
Le prince héritier d’Abou Dhabi, cheikh Mohammad ben Zayed al-Nahyane, et le président syrien, Bachar el-Assad, lors d’une rencontre à Damas en janvier 2009. Sana/Ho/AFP
En 2011, ils avaient fait le pari de la chute imminente de cet allié devenu trop encombrant et isolé sur la scène régionale et internationale. Dix ans plus tard, le discours tenu par une partie des pays du Golfe est bien différent : celui de la nécessité de s’accommoder du régime syrien de Bachar el-Assad, sur fond de considérations géostratégiques et économiques. « Le retour de la Syrie dans le giron arabe est essentiel et n’a rien à voir avec qui le veut ou qui ne le veut pas », déclarait en mars dernier le chef de la diplomatie émiratie, cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane, lors d’une conférence de presse aux côtés de son homologue russe, Sergueï Lavrov, en visite à Abou Dhabi. « C’est une question d’intérêt public et des intérêts de la Syrie et de la région », avait-il insisté.
Si ce discours est clairement assumé par Abou Dhabi depuis la réouverture de son ambassade à Damas en décembre 2018, ce changement d’approche à l’égard du régime de Bachar el-Assad est aussi le reflet d’un Golfe à plusieurs vitesses sur le dossier syrien. « Oman et les Émirats arabes unis sont depuis un certain temps enthousiastes à l’idée de normaliser les relations avec le régime d’Assad, tandis que l’Arabie saoudite et le Koweït se montrent plus prudents », explique Joe Macaron, analyste au centre de recherche Arab Center Washington DC. L’Arabie saoudite et le Qatar ont notamment fourni un soutien financier à des groupes rebelles dans les premières années du conflit dans l’objectif de faire tomber le régime en place à Damas.
En tête de file sur la question, les EAU ont clairement manifesté leur intérêt pour s’insérer sur le marché syrien en vue de la reconstruction alors que les allées et venues de délégations d’hommes d’affaires émiratis et syriens se sont multipliées depuis 2018. « Ils se sont positionnés en attendant un feu vert américain », confie un diplomate arabe. « Pour l’instant, les Émiratis ont acheté des terrains agricoles, ont apporté un soutien financier et transféré des vaccins contre le Covid-19 », ajoute-t-il. Entrées en vigueur en juin 2020, les sanctions américaines comprises dans la loi César – et que l’administration Biden ne semble pas vouloir lever – pourraient cependant entraver les projets d’Abou Dhabi. Le texte sanctionne toute personne, société ou institution commerçant avec le pouvoir syrien en place ou contribuant à la reconstruction du pays. Interrogé au sujet d’un rétablissement des liens entre des pays du Golfe et Damas la semaine dernière lors d’un appel avec des journalistes, un officiel du département d’État américain a suggéré que les alliés dans la région « réfléchissent soigneusement à leur exposition aux sanctions en traitant avec ce régime », précisant que l’accent devrait être mis « sur la responsabilité plutôt que sur l’établissement de relations diplomatiques ».
Allié possible
Depuis que Damas a été mis au ban de la Ligue arabe en novembre 2011, seul le sultanat d’Oman a ouvertement maintenu des relations diplomatiques avec le régime syrien tout au long de la décennie, conformément à sa politique étrangère traditionnelle de neutralité et de non-ingérence. Le sultan Haitham est en outre le seul dirigeant du Golfe à avoir félicité Bachar el-Assad pour sa « victoire » à l’issue de l’élection présidentielle le mois dernier, largement qualifiée de mascarade par ses détracteurs.
Moscou n’a pas misé sur un autre candidat pour succéder à Bachar el-Assad, parti pour régner encore pour les sept prochaines années. Une variable parmi les plusieurs avec lesquelles les pétromonarchies doivent composer en fonction de leurs priorités en matière de politique étrangère, dans un paysage régional qui n’est plus celui de 2011. Téhéran a étendu ses activités et s’est imposé comme l’un des parrains de Damas aux côtés de Moscou. Ankara dispose d’une large assise dans le Nord-Est syrien et cherche à élargir son influence au Moyen-Orient. L’accession à la Maison-Blanche de Joe Biden en janvier a amorcé un changement d’approche à l’égard des autocrates du Golfe tandis que Washington poursuit sa politique de désengagement de la région et cherche à raviver l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 et dont l’administration de Donald Trump est sortie trois ans plus tard. « Les Émirats arabes unis voient Damas comme un allié possible dans leur objectif plus large de limiter l’influence de l’islam politique et des États qui le parraine – dont la Turquie qui soutient depuis longtemps les groupes d’opposition en Syrie », explique Elham Fakhro, chercheuse sur les pays du Golfe au sein de l’International Crisis Group. « L’Arabie saoudite, en revanche, est plus intéressée par le fait d’éloigner Assad de l’Iran – son plus grand rival régional – dans le cadre plus large du nationalisme arabe », souligne-t-elle.
