La séance parlementaire de samedi a marqué le week-end écoulé et chaque partie l’interprète selon ses souhaits. Mais ce qui semble sûr, c’est qu’elle n’a pas constitué un facteur déterminant dans le processus de formation du gouvernement.
Comme il se l’était promis, le président de la Chambre Nabih Berry a réussi à désamorcer ce qu’il considérait comme une bombe et qui se résumait pour lui à pousser le président du Conseil désigné Saad Hariri vers la sortie... Le compromis qu’il a élaboré en accord avec ses proches consistait donc à confirmer la désignation de ce dernier pour former le gouvernement, tout en lui demandant d’agir en coordination avec le président de la République comme le précise la Constitution. À partir de cette formulation qui se veut équilibrée et qui a été adoptée par les députés, sauf ceux du groupe parlementaire aouniste et ceux des Forces libanaises, Nabih Berry peut recommencer désormais à concevoir une nouvelle médiation. Après une certaine éclipse, il est ainsi redevenu le principal acteur de ce processus qui ne semble pas près de se terminer.
Tout avait commencé par un appel téléphonique du chef de l’État au président de la Chambre pour la fête du Fitr. Michel Aoun en a profité pour annoncer à son interlocuteur qu’il compte envoyer une lettre au Parlement via son président dans une tentative de briser le cercle vicieux gouvernemental. Selon des sources concordantes, Nabih Berry aurait immédiatement exprimé des réserves, craignant qu’il ne s’agisse d’un moyen détourné pour pousser les députés à retirer le mandat accordé à Saad Hariri pour former le gouvernement. Ce qui, selon lui, serait une première et exigerait un amendement de la Constitution.
Michel Aoun lui aurait alors promis de lui envoyer les grandes lignes de ce que devrait contenir la lettre avant de la dévoiler. De fait, le directeur général de la Sûreté, le général Abbas Ibrahim, homme de toutes les missions épineuses, s’est rendu à Aïn el-Tiné pour informer le président de la Chambre du contenu de la lettre présidentielle. Mais Nabih Berry n’a pas pour autant été convaincu. Il a réitéré sa position au chef de l’État, par le biais de Abbas Ibrahim mais aussi par téléphone, précisant que cette lettre pourrait avoir un effet désastreux, à savoir diviser le Parlement – ce qui ne peut qu’avoir des conséquences négatives pour les Libanais – et même se retourner contre le président en provoquant des réactions hostiles au sein de la rue sunnite.
Selon ses proches, le président de la Chambre tient en effet à ce que Saad Hariri reste le Premier ministre désigné et il estime que toute tentative de le pousser vers la sortie est non seulement anticonstitutionnelle, mais elle ne peut aussi que susciter des dissensions confessionnelles que le pays ne peut pas actuellement supporter.
De son côté, le chef de l’État, selon ses proches, ne peut plus endurer ce cercle vicieux dans lequel tourne le processus de formation du gouvernement depuis la désignation de Saad Hariri le 22 octobre 2020. Au bout de 18 rencontres qui tournaient toutes autour du même point (« J’ai remis au président une formule et il doit la signer »), Michel Aoun a de plus en plus l’impression que le Premier ministre désigné cherche à perdre du temps pour que la dernière année du mandat s’écoule dans une vacance au niveau de l’exécutif, alors que la situation économique, sociale et financière du pays est désastreuse. Il a donc trouvé ce procédé pour faire bouger les choses dans un sens ou dans l’autre. De plus, il est de plus en plus convaincu que le Premier ministre désigné cherche, pour une raison qu’il ignore, à marginaliser le rôle du chef de l’État dans la formation du gouvernement... Michel Aoun n’était donc pas d’accord avec Nabih Berry sur la possibilité que la lettre provoque une division au sein du Parlement, puisque de toute façon les divisions existent et que la meilleure façon à ses yeux d’aider le pays à sortir de la crise, c’est encore de former un cabinet au plus tôt pour entamer les réformes requises. Toutefois, le message du président de la Chambre sur un possible malaise au sein de la rue sunnite a été capté par Baabda et c’est pourquoi le chef de l’État a pris soin de ne pas évoquer clairement dans sa lettre au Parlement la possibilité pour Saad Hariri de renoncer à sa mission, se contentant de demander aux députés d’interpréter la Constitution au sujet de la formation du gouvernement. En principe, c’est la mission du Conseil constitutionnel. Mais comme il s’agit aussi d’une question politique c’est donc aussi aux députés de le faire.
Directement concerné par cette séance, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil avait, lui aussi, peaufiné son discours, prenant soin d’insister sur le fait que son parti et le groupe parlementaire qu’il préside ne veulent pas pousser Saad Hariri vers la sortie, mais au contraire le presser de former un gouvernement qui tienne compte des remarques présidentielles. Le chef du CPL avait sciemment choisi de parler dans un esprit d’ouverture et de calme dans le but de désamorcer les critiques que devait formuler le Premier ministre désigné, comme l’avaient annoncé ses proches. D’ailleurs, ce procédé lui a valu l’approbation de Nabih Berry qui, à la fin de la séance, s’est entretenu avec lui...
En principe, la séance ne devait pas être retransmise en direct, mais le président du Parlement a décidé de faire une exception à la règle qui veut que seules les séances consacrées à la discussion de politique générale du gouvernement le soient. Les Libanais ont ainsi pu voir sur leurs petits écrans le déroulement de la séance.
Au palais de Baabda, le chef de l’État a aussi allumé son poste de télévision. Il a écouté attentivement toutes les interventions et rapidement compris le message à peine dissimulé dans la prise de position finale annoncée par le président de la Chambre. Nabih Berry a ainsi fermement annoncé qu’il n’y a aucune possibilité de pousser Saad Hariri vers la sortie. En même temps, il a appelé ce dernier à former le gouvernement en accord avec le chef de l’État. Il estime avoir ainsi désamorcé la bombe qui aurait pu exploser à la figure de tous après la lettre présidentielle. Mais pour le camp présidentiel, il a surtout empêché cette lettre d’avoir le moindre impact concret sur la situation. D’ores et déjà, le président de la République et ses conseillers s’emploient à trouver d’autres moyens de faire bouger la situation et de sortir du cercle vicieux. D’autant qu’après la prise de position du Parlement, Saad Hariri se retrouve conforté dans son attitude et pourra garder la désignation dans sa poche, tout le temps qu’il souhaite sans être inquiété...
Au palais présidentiel, plusieurs options sont actuellement étudiées. Parmi celles-ci, l’idée que le chef de l’État adresse un message aux Libanais au sujet du blocage gouvernemental. Mais, selon les milieux de Baabda, cette option n’est pas la seule...
commentaires (11)
Toutes les séances devraient être transmises en direct dorénavant comme cela est le cas en Europe ou ailleurs ! Berri et ses manipulations ajoutée à la mauvaise foi du CPL et la mollesse très bizarre de Hariri s’entrechoquent et nous propulsent dans un cauchemar sans fin ! TFOU ,,,
Wow
15 h 14, le 24 mai 2021