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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Le jour où Israël était suspendu aux voix arabes...

L’accord historique conclu mercredi entre Naftali Bennett, Yaïr Lapid et Mansour Abbas marque une étape symbolique du point de vue des institutions publiques, mais aussi de la communauté palestinienne en Israël.

Le jour où Israël était suspendu aux voix arabes...

Naftali Bennett (Yamina), Yaïr Lapid (Yesh Atid) et Mansour Abbas (Raam, LAU) lors d’une réunion à Ramat Gan, dans la banlieue de Tel-Aviv, le 2 juin 2021. United Arab List Raam/Handout via Reuters

57 + 4 = 61. Les leaders des partis israéliens engagés dans la formation d’un nouveau gouvernement ont beau s’en défendre, les chiffres ne mentent pas : l’alliance sur le point d’émerger en Israël, plus de deux mois après le scrutin du 23 mars, reposera bel et bien sur une fine majorité obtenue grâce aux précieuses voix du parti arabe israélien Raam – ou Liste arabe unie (LAU) – conduit par Mansour Abbas. Sans ces quatre votes-clés, le « bloc du changement » qui devrait consacrer un accord de rotation entre Naftali Bennett et Yaïr Lapid à la tête de l’exécutif israélien n’aurait en effet pas pu espérer rassembler les 61 députés nécessaires à la validation d’une coalition d’opposition face au « bloc Netanyahu ».

Pour la première fois depuis sa création, le gouvernement de l’État hébreu sera dépendant du soutien d’un parti arabe. L’accord historique conclu dans la soirée de mercredi, dans un hôtel de la banlieue de Tel-Aviv, entre Naftali Bennett (Yamina, extrême droite ultranationaliste), Yaïr Lapid (Yesh Atid, « Il y a un futur », centre droit) et Mansour Abbas (Raam, parti arabe islamiste), marque une étape symbolique du point de vue des institutions publiques, mais aussi de la communauté palestinienne en Israël, qui pour la première fois se greffe à un accord de coalition gouvernemental. « La décision a été difficile, et il y a eu de nombreux points de conflit, mais il était important de parvenir à un accord », a alors déclaré Mansour Abbas.

Mariage de raison

Beaucoup voient l’entente comme un mariage de raison motivé par la seule volonté de s’unir afin de chasser Benjamin Netanyahu, après plus de 15 ans à la tête de l’exécutif. Une manœuvre de circonstance qui a cependant donné lieu à une séquence qui, du point de vue israélien, a eu quelque chose de surréaliste. Mercredi, les médias du pays étaient suspendus à la décision d’un organe religieux, le conseil consultatif (majles el-choura) du Mouvement islamique du Sud, la branche dite « modérée » du mouvement islamique dont est issu Raam. Réuni à Kfar Kassem, le conseil était chargé de prendre position face à la coalition en gestation. Il autorisera finalement le leader du parti, Mansour Abbas, à rejoindre celle-ci.

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Mais au-delà de l’issue des discussions, l’intermède des négociations a donné lieu à des scènes inédites qui, il y a encore peu, auraient paru invraisemblables. Tandis que le duo Lapid-Bennett tentait de finaliser un accord avec Mansour Abbas, Benjamin Netanyahu aurait appelé plusieurs fois ce dernier afin de l’en dissuader. L’image d’un Mansour Abbas courtisé de tous, véritable « faiseur de roi », n’a jamais été aussi près de la réalité. D’autant que M. Abbas a conditionné le soutien de son parti à des demandes très spécifiques portant sur les préoccupations quotidiennes de la communauté arabe d’Israël. Taux de criminalité, éducation dans les villes arabes, crise du logement, reconnaissance des villages bédouins du Néguev… les grands dossiers chers aux leaders arabes se sont retrouvés, le temps d’une journée, au premier plan des considérations israéliennes.

Les négociations ont ainsi fait remonter à la surface des sujets sensibles, les indésirables du débat public, à l’image de la très controversée loi Kaminitz de 2018 pénalisant certaines constructions arabes considérées comme illégales, qui pourrait être révoquée dans le sillage de l’accord. « Soudain, les médias hébreux se sont retrouvés contraints d’expliquer à leur audience ce qu’est la loi Kaminitz, ou bien à décrire les souffrances des résidents des villages illégaux », écrivait avec humour Noa Landau hier matin dans les pages du quotidien Haaretz. Drôle d’ironie en effet pour un pays qui s’est efforcé, au cours des dernières décennies, de reléguer la question des droits socio-économiques des populations arabes au second plan en sous-traitant leur gestion à des représentants locaux.

Gains politiques

Plus largement, l’épisode incarne la montée en puissance du vote arabe israélien, en cours depuis déjà plusieurs années. Dès mars 2019, la liste unifiée des partis arabes (Balad, Hadash, Ta’al, Liste arabe unie) remporte 10 sièges à la Knesset, puis 13 en septembre 2019, et 15 en 2020. Le départ de Raam de la liste unifiée, en janvier 2021, signifie que la représentation arabe issue du scrutin de mars dernier sera désormais morcelée et moins élevée, avec seulement 6 députés pour la Liste unie et 4 députés pour Raam. Le rapport de force qui caractérise les négociations entre Raam et le duo Yamina-Yesh Atid au cours de ces derniers jours est, au moins en partie, le résultat de ces évolutions. Mais ce sera la première fois que la montée en puissance des voix arabes se traduit par des gains politiques concrets, à considérer évidement que l’alliance parvienne à déjouer les nombreuses tentatives toujours en cours du Premier ministre sortant afin de faire avorter le « gouvernement du changement ».

De loin, il peut sembler que le soutien d’un parti palestinien à une coalition gouvernementale approfondisse l’intégration des Arabes à l’ensemble des instances de l’État. Le pragmatisme, érigé en véritable doctrine par la LAU, qui appelle à une stratégie de changement de l’intérieur, serait un pari gagnant pour les Arabes israéliens, peut-être le seul à même de leur ramener de nouveaux financements, comme ces 2,5 millions de shekels promis pour la lutte contre le crime organisé, ou ces 20 millions de shekels qui devraient être investis au cours de la prochaine décennie dans la réparation des ruines des villes et villages arabes…

Mais si ce raisonnement était parfaitement valable il y a encore un mois, il l’est beaucoup moins au lendemain d’un cycle de violences au cours duquel la marginalisation des Palestiniens d’Israël, longtemps camouflée derrière une vitrine de « coexistence pacifique », est réapparue au grand jour. Durant le mois de mai, les villes arabes israéliennes se sont soulevées de concert et en signe de solidarité avec Gaza, Jérusalem, Ramallah ou Hébron. Elles se sont aussi heurtées à la violence du système répressif israélien et au racisme d’une partie de la population juive qui ne cache plus son rejet de cette cohabitation… À l’heure où le mouvement de solidarité interpalestinien s’est recentré autour de l’unité nationale, Mansour Abbas et son mouvement font donc un pari risqué qui pourrait rapidement avoir un arrière-goût amer. Car même s’ils ne prendront pas directement part au gouvernement, ils accordent leur voix à un futur exécutif qui donne la part belle aux ministres de droite et d’extrême droite, susceptibles de poursuivre une politique de statu quo... à commencer par la colonisation persistante de la Cisjordanie et le siège de Gaza.

57 + 4 = 61. Les leaders des partis israéliens engagés dans la formation d’un nouveau gouvernement ont beau s’en défendre, les chiffres ne mentent pas : l’alliance sur le point d’émerger en Israël, plus de deux mois après le scrutin du 23 mars, reposera bel et bien sur une fine majorité obtenue grâce aux précieuses voix du parti arabe israélien Raam – ou Liste...

commentaires (1)

Elle est belle la democratie en Israel! Et vous avez des cretins qui disent que ce pays pratique l'apartheid. Essayez voir si vous pouvez faire la meme chose ici!

IMB a SPO

23 h 51, le 04 juin 2021

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Commentaires (1)

  • Elle est belle la democratie en Israel! Et vous avez des cretins qui disent que ce pays pratique l'apartheid. Essayez voir si vous pouvez faire la meme chose ici!

    IMB a SPO

    23 h 51, le 04 juin 2021

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