Depuis plusieurs semaines, une agitation autour de la ligne éditoriale et des orientations générales de L’Orient-Le Jour secoue les réseaux sociaux, outils qui ont fait leurs preuves en matière d’amplification exagérée des polémiques infondées, de déformation des vérités par la prolifération de slogans réducteurs ou faux et d’étouffement du vrai débat. L’objet de cette effervescence est de répandre l’idée que ce journal a modifié ou est en passe de modifier sa ligne politique et qu’il abandonne les valeurs qu’il défendait depuis des décennies… Il n’en est strictement rien.
Au commencement, il y a bien sûr, ces toutes dernières années, des transformations importantes et rapides dans la marche du journal, dont on peut escompter que lorsqu’elles sont mal comprises, elles nourrissent les craintes d’une mutation profonde au niveau de l’identité de L’OLJ auprès d’une partie non négligeable de son lectorat fidèle. Expliquons-nous : dans un monde où la presse écrite est confrontée depuis une vingtaine d’années à la plus grave crise de son histoire, plusieurs titres ayant disparu ou laissé des plumes dans la tourmente, L’Orient-Le Jour a réussi ce qui est aujourd’hui la garantie de la survie d’un média, quel qu’il soit : la transition numérique. Ce succès est tel qu’il permet à un journal indépendant comme le nôtre non seulement de survivre à l’effondrement de la publicité et de se joindre, chaque jour un peu plus, à la caravane des titres gagnants dans le monde, mais aussi d’échapper à la réalité très dégradée du paysage médiatique dans un Liban qui, du fait de sa gouvernance, poursuit sa descente aux enfers.
En l’espace de quelques années, le nombre des abonnés à l’édition en ligne de L’OLJ a triplé; depuis octobre 2019, il a quasiment doublé. Cette progression n’est pas sans conséquences : notre lectorat se développe et gagne de nouvelles tranches d’âge, mais surtout, L’OLJ conquiert de nouveaux espaces géographiques, en France, dans le reste de l’Europe, en Amérique du Nord et ailleurs. Aujourd’hui, de manière constante, les visiteurs en temps réel du site de L’Orient-Le Jour (abonnés ou pas) se trouvent en nette majorité à l’étranger. Une évolution qui, si l’on tient à ce qu’elle se poursuive, pose un double défi : se rapprocher le plus possible des standards internationaux en matière de qualité journalistique, et s’adresser à un lectorat moins « averti », moins en « première ligne » en ce qui a trait à l’actualité libanaise, essentiellement politique.
En un mot, une donne a changé entre L’Orient-Le Jour et ses lecteurs traditionnels : nous ne sommes plus « entre nous ». Du coup, l’offre doit s’adapter. L’information devient plus qualitative, mieux sourcée, les papiers à caractère didactique, privilégiant le comprendre, occupent désormais une place de choix, et le spectre des sujets et des thématiques abordés s’est considérablement élargi, jusqu’à couvrir un espace qui peut parfois paraître « exotique » aux yeux des habitués. Voilà qui ne va pas toujours sans quelques malentendus sur la stratégie adoptée. De là à en conclure qu’il y a un changement de la ligne politique, il y a un immense fossé que nul n’est censé franchir.
Entrons dans le vif du sujet : depuis 2005, L’Orient-Le Jour est perçu comme le journal du 14 Mars, aux côtés de quelques autres. Or cette affirmation signifie pour nous en 2021 ce qu’elle signifiait déjà en 2005, comme en 2006, 2007 et toutes les autres années depuis. Nous avons toujours clamé haut et fort – et nous continuons de clamer haut et fort – que notre journal est à la pointe de la promotion et de la défense des valeurs incarnées par le formidable soulèvement du 14 mars 2005, mais que cela ne signifie pas qu’il est derrière telle ou telle des formations politiques qui se sont retrouvées à un moment ou à un autre sous cette bannière. Ce credo n’a donc rien de neuf. Pour ne citer qu’un exemple, en 2013, lorsque les Forces libanaises ont rejoint pendant quelque temps le courant aouniste sur la question de la proposition de loi électorale dite « orthodoxe », notre journal a vivement critiqué ce choix qu’il a considéré justement comme étant contraire aux valeurs du 14 Mars.
Aujourd’hui, ce n’est guère L’Orient-Le Jour qui tourne le dos au 14 Mars, ce sont les principales formations qui y étaient regroupées. Notre journal, lui, continue d’y croire, plus que jamais, tout en contribuant à l’espèce de synthèse en cours avec les données du mouvement de contestation du 17 octobre.
Cependant, l’incompréhension, les conclusions hâtives, voire quelquefois la mauvaise foi alimentent les slogans trompeurs qui s’affichent sur les réseaux sociaux. Le récent reportage sur les funérailles du militant du Hezbollah tué au Liban-Sud après avoir franchi la ligne bleue en fournit un exemple frappant. Cet article a été pointé du doigt par certains lecteurs comme témoignant d’un prétendu changement de ligne éditoriale de L’OLJ par le simple fait qu’il donne la parole à « l’adversaire ». En effet, cet article et d’autres donnent la parole au public du Hezbollah. Et c’est tant mieux ! Le combat pour les valeurs n’a que plus de sens lorsqu’on sait qui est l’autre et ce qu’il dit. Au final, ce reportage montre clairement le fanatisme culturel et politique dans lequel baigne ce public. De plus, il se conclut sur le constat que le sacrifice du militant ne dit pas comment cela va contribuer à libérer la Palestine. Comment, après une telle conclusion, peut-on chercher à faire croire que nous sommes passés de l’autre côté?
Plus récemment, une analyse sur l’influence iranienne au Liban a déclenché un tonnerre de critiques acerbes sur le point de savoir si l’Iran occupe ou non le Liban. Certains ont superbement ignoré les trois quarts de l’article très sévères sur les effets de cette influence pour se focaliser sur le point de l’auteur selon lequel on ne peut pas parler d’occupation iranienne dans le sens où l’on comprenait l’occupation syrienne. Ils ont estimé que ce constat allège ou banalise la responsabilité du Hezbollah et de l’Iran dans la déroute libanaise. La réalité est que l’article, partant d’une démarche didactique adressée à un lectorat qui n’est pas nécessairement en première ligne, se contente simplement de relever qu’on ne saurait techniquement utiliser le terme d’occupation sans que cela ne minimise d’une quelconque façon la prise en otage du Liban par la politique iranienne grâce à la contribution du Hezbollah.
Pour le reste, les lecteurs doivent se douter qu’une phase d’expansion comme celle que connaît actuellement L’Orient-Le Jour, à l’inverse du pays, ne va pas sans quelques turbulences. Beaucoup de nouvelles signatures, essentiellement des jeunes, naturellement moins marqués par les anciens combats – ce qui n’est pas un mal en soi –, ont récemment fleuri sur les pages du journal et sur son site. À cela s’ajoute la contribution croissante d’autres titres du groupe. Qu’on nous pardonne ces turbulences, elles sont en quelque sorte la rançon de la gloire…
À trois années de la célébration du centenaire du journal, le changement de ligne éditoriale est moins que jamais à l’ordre du jour.
commentaires (18)
Vous me censurez sur un commentaire qui dénonce votre politique de censure. Comme vous y allez! Bravo.
Sissi zayyat
16 h 24, le 09 juin 2021