«Les Libanais sont le seul peuple dont jamais le cœur n’a cessé de battre au rythme de la France… » Cette petite phrase du général de Gaulle est souvent reprise à satiété lorsqu’il est question des rapports privilégiés franco-libanais. L’ancien ministre français de la Culture Jack Lang a même fait état dans nos colonnes de « libanophilie qui traverse les générations » en France, mettant en relief « le lien affectif, le lien d’exception » entre les deux pays.
Ce double témoignage prestigieux trouve une confirmation éloquente dans la détermination dont fait preuve le président Emmanuel Macron pour maintenir à flot son initiative visant à paver la voie à une sortie de crise au Liban. Dernière manifestation de cette opiniâtreté, l’annonce par le locataire de l’Élysée de démarches qu’il effectue avec « plusieurs partenaires » de la communauté internationale pour assurer, si le blocage gouvernemental persiste, « un système de financement sous contrainte internationale afin de garantir le maintien des activités essentielles en soutien au peuple libanais ». Ce que le Hezbollah s’efforce de faire dans « ses » régions pour « ses » partisans grâce à l’aide massive iranienne, la France se propose de l’entreprendre à l’échelle nationale à l’intention de tous les Libanais, avec garantie internationale…
Cette démarche française – qui en dit long sur la nouvelle approche suivie par Paris au sujet de la situation au Liban – s’inscrit dans le prolongement de l’aide que la France a décidé d’octroyer directement à l’armée libanaise, sans passer par les « autorités » en place. Le président Macron a manifestement mis le doigt sur la plaie à cet égard. Car il n’est plus acceptable de pratiquer la politique de l’autruche face aux inqualifiables épreuves subies quotidiennement par une population prise en otage de manière perverse par des dirigeants qui ne veulent pas diriger, des responsables qui s’obstinent à se montrer irresponsables, et un Hezbollah dont le souci premier est d’être l’instrument privilégié de la stratégie expansionniste des gardiens de la révolution iranienne, même au prix de l’effondrement du pays. Il n’en a cure…
Dans un tel contexte, l’un des meilleurs moyens qui permettraient aux Libanais de résister dans leur vie quotidienne face à l’emprise croissante de l’Iran à tous les plans est de renflouer, sous l’impulsion de la proposition Macron et grâce à une couverture internationale, les secteurs vitaux les plus élémentaires, notamment dans les domaines de la santé, des soins hospitaliers, de l’électricité, des télécommunications, de l’enseignement privé scolaire et universitaire, etc. L’enjeu est crucial et existentiel : sauvegarder, ou plutôt sauver, ce qui a toujours constitué la spécificité du pays du Cèdre dans cette partie du monde, à savoir l’école privée, l’enseignement universitaire de haut niveau, la place de choix du secteur hospitalier, la communication…
Il y a fort à parier, toutefois, que le parti pro-iranien trouvera le moyen de pousser sur le devant de la scène, de manière ponctuelle et conjoncturelle, une quelconque partie locale qui serait chargée de torpiller d’une façon ou d’une autre la proposition française. Et pour cause : d’une manière générale, toute tentative de redressement, de détente ou de stabilisation, fût-elle timide, émanant d’une puissance occidentale ou même arabe, constitue l’antithèse du projet transnational du Hezbollah, ancré organiquement à Téhéran. Les Libanais endurent une telle situation depuis plus de cinquante ans, pour avoir été durant un demi-siècle sous le joug des diktats palestinien, syrien et maintenant iranien.
Le chef du Quai d’Orsay Jean-Yves Le Drian avait lancé récemment, en substance, à l’adresse des Libanais : « Aidez-nous à vous aider… » Élémentaire, en effet… Dans un contexte marqué par une relance des pourparlers entre l’Iran et la communauté internationale, aussi bien la diaspora libanaise que les résidents sont appelés, plus que jamais, à initier une mobilisation intensive et soigneusement ciblée pour mener, face à l’obstructionnisme du Hezbollah, une résistance active qui se fixerait deux objectifs bien déterminés : d’une part, contribuer massivement à un éventuel fonds de solidarité qui serait placé sous contrôle international pour aider les plus lésés à surmonter la crise ; et d’autre part, faire entendre leurs voix afin qu’un éventuel accord avec l’Iran n’ait pas pour conséquence de livrer le pays aux pasdaran et à leurs suppôts locaux.
Ce dernier point implique impérativement – on ne le répétera jamais suffisamment – que toutes les factions souverainistes sans exception mettent une sourdine à leurs petits calculs partisans et électoraux pour mener, comme en 2005, un même combat transcommunautaire contre le nouveau diktat imposé au pays.
« Aide-toi et le ciel t’aidera… » Dans le contexte présent, donner libre cours aux ego et aux considérations réductrices, quel que soit le prétexte invoqué, revient à faire le jeu de ceux qui tentent de changer l’image du Liban et de remettre en question sa spécificité et sa raison d’être dans une région en pleine mutation.
Merci à Michel Touma de me permettre d'ajouter la citation de Thomas Jefferson, troisième Président des Etats-Unis de 1801 à 1809 : "Tout homme a deux pays : sa patrie et la France".
18 h 40, le 15 juin 2021