant sur la rue, l’homme retrouve un instant un très léger sourire. Autour de nous, sur sa terrasse, de vieilles chaussures, son nom et numéro de téléphone griffonnés sur un papier collé au mur, « au cas où quelqu’un aurait besoin de moi », un autre avec Beit Michel Assaad ; une statue de la Vierge « qui a perdu sa tête le jour de l’explosion mais que je garde. Elle me protège » ; un Mazar éclairé en permanence et une photo de sainte Rita, patronne des cas désespérés ; une table et des chaises en plastique, des fleurs artificielles, des miettes de sa vie. Le temps d’un café servi en toute amitié, sans oublier le panier de fruits de saison, l’hospitalité de Michel Assaad nous rappelle ce vieux Beyrouth qui disparaît. Né ici, il a grandi, vieilli dans ce bel immeuble à présent défiguré par l’explosion, mais où il continue de dormir toutes les nuits, de peur des voleurs. « Des pans de murs se sont écroulés, les cadres des fenêtres avec leurs barreaux en fer forgé ont sauté. De nombreuses ONG sont venues aider, mais souvent le travail n’a pas été bien fait. Chez moi, les travaux ont été bâclés, les barreaux n’ont même pas été remplacés. Il suffirait donc à un voleur d’enfoncer les volets et de sauter, pour être à l’intérieur », explique-t-il. Là où ce sexagénaire garde précieusement de vieux meubles, notamment les canapés et les armoires de ses parents, qui y ont emménagé il y a plus de 70 ans.


Michel Assaad devant la Vierge décapitée et son « coin prière ». Photo Carla Henoud

Souvenirs d’enfance

Son père tenait une épicerie dans la même rue. Après l’école, Michel venait l’aider et livrait à pied ou à bicyclette leurs courses aux clients. C’est ainsi que, tout jeune, il a appris à connaître chaque recoin du quartier devenu son territoire physique et affectif. « Entre la rue Saint-Michel, la rue d’Arménie et la rue Alexander Fleming, bref, dans tout ce secteur, les choses étaient bien différentes. Il y a dix ans, avec la gentrification, tout a changé. C’était un quartier populaire où tout le monde se connaissait, un peu comme dans un village. Ici, avant l’arrivée des promoteurs immobiliers, l’apparition des restaurants chics et des boutiques de designers, il n’y avait que des ateliers et des artisans de tout genre. Des forgerons, des mécaniciens, des soudeurs, des tauliers, des cordonniers, des menuisiers et des épiciers. C’était ça le vrai Mar Mikhaël. Et puis il y a eu tous ces nouveaux venus qui, à mon sens, n’ont rien à voir avec nous. Les propriétaires des immeubles ont indemnisé les vieux artisans et ce sont d’autres qui ont pris leur place. Les anciens locataires ont été poussés à partir, eux aussi. Ils ont carrément quitté Beyrouth pour s’installer en banlieue et ce sont des tours de verre et des immeubles flambant neufs qui ont remplacé les immeubles traditionnels de Beyrouth », souligne-t-il en jetant un regard désespéré sur tous les buildings alentour.


Une terrasse qui fourmille d’objets et de souvenirs. Photo Carla Henoud

Il égrène ses souvenirs. Encore un peu de café ? « Avant l’explosion, j’aimais rester chez moi, dans mon appartement, dans mon quartier. En été, pas besoin même d’aller à la plage, j’avais un jardin derrière la maison, j‎‎’y installais, depuis la plus tendre enfance de mon fils et de ma fille, une piscine pneumatique. J’y élevais même des poules. Certaines ont survécu à l’explosion », dit-il. « Moi, poursuit-il, en pointant du doigt le parking d’en face, c’est là que je jouais avec mes amis et tous les enfants du quartier. Autrefois, c’était un terrain vague. » C’est là aussi que Michel Assaad a dormi plusieurs nuits après l’explosion du 4 août, recroquevillé dans un des vieux fauteuils de son salon, tentant, avec les moyens du bord, de prévenir autant soit peu les éventuels vols dans le quartier. « Nos meubles et nos affaires étaient à l’extérieur, il n’y avait plus ni murs, ni portes, ni fenêtres. » Aujourd’hui, même si sa maison n’a pas été entièrement restaurée, et que le reste de l’immeuble est dans un état pitoyable, Michel Assaad a réintégré les lieux. Ses enfants et son épouse passent la plupart de leur temps à Saïdoun, en attendant une éventuelle restauration du bâtiment. « Je ne sais pas ce qui va nous arriver. J’ignore si le bâtiment sera réparé, je m’attends à être expulsé. Avec l’explosion, j’ai vu ma maison détruite, mes souvenirs éparpillés. Ma vie, celles de mes enfants et de mon épouse aussi ont été épargnées et c’est tout ce qui compte. Nous n’avons même pas été blessés alors que tous nos voisins ont été touchés dans leur chair », confie-t-il. « J’aimerais tellement rester ici, mais je sais que si on m’oblige à partir je n’aurais aucun autre choix que de le faire. Je suis prêt à vivre à Kobeyyate (Akkar), le village natal de mon père où j’ai rarement mis les pieds. »

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Et comme si sa vie avait été ensevelie sous les décombres de Beyrouth, en tout cas celle d’avant, il est, à 67 ans, prêt à repartir à zéro dans un lieu qu’il ne connaît pas. En s’essayant, même, à tous les métiers possibles, dont celui de chauffeur privé, qu’il pratique en ce moment après avoir été maître-nageur. Mais a-t-il vraiment le choix ? Qui sait, peut-être oubliera-t-il cette douleur lancinante d’avoir tout perdu et (peut-être) trouvera-t-il à nouveau une certaine douceur de vivre.

Comme lui, Charbel Abou Zeid et sa femme Amira, habitants de la rue d’Arménie, elle aussi sévèrement touchée par le cataclysme du 4 août, et que nous retrouverons la semaine prochaine, cherchent des raisons d’espérer.

Le 4 août 2020 en fin d’après-midi, Michel Assaad sort avec sa femme faire des courses. « C’est quand nous sommes arrivés à Bourj Hammoud, 20 minutes plus tard, à 18h heures 07, que le monde a basculé », dit-il. Ses deux enfants, Rita et Anthony, n’étaient pas à la maison, mais chez son beau-frère à Saïdoun, un village à l’est de Saïda. Être hors de chez eux, à...

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