Ayant adopté un ton plus modéré depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, Riyad cherche à rebattre ses cartes dans la région. Bien qu’elle elle ait été démentie par les autorités du royaume, la révélation de la venue d’une délégation saoudienne présidée par le chef des services de renseignements, Khaled al-Houmaïdan, début mai à Damas a en outre alimenté les rumeurs au sujet d’un rapprochement imminent entre l’Arabie saoudite et le régime syrien. Un diplomate arabe minimise cependant la portée de cette visite, insistant sur le fait qu’il ne s’agit que d’une rencontre entre responsables du renseignement et que son ampleur a été exagérée par les médias. « Le régime syrien n’est pas en mesure de poser des conditions préalables étant donné le statu quo actuel et le fait que ces discussions (à ce sujet) sont menées par la Russie et l’Arabie saoudite », indique Joe Macaron. « L’Arabie saoudite espère que la Russie contribuera à limiter l’influence iranienne et turque et que le régime d’Assad pourra aider à faciliter les intérêts saoudiens au Liban », remarque-t-il.
Porte ouverte
Si Moscou multiplie les contacts dans la région en vue de ramener Bachar el-Assad dans les bonnes grâces des dirigeants arabes, l’objectif est également de faire porter le coût de la reconstruction, estimé à plusieurs milliards de dollars, aux pétromonarchies du Golfe. « Les Russes enfoncent une porte ouverte », estime David Schenker, expert au Washington Institute et ancien secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient. L’arrivée de l’administration Biden, pour qui le conflit syrien n’est pas une priorité et qui ne dispose pas d’une politique aux contours clairs sur ce dossier, pourrait par ailleurs davantage faciliter, dans une certaine mesure, les contacts entre Damas et les pays du Golfe. « En l’absence d’une politique articulée, les amis ou partenaires des États-Unis dans la région procéderont à ce qu’ils considèrent comme étant dans leur meilleur intérêt », observe David Schenker.
Au lendemain de la réouverture de l’ambassade des EAU à Damas en 2018, Bahreïn avait déjà précisé que les activités de sa mission diplomatique dans la capitale syrienne s’étaient poursuivies « sans interruption », sans préciser si cela était le cas depuis 2011. Le Koweït avait alors affirmé s’attendre à ce que d’autres pays arabes emboîtent le pas aux EAU, tout en précisant qu’il s’en tiendrait aux directives de la Ligue arabe à l’égard du régime syrien. Interrogé la semaine dernière sur la chaîne Alaraby à propos d’une normalisation des liens entre Doha et Damas, le ministre qatari des Affaires étrangères cheikh Mohammad ben Abderrahman al-Thani a quant à lui balayé cette possibilité d’un revers de main. « Nous n’avons aucune motivation pour rétablir les liens avec le régime syrien pour le moment. Le régime syrien commet des crimes contre son peuple », a-t-il insisté. L’émirat cherche cependant à se réinsérer dans l’équation politique du conflit alors qu’il a lancé un processus de consultations trilatérales avec la Turquie et la Russie en mars, dans le but de trouver une solution politique au conflit.
En 2011, ils avaient fait le pari de la chute imminente de cet allié devenu trop encombrant et isolé sur la scène régionale et internationale. Dix ans plus tard, le discours tenu par une partie des pays du Golfe est bien différent : celui de la nécessité de s’accommoder du régime syrien de Bachar el-Assad, sur fond de considérations géostratégiques et économiques. « Le...
commentaires (3)
Quel jeu jouent les Émirats ? Reconnaissance d'Israël amitié avec un criminel vraiment je ne comprend rien de cette politique de merde ..
Eleni Caridopoulou
21 h 09, le 05 juin 2021