Pour la première fois depuis des années, un avion privé saoudien a atterri à l’aéroport de Damas en fin de journée dimanche. À l’intérieur : le chef des renseignements saoudiens, le général Khaled al-Humaïdan, venu rencontrer le président syrien Bachar el-Assad. Entre les deux hommes, « de nombreux dossiers ont été mis sur la table parmi lesquels le rôle que pourrait jouer la Syrie pour apaiser les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran », confie à L’OLJ un diplomate arabe de haut rang, qui confirme que la rencontre a bien eu lieu. Ni Riyad ni Damas n’ont commenté cette information. Le royaume a rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie depuis 2012. Ce n’est pas le premier contact en matière de sécurité et de renseignements entre les deux pays. « De précédentes réunions, parrainées par la Russie, ont eu lieu entre Humaïdan et Ali Mamlouk (le chef des renseignements syriens) », affirme un responsable du Golfe. Ali Mamlouk s’était notamment rendu en Arabie saoudite en 2015 puis en 2018. Mais le fait que la réunion se passe cette fois-ci à Damas et implique Bachar el-Assad a suscité tout un tas de fantasmes dans la presse arabe qui y voit le signe d’une réouverture imminente de l’ambassade saoudienne en Syrie.
Cette visite intervient alors que l’activité diplomatique bouillonne, pour la première fois depuis des années, dans la région, portée par l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. Les États-Unis et l’Iran sont en pleines négociations pour tenter de ressusciter l’accord nucléaire, tandis qu’en parallèle, un canal de dialogue a été mis en place entre Riyad et Téhéran à Bagdad. Le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane a affirmé la semaine dernière au cours d’une longue interview accordée à la chaîne saoudienne al-Arabiya que son pays « espère entretenir de bonnes relations avec l’Iran ». Les propos du dauphin sonnaient comme un appel au dialogue rompant avec des années de grandes tensions entre les deux rivaux du Golfe. « MBS veut apaiser ses relations avec les autres acteurs dans la région », dit le responsable du Golfe précité. Après avoir mis fin au blocus contre le Qatar en janvier dernier, Riyad est également en train d’apaiser ses relations avec la Turquie. « Il veut se concentrer sur Vision 2030 », ajoute le responsable, en référence au projet qui vise à diversifier l’économie saoudienne pour la rendre moins dépendante de ses ressources énergétiques.
Nouvelle rencontre en juin
Selon des informations récoltées par L’OLJ auprès d’un responsable saoudien, la réouverture de l’ambassade a été discutée entre les deux pays. Riyad n’a toutefois pas encore pris sa décision et attend de voir comment les choses vont évoluer au cours de ces prochaines semaines. L’Arabie souhaiterait que le président syrien fasse un geste en sa direction, prenant quelque peu ses distances avec son parrain iranien, alors qu’il devrait être réélu président le 26 mai. Plusieurs observateurs estiment que les Émirats arabes unis, qui ont rouvert leur ambassade à Damas en décembre 2018, et l’Égypte ont joué un rôle-clé dans l’évolution des relations entre l’Arabie saoudite et la Syrie. Depuis quelques mois déjà, les pays du Golfe semblent enclins à restaurer les relations avec le régime syrien et le ramener au sein de la Ligue arabe. Mais les États-Unis sont intervenus pour freiner cet élan. L’entrée en vigueur de la loi César en juin 2020 a changé la donne, puisqu’elle menace de sanctions toute personne ou entité collaborant avec le régime syrien. Si l’administration Biden n’a pas changé de ligne concernant la Syrie, Riyad semble miser sur une dynamique régionale qui laisse plus de place au dialogue.
« La Syrie ne peut pas être laissée à l’écart des développements régionaux, car le vide créé par le retrait arabe a laissé la place à l’Iran et la Turquie », estime le diplomate arabe de haut rang. Pour le royaume wahhabite et ses alliés sunnites, il est impératif de ramener la Syrie dans le giron arabe. Les puissances arabes sont totalement marginalisées dans ce conflit où, sur le terrain, les Russes, les Iraniens, les Turcs et les Américains font la loi. Pour se remettre dans le jeu, l’Arabie compte utiliser la carte du financement de la reconstruction, estimée à plusieurs centaines de milliards de dollars, que ni les Russes ni les Iraniens n’ont les moyens de payer.
Si les Saoudiens veulent éloigner Bachar el-Assad des Iraniens et fermer la porte aux Turcs dans leur projet de séduction des populations sunnites arabes, l’axe irano-syrien voit pour sa part d’un bon œil ce rapprochement avec l’Arabie, qui vient redonner une légitimité arabe au président syrien. « C’est une bonne chose et ce n’est que le début. Cela ne se limitera pas à l’Arabie saoudite », affirme un proche du Hezbollah. « Le timing de cette visite revêt une importance capitale, car elle intervient deux semaines avant les élections, ce qui confère une reconnaissance à Assad en tant que président élu », estime pour sa part un responsable au sein du régime syrien. Une délégation saoudienne devrait se rendre à nouveau à Damas au mois de juin pour poursuivre les discussions. Mais pour que le dossier avance, le royaume attend de Bachar el-Assad qu’il remplisse sa part du marché.
commentaires (8)
Je ne prévois rien de bon pour le Liban, nous sommes grilles grace au « Sanam » de Baabda. Il a mal joué la carte du Liban, nous sommes les perdants.
CW
19 h 33, le 07 mai 2021