Au Liban, «l’investigation porte sur la qualification des transferts réalisés de la BDL à Forry, pour savoir s’il s’agit de fonds privés ou publics afin de déterminer s’il y a eu détournement de fonds publics».
Au Liban, «l’investigation porte sur la qualification des transferts réalisés de la BDL à Forry, pour savoir s’il s’agit de fonds privés ou publics afin de déterminer s’il y a eu détournement de fonds publics». Élie Abi Hanna

La justice libanaise a ouvert une enquête préliminaire sur les «transferts bancaires effectués par la Banque du Liban (BDL) pour le compte de l’entreprise Forry Associated Ltd (Forry) en Suisse, ainsi que sur tout le circuit qui en a résulté», a affirmé au Commerce du Levant le procureur adjoint près de la cour de cassation, Jean Tannous, chargé de l’instruction du dossier. L’enquête a été ouverte il y a «quelques semaines», a-t-il déclaré en affirmant avoir obtenu des documents, notamment de la BDL, pouvant constituer des éléments de preuves, sans vouloir «donner davantage de détails sur ces éléments, ni sur leur qualification pénale».

La Suisse a adressé en janvier dernier au Liban une demande d’entraide dans le cadre d’une instruction judiciaire menée par le ministère public de la Confédération helvétique (MPC) pour soupçons de «blanchiment d’argent aggravé en lien avec de possibles détournements au préjudice de la Banque du Liban». Selon cette demande d’entraide, consultée par le Commerce du Levant, l’enquête suisse porte sur un contrat de courtage signé entre la BDL et Forry, dont le bénéficiaire économique est Raja Salamé, le frère du gouverneur. L’entreprise a reçu plus de 330 millions de dollars américains de frais de courtage entre 2002 et 2014, qui ont été transférés vers des comptes de Raja Salamé en Suisse, et vers des entreprises qui seraient liées à Riad Salamé. 

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Au Liban, «l’investigation porte sur la qualification des transferts réalisés de la BDL à Forry, pour savoir s’il s’agit de fonds privés ou publics afin de déterminer s’il y a eu détournement de fonds publics». Dans un entretien au quotidien français Le Figaro publié mardi, Riad Salamé a affirmé qu’il «y a une confusion grossière entre les fonds qui appartiennent à la Banque du Liban et ceux qui y transitent, mais appartiennent à ses clients principalement à des banques commerciales privées ou des sociétés financières». Mais c'est encore à l'enquête libanaise de «déterminer l'origine des fonds», insiste le procureur adjoint, et s’il s’avère qu’elle est privée, d'expliquer pourquoi la BDL ferait transiter les fonds privés à son courtier via un de ses comptes. 

Si l’enquête libanaise a été déclenchée par l’instruction suisse, «son champ est beaucoup plus large que celui du parquet suisse, car nous y incluons notamment les montants réintégrés dans le système financier libanais», affirme le juge. Le rapport des procureurs suisses fait état d’une somme de 207 millions de dollars transférés des comptes détenus par Raja Salamé en Suisse vers cinq banques libanaises. 

Le juge libanais affirme avoir adressé en février dernier «une demande d’entraide judiciaire à la Suisse, ou des demandes de clarification, dans le cadre de la Convention sur la lutte contre la corruption des Nations unies, afin d’obtenir certaines preuves en leur possession, avant d’ouvrir nous-même une instruction judiciaire». «Mais nous n’avons toujours pas eu de réponse, alors que nous avons communiqué l’ensemble des documents demandés», regrette-t-il. 

La prochaine étape au Liban serait l’audition des témoins, qui concerne une quinzaine de personnes, et qui devrait débuter la semaine prochaine. «Nous sommes pour l'instant à un stade de contrôle des procédures. Le cabinet d’audit externe est aussi concerné puisque tout transfert de la BDL doit normalement figurer dans les comptes», précise le procureur adjoint. Les deux personnes entendues dans l’enquête suisse, le gouverneur et son frère, ainsi que Marianne Howayek, qui a le statut de témoin assisté, ne font pour l'instant pas partie des personnes auditionnées au Liban.