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Lifestyle - La carte du tendre

Dans l’ombre du Léviathan à Zeitouné

Dans l’ombre du Léviathan à Zeitouné

L’ancêtre du ski nautique dans la baie de Zeitouné, Beyrouth 1935. Coll. Georges Boustany

La scène est familière, ou presque : tiré par un canot à moteur, un homme fait du ski nautique dans la baie de Zeitouné. À droite, on peut admirer la corniche de pierre de l’avenue des Français ; à gauche, le quai du port. Entre les deux se niche un quartier pittoresque, presque un village, composé de bâtiments traditionnels beyrouthins – pierres, arcades et tuiles. Les anciens identifieront, sur la corniche, les arches blanches du café Al-Hamra, et au milieu les cafés sur pilotis Hajj Daoud, Al-Bahri et Al-Bahrein. Il faut s’imaginer assis dans un de ces établissements perchés au-dessus des flots, avec une vue sensationnelle sur Zeitouné, l’hôtel New Royal et plus loin Mina el-Hosn et l’hôtel Saint-Georges, pour avoir le cœur serré devant ce que nous avons perdu.

En arrière-plan et dans l’humidité estivale, les montagnes qui entourent Beyrouth évoquent une silhouette de Léviathan, cette créature légendaire phénicienne qui personnifie, sous les traits d’un monstre marin, toutes les menaces du monde. Dans l’ombre du Léviathan qui va finir par la dévorer, Beyrouth est une île de lumière cernée par la mer, le sable rouge et or, les cactus et les pins parasols. Dans l’ombre du Léviathan qui fait mine de dormir en attendant son heure, Beyrouth l’insomniaque s’amuse à compter les étoiles.

Le sourire de notre héros du jour rayonne de bonheur. Monsieur est un jeune sportif bronzé, habitué des activités nautiques : son album de photos est un hommage à Mare Nostrum. Ce n’est donc pas un hasard s’il a choisi pour la fréquenter un établissement qui se nomme Bain Ondine et où vient d’emménager le club des Enfants de Neptune. Monsieur est dans le vent à tous les sens du terme : son maillot signe son appartenance à une certaine élite, et puis le ski nautique n’est pas un sport accessible au vulgum pecus, il faut déjà disposer d’un hors-bord hors de prix avant de penser monter sur les planches. Mais là où monsieur nous surprend vraiment, c’est par la date qu’il a inscrite au bas du tirage : 1935. Treize ans avant l’arrivée officielle du ski nautique à Beyrouth !

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Pour comprendre cet anachronisme, il faut scruter la photo à l’aide d’une loupe. En réalité l’homme ne fait pas de ski nautique à proprement dire : il est debout sur une périssoire, la haské, qui a longtemps fait la joie des baigneurs d’avant-guerre. Le canot tire la périssoire et non le skieur, qui ne tient debout que par sa capacité à garder l’équilibre : voilà un sacré exercice pour abdos, quadriceps et adducteurs. Il n’y a même pas de corde à laquelle l’on puisse s’accrocher !

En attendant d’être supplanté par le Saint-Georges qui vient d’être inauguré, le Bain Ondine est à cette époque-là le rendez-vous des jeunes branchés. Plage sur pilotis dotée d’une structure en bois de plusieurs étages d’où l’on peut plonger de très haut, il est situé à l’extrémité ouest de la baie de Zeitouné, entre le cinéma Alphonse et le Bain anglais. Fondé par Dabbous et Moghrabi sous le nom de Casino Miramar, l’établissement comptait 33 cabines en bois et des dizaines de périssoires au début des années 1930. En mai 1932, Rayess remplace Dabbous et rebaptise l’établissement Bain Ondine. Le lieu a beaucoup de succès auprès des femmes, auxquelles il consacre une aile protégée des regards indiscrets par des paillassons. Au moment où est prise cette photo, le club des Enfants de Neptune vient de s’y installer, après avoir fermé son QG de Medawar sis à la plage Côte d’Azur qui doit déménager à Jnah. Le Bain Ondine modernisé remporte un tel succès que la section réservée aux femmes accueille des hommes les samedis et dimanches, en raison de la forte affluence.

Succès fulgurant du ski nautique

Un an après cette photo, Olga et Michel Nader fondent le Saint Georges Yacht and Motor Club (SGYMC) qu’ils logent à l’hôtel Saint-Georges. C’est Michel, secondé plus tard par ses fils Serge et Patsy, qui va importer le ski nautique au Liban à partir de 1948 : les premiers fanatiques de ce sport se nomment Fred Zebouni, Joy Tabet, Robert Sabbagh, Jacqueline el-Khoury et Mamdouh Khodr, pour n’en citer que quelques-uns. Le SGYMC accueille dès 1952 le premier championnat libanais et trois ans plus tard le premier championnat du monde.

Le succès du ski nautique est fulgurant : en 1963, il se vend dix paires de skis à Bab Edriss ; dix ans plus tard, trois mille. En 1973, ils sont cinq cents réguliers et cinq mille occasionnels à pratiquer ce sport qui a entre-temps investi Jounieh et Chekka. Un « sport de riches » (six livres les 15 minutes, sans compter l’équipement) à ce point populaire qu’on envisage, dès 1970, d’en créer des clubs subventionnés par l’État afin que tous y aient accès.

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Comme tout sport, le ski nautique aura ses légendes libanaises : citons entre de nombreux autres Mounir Itani, Eddy Arida – qui vient de nous quitter –, Claudette el-Khoury et surtout Simon Khoury. En 1948, Simon n’a que quinze ans lorsqu’il pratique ce sport pour s’entraîner au slalom sur neige. En quelques années, il remporte 170 concours internationaux et se retrouve à la tête de la plus grande école de ski nautique des États-Unis, Cypress Gardens.

Le Léviathan se réveille finalement en 1975. Le monstre balaie le centre-ville et le front de mer d’un coup de queue. Désormais livrée aux appétits du dieu fric, Zeitouné sera comblée de détritus et des ruines du vieux Beyrouth sous couvert d’un plan d’urbanisme élaboré par la municipalité à la fin des années 1950 et comportant une voie rapