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Culture - Exposition

Sous le coup de pinceau de Tom Young, le Hammam al-jadeed de Saïda revit...

À la faveur de Revival*, l’artiste britannique installé au Liban depuis 2006 a parsemé une soixantaine de ses toiles au Hammam al-jadeed de Saïda. Celles-ci se chargent non seulement de dépeindre ce qu’était la vie dans ce lieu de métissage, mais aussi de lui redonner vie...

Sous le coup de pinceau de Tom Young, le Hammam al-jadeed de Saïda revit...

Ces tableaux sont d’autant plus troublants qu’ils agissent comme un miroir inversé du hammam tel qu’il est actuellement... Photo G.K.

L’œuvre de Tom Young a cela de singulier qu’elle ne laisse pas indifférent. Loin d’être consensuelle ou en tout cas de répondre à des canons artistiques bien codifiés, on y adhère ou pas du tout, et ce sont précisément ces sentiments ambivalents qui font qu’une œuvre vaut la peine qu’on s’y penche. Ce qui est difficile à contester, en revanche, c’est qu’au-delà des limites de ses canevas, l’artiste britannique, devenu plus libanais que libanais depuis qu’il s’est installé à Beyrouth en 2006, n’a cessé de donner à son pays d’adoption tant sur le front social que sur le plan humain. Comment oublier son passage à la Maison rose de Manara dont il avait fait un lieu d’exposition et un centre culturel trois mois durant ? Celui à la villa Paradiso du quartier de Gemmayzé qu’il avait aidé à restaurer et, plus récemment, au Grand Hôtel de Sofar dont il avait exhumé les fantômes en 2018 ? Depuis octobre 2020, l’artiste s’est plié à un exercice similaire, cette fois dans le Hammam al-jadeed où il expose une soixantaine de toiles dans le cadre de son exposition « Revival ».

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Tom Young a parsemé une soixantaine de ses toiles au Hammam al-jadeed de Saïda. Photo G.K.

Une seconde vie

Rien que le titre de cet événement suffit à résumer le projet le plus récent en date de Tom Young. Fondé en 1720 par le commerçant marocain Moustapha Hammoud, le Hammam al-jadeed de Saïda a, pendant deux centenaires, joué un rôle crucial dans la consolidation du tissu social de la ville côtière du Sud, tant se côtoyaient dans ses bains publics toutes les tranches de la communauté. En 1948, lorsque l’eau courante arrive chez la plupart des habitants de Saïda, l’activité du hammam décline jusqu’à pousser ses propriétaires à fermer cet établissement qui sera grièvement endommagé au fil des guerres, et notamment lors de l’invasion israélienne de 1982. Tout cela pour dire que ce lieu de métissage fabuleux, l’une des pierres angulaires de la vie socio-économique de la ville de Saïda, était voué à une mort lente jusqu’à ce que Saïd Bacho, fondateur et président de la Fondation Sharqy pour le développement culturel et l’innovation, n’en décide autrement en acquérant cet espace ainsi qu’un bâtiment adjacent. Dans cette volonté de donner une seconde chance, peut-être même une seconde vie à ce Hammam al-jadeed, Bacho fait appel à Tom Young avec lequel il partage les velléités de conserver ces trésors architecturaux d’un patrimoine qui s’étiole sans qu’on ne s’en rende compte. Aussitôt, ce dernier se lance dans cette aventure qui le pousse, dans un premier temps, dans une quête d’archives et d’histoires liées à ce hammam dont les murs abritent 300 ans de souvenirs sous ces voûtes qui distillent encore, avec une magie intacte, la lumière changeante du soleil du Sud. Après s’être plongé dans des images d’époque, mais aussi dans les récits de certains habitants de la ville qui ont eu la chance d’aller se baigner au hammam, Young choisit de s’imprégner – au propre comme au figuré – de l’énergie de cet espace en y peignant la soixantaine de toiles qui constituent aujourd’hui l’exposition « Revival ».

Autour de la fontaine d’eau d’où jaillissent des clapotis apaisants, se déploie la première section de toiles qui retracent, chacune à sa manière, l’atmosphère et les rituels de ce bain public. Photo G.K.

Une mise en abyme

L’une des découvertes les plus saisissantes de Tom Young, c’est qu’une femme, Zahia al-Zarif, gérait le hammam. C’est d’ailleurs son portrait, doucement énigmatique, tramé des huiles saccadées de l’artiste, qui accueille les visiteurs à l’entrée. Autour de la fontaine d’eau d’où jaillissent des clapotis apaisants, se déploie la première section de toiles qui retracent, chacune à leur manière, l’atmosphère et les rituels de ce bain public. La vieille piscine, Mosbeh, sur laquelle se reflétaient les grillages des fenêtres et leur marbre quadrillé. Un masseur de hammam, sa serviette nouée autour de la taille, ses sabots de bois et le narguilé qu’il fait buller pour ses clients. L’esquisse de pieds qui laissent leurs empreintes sur le sol en marbre orné de zébrures. L’ombre de femmes qui discutent et se baignent dans la salle centrale, avec l’impression que les échos de leurs conversations ricochent encore entre les murs écaillés aux mains du temps.

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D’autres œuvres se doublent d’un hommage à la ville de Saïda dont Young propose sa lecture personnelle, son port naguère bouillonnant, les ruelles sinueuses de son souk aux infinies couleurs, ses commerçants sur leurs chaises de rotin. Le parcours continue dans les dix autres petites salles, les corridors, les chambres réservées au massage et les saunas où chacune des toiles exhume un moment, le reflet d’un rayon de soleil, la silhouette d’un baigneur passé par là. Ces tableaux sont d’autant plus troublants qu’ils agissent comme un miroir inversé du hammam tel qu’il est actuellement, comme une mise en abyme qui représente le passé de ce lieu dans le lieu d’aujourd’hui. Et en ces temps anxiogènes, quand l’avenir nous semble tellement incertain, il n’y a rien de plus satisfaisant que de se replier sur les trésors du passé. Ils sont notre seule boussole au milieu de la tempête.

*« Revival » de Tom Young au Hammam al-jadeed, souk de Saïda, Liban.

Durant tout l’été 2021. De 11h à 19h. Tél. : 81/282848

L’œuvre de Tom Young a cela de singulier qu’elle ne laisse pas indifférent. Loin d’être consensuelle ou en tout cas de répondre à des canons artistiques bien codifiés, on y adhère ou pas du tout, et ce sont précisément ces sentiments ambivalents qui font qu’une œuvre vaut la peine qu’on s’y penche. Ce qui est difficile à contester, en revanche, c’est qu’au-delà des...

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