
Une manifestante tenant un masque à l’effigie du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, lors d’un sit-in devant le siège de la banque centrale à Beyrouth, le 27 novembre 2019. Joseph Eid/Archives AFP
Après l’enquête ouverte il y a plusieurs mois en Suisse par le Ministère public de la Confédération helvétique pour « blanchiment d’argent aggravé en lien avec de possibles détournements de fonds au préjudice de la Banque du Liban », c’est au tour du parquet national financier (PNF) français de donner suite à des plaintes visant le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, pour des faits présumés pouvant relever des infractions d’« association de malfaiteurs » et de « blanchiment en bande organisée ». Lequel Riad Salamé dénonce un acharnement judiciaire aux motivations politiques. L’information sur l’ouverture d’une enquête par le PNF a été confirmée séparément à L’Orient-Le Jour par les avocats William Bourdon et Amélie Lefebvre, du collectif français Sherpa, et Antoine Maisonneuve, de la fondation suisse Accountability Now. Les avocats avaient déposé deux plaintes distinctes devant le PNF pour le compte de leurs associations respectives pour des soupçons de blanchiment et d’escroquerie commis au Liban et à l’extérieur du pays. La nouvelle a d’abord été divulguée hier par l’AFP, avant d’être reprise par de nombreux médias qui ont exposé les points essentiels de cette nouvelle procédure lancée à l’étranger contre le haut responsable, également confronté aux autorités judiciaires libanaises dans le cadre d’autres dossiers. L’enquête préliminaire française étant, comme celle ouverte en Suisse, couverte par le secret de l’instruction, seuls les détails liminaires de la procédure ont été rendus publics. L’Orient-Le Jour a ainsi pu confirmer l’essentiel de ces informations via des sources proches ou parties au dossier.
Parquet national financier
La procédure en France a été enclenchée par le parquet national financier près le tribunal de grande instance de Paris. Actif depuis 2014 dans le sillage de l’affaire Jérôme Cahuzac, du nom de l’ancien ministre français délégué chargé du Budget qui s’était retrouvé au centre d’un scandale politico-financier dans l’Hexagone, le PNF est compétent pour mener des enquêtes pénales « complexes dans le domaine de la délinquance économique et financière », selon ses statuts.
L’enquête fait suite à deux plaintes successivement déposées depuis avril. La première a été déposée par Accountability Now le 16 avril, et cible plus particulièrement les origines du patrimoine immobilier de Riad Salamé acquis après son entrée en fonctions en 1993. Un patrimoine qui, selon l’enquête de l’association, avoisinerait les 35 millions de dollars en France et les 150 millions de dollars en Europe.
La seconde a été déposée deux semaines plus tard par Sherpa, une association française fondée en 2001 dont la mission est « de combattre les nouvelles formes d’impunité liées à la mondialisation des échanges économiques et financiers ». Sherpa s’est en outre associée au « Collectif des victimes de pratiques frauduleuses et criminelles au Liban », constitué d’épargnants spoliés par les restrictions bancaires illégales adoptées pendant la crise. Les deux associations ont déposé une plainte contre X pour « escroquerie », « blanchiment » et « association de malfaiteurs », entre autres délits. Le document de plus de 80 pages, que L’Orient-Le Jour a consulté, met en doute l’origine des fonds ayant notamment permis à Riad Salamé, son frère Raja Salamé, son fils Nady Salamé, son neveu Marwan Issa el-Khoury ainsi que son assistante Marianne Hoyek d’acquérir un important patrimoine immobilier en Europe. La plainte de Sherpa fait ainsi état d’un patrimoine de 2 milliards de dollars, en s’appuyant notamment sur les investigations du site libanais Daraj et de la plateforme Organized Crime and Corruption Reporting Project.
Des chiffres toujours contestés par Riad Salamé, ce dernier ayant publiquement affirmé avoir constitué sa fortune à partir d’héritages et de sa carrière dans la finance. Le pilote de la banque centrale avait notamment assuré dans les médias que « ses avoirs personnels s’élevaient à 23 millions de dollars » au moment de sa prise de fonctions il y a près de 24 ans, et « que la croissance de son patrimoine depuis résulte d’investissements qui ne contreviennent pas aux obligations liées à ses fonctions ». Une interprétation qui ne fait pas l’unanimité au Liban.
L’ouverture d’une enquête préliminaire confiée à deux procureurs « signifie que le PNF a estimé que les éléments fournis par les plaintes étaient suffisamment documentés et sérieux pour justifier davantage d’investigation afin d’établir les responsabilités de chacun, les investigations prenant en compte l’ensemble des faits dénoncés dans les plaintes », expliquent William Bourdon et Amélie Lefebvre. L’investigation française ne devrait pas toutefois se limiter au gouverneur de la BDL et à ses proches. Si « le clan Salamé est pivot dans le dossier, les faits enquêtés sont très larges et concernent tous les faits de blanchiment en France, et certainement dans d’autres pays d’Europe, à partir d’infractions commises au Liban, telles que l’escroquerie. Les recherches, par effet domino, mettront nécessairement au jour d’autres clans et d’autres réseaux », continuent-ils. Des personnalités d’horizons variés occupant des emplois publics ou privés pourraient ainsi être mises en cause et d’autres accusations pourraient ainsi être ajoutées ou retirées au gré de l’enquête. La formalisation d’une coopération judiciaire à l’échelle européenne sera par ailleurs « inévitable ». « Il y a des mouvements de fonds transeuropéens, ce qui impliquera nécessairement une coopération européenne renforcée entre tous les pays concernés : l’Allemagne, le Luxembourg, le Liechtenstein, la Belgique, Monaco ou encore la Suisse », estime l’avocate en droit international Zéna Wakim, membre de la fondation Accountability Now. La formulation d’une demande d’entraide au Liban est aussi possible, à l’image de celle adressée par le parquet suisse, mais elle n’est pas nécessaire, « puisque les produits du crime supposé sont aujourd’hui sur le territoire français », explique-t-elle.
