Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles la formation d'un nouveau gouvernement se fait tant attendre, dix mois après la démission du cabinet de Hassane Diab, s'interrogeant sur les possibilités que ce blocage soit lié à une "volonté de ne pas organiser les élections" législatives et présidentielle de 2022 et de "faire tomber le Liban". Dans son homélie dominicale, le dignitaire n'est pas revenu sur sa proposition de former une équipe "de chefs de file politique", mais s'en est pris, une fois de plus, avec virulence aux dirigeants politiques qui "n'ont cure du peuple qui ne peut plus supporter l'humiliation" dans un pays qui traverse une grave crise socioéconomique et financière.
La formation du gouvernement est prise en otage, depuis la désignation de Saad Hariri, en octobre dernier, dans un profond conflit politique et personnel qui oppose le Premier ministre désigné Saad Hariri au président de la République Michel Aoun et à son camp. La semaine dernière avait été marquée par une reprise des tractations, sur base de l'initiative présentée par le président du Parlement, Nabih Berry, pour la formation d'un cabinet de 24 ministres sans tiers de blocage. L'initiative Berry, soutenue par le Hezbollah et par le patriarche maronite Béchara Raï, butait sur la partie qui devrait nommer les deux ministres chrétiens flottants dans ce gouvernement. Le camp aouniste accuse le Premier ministre désigné de vouloir les nommer pour obtenir la majorité absolue au sein du cabinet, et les proches de Saad Hariri renvoient l'accusation à la présidence de la République soupçonnée de viser le tiers de blocage. Dans ce contexte, les discussions s'étaient à nouveau embourbées dans des échanges acerbes, par communiqués interposés, entre les camps haririen et aouniste, ce qui n'avait toutefois pas empêché M. Berry d'assurer samedi que son initiative tenait toujours et qu'il ne comptait pas l'abandonner.
Les responsables veulent "sauver leurs intérêts"
"Les responsables essaient de se sauver eux-mêmes et leurs intérêts au lieu de sauver la nation, a critiqué le patriarche dans son homélie dominicale. Ils se comportent comme s'il n'y avait pas de peuple, pas d'Etat, pas de régime, pas d'institutions, pas d'économie, d'industrie, de commerce, de pauvres, de faim, de chômage ni d'émigration". "Ils se disputent comme si la politique visait seulement à organiser leurs accords et désaccords et non (...) à gérer les affaires qui intéressent les citoyens, protéger les institutions et assurer la sécurité et la stabilité", a ajouté le patriarche qui avait déjà critiqué avec virulence les échanges de communiqués acerbes entre le parti aouniste et le courant du Futur, mercredi, lors d'une réunion à Baabda. "Ils n'ont cure du peuple, qui ne peut plus supporter l'humiliation", a-t-il déclaré, citant notamment, parmi les crises qui frappent les habitants du Liban, les pénuries d'essence et de médicaments, les restrictions bancaires, la situation dramatique du secteur médical ou le fait que les agences de voyage imposent "illégalement" selon lui aux voyageurs de payer leurs billets d'avion en dollars "frais". Face à cette situation morose, le patriarche s'est demandé si "derrière les raisons infondées pour lesquelles le nouveau cabinet n'est pas formé, il n'y a pas une volonté de ne pas organiser les prochaines élections législatives, en mai prochain, la prochaine présidentielle en octobre 2022 et une volonté de faire tomber le Liban".
"Mais nous sommes un peuple qui ne meurt pas et nous ne permettrons pas que ce plan soit mis à exécution", a déclaré Mgr Raï. "Nous ne permettrons pas un changement de notre régime démocratique, une falsification de l'identité du pays (...) une élimination totale de la civilisation libanaise et son implication dans les conflits de la région", a-t-il ajouté. Et de rappeler son appel à l'instauration de la neutralité du Liban et à l'organisation d'une conférence internationale spéciale sur la situation libanaise. "Nous nous adressons désormais à l'ONU, afin qu'elle s'implique pour sauver le Liban de l'effondrement et de la faillite", a lancé le patriarche, demandant à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de "mettre la main sur le secteur de la santé et de répondre à ses demandes en médicament et matériel médical".
"Chaos sécuritaire"
Lors d'une messe en mémoire de l'homme politique et journaliste Ghassan Tuéni, décédé le 8 juin 2012, le métropolite de Beyrouth, Mgr Elias Audi, a appelé les dirigeants à faire preuve de "courage". "Le Liban ne mérite-t-il pas que des décisions soient prises rapidement pour le sauver, indépendamment de tout intérêt privé, gain personnel et ambition politique", a-t-il déclaré.
De son côté, le mufti jaafarite, cheikh Ahmad Kabalan, a réitéré l'appel lancé dans la semaine par le patriarche maronite, en vue de formation d'un gouvernement de "chefs de file", estimant qu'il s'agit de la "seule solution" possible pour sauver le pays. "Le pays se dirige à grande vitesse d'une situation de vacance politique, d'étouffement économique et de catastrophe sociale à une situation dans laquelle les institutions de l'Etat se désintègrent complètement", a écrit le cheikh chiite dans un communiqué. Disant craindre un "chaos sécuritaire de grande ampleur", à plus forte raison si les subventions sur les importations sont levées sans alternative. "La solution repose dans la mise sur pied d'un cabinet de chefs de file qui pourra prendre de grandes décisions", a-t-il préconisé, estimant que le gouvernement sortant de Hassane Diab "perd son souffle". Ahmad Kabalan a dans ce cadre appelé les responsables politiques à "descendre de leurs tours d'argent" et ne plus avoir recours au "discours confessionnel".
commentaires (8)
ca passe ou ca casse ? ::::: tant que Rai ou Audi et/ou tout autre partie continuent a considerer la presidence de la republique comme INSTANCE SACREE, une position INATTAQUABLE SACRO SAINTE POUR LES MARONITES ... INUTILE D'ESPERER EN UNE EVOLUTION QUELCONQUE.
Gaby SIOUFI
17 h 04, le 07 juin 2021