Enfin, un gel des avoirs des personnalités impliquées est aussi « possible ». « Cette décision revient au parquet financier, mais en général, le gel des avoirs va de pair avec l’ouverture d’une enquête, surtout dans le cas actuel de blanchiment aggravé », affirme Zéna Wakim. « En France, le dispositif juridique permet aux enquêteurs et juges d’instruction de procéder à des gels dès lors qu’il y a une présomption de l’origine illicite des fonds », affirment, de leur côté, les avocats William Bourdon et Amélie Lefebvre. Dans le cas de l’enquête ouverte par les autorités helvétiques, certains comptes bancaires de Riad Salamé en Suisse avaient été saisis à titre préventif. « Officiellement, quelque 50 millions de dollars ont été gelés, mais la somme peut en réalité être plus élevée, le procureur n’ayant pas publié de manière exhaustive tous les comptes concernés », dit Zéna Wakim. Riad Salamé est aussi dans le collimateur de plusieurs autorités britanniques spécialisées dans les infractions financières – Serious Fraud Office, National Crime Agency et Financial Conduit Authority – sollicitées par Accountability Now et l’ONG britannique Guernica37. Aucune enquête n’a cependant encore été officiellement ouverte dans ce pays.
La réponse de l’avocat de Salamé
Face à ces différentes procédures, le gouverneur de la BDL reste sur une même ligne de défense, dénonçant un acharnement judiciaire mû par des motifs politiques, comme en témoigne la réponse rédigée hier par son avocat, le bâtonnier français Pierre-Olivier Sur, qui s’élève contre une « opération de communication » dirigée à l’encontre du gouverneur.
Le bâtonnier évoque notamment des plaintes « déjà très médiatisées de Sherpa d’une part et d’un collectif d’autre part, dont on ne sait rien de leurs intérêts directs et indirects au Liban ». Il pointe également du doigt une forme de sensationnalisme qu’il affirme déceler à travers certains termes utilisés par les plaignants pour décrire leur procédure, isolant notamment ceux de « méga-enquête » ou d’enquête « œcuménique » visant un personnage « honni ».
Qualifiant l’ensemble de l’affaire d’« opération de communication », d’« opération politique » et de « manipulation », Me Pierre-Olivier Sur affirme que « la plainte de Sherpa se fonde principalement sur un travail d’investigation d’un cabinet anglais qui (s’est) conclu par la formule “no smoking gun” », cette dernière expression anglaise désignant l’absence de preuve irréfutable. Il souligne en outre que « la plainte du collectif s’appuie sur un rapport d’un cabinet d’investigation français contre lequel une enquête préliminaire est en cours depuis près de 6 mois pour tentative d’escroquerie au jugement à la suite d’une plainte (…) déposée pour le compte de monsieur Riad Salamé auprès du parquet de Lyon ».
Une source libanaise proche du dossier met, pour sa part, en avant un « hasard suspect du calendrier » concernant la médiatisation de cette affaire dans la foulée du feuilleton très politique de la suspension par le Conseil d’État – depuis reportée – de la circulaire n° 151 de la BDL sur les retraits de « lollars » bloqués au taux de 3 900 livres pour un dollar.
Les prochaines étapes
Les prochaines étapes dépendront de l’évolution des investigations : le parquet pourrait refermer l’enquête ; ouvrir une information judiciaire, qui sera alors confiée à un juge d’instruction ; ou engager des poursuites s’il estime avoir assez d’éléments. Il sera en tout cas difficile d’être fixé sur le fond de ces différentes affaires avant un certain temps. « On en est à la toute première étape et il est difficile de donner une estimation du temps nécessaire au parquet pour mener l’enquête », explique l’avocat Antoine Maisonneuve. « Les différentes enquêtes vont prendre du temps parce que les sommes en jeu sont astronomiques et que les systèmes incriminés de blanchiment et de corruption sont très sophistiqués. Ce qui pourrait en revanche accélérer les choses, c’est que l’ouverture d’enquêtes dans plusieurs pays va permettre aux parquets concernés de solliciter des demandes d’entraide judiciaire formelles, ce qui était plus difficile jusqu’à présent », ajoute Zéna Wakim. Également membre du conseil d’administration d’Accountability Now, l’activiste libanais Walid Sinno a enfin déploré le fait que le Liban soit un « îlot d’impunité dans lequel les dirigeants visés par des enquêtes pour des faits graves parviennent à rester en fonctions alors qu’ils auraient été contraints de démissionner dans d’autres pays ».
Après l’enquête ouverte il y a plusieurs mois en Suisse par le Ministère public de la Confédération helvétique pour « blanchiment d’argent aggravé en lien avec de possibles détournements de fonds au préjudice de la Banque du Liban », c’est au tour du parquet national financier (PNF) français de donner suite à des plaintes visant le gouverneur de la BDL, Riad Salamé,...
commentaires (9)
Tous ces milliards mal acquis par cette bande de mafieux de tous bords politiques et pendant ce temps le peuple crève de tout.
JiJii
00 h 24, le 17 juillet 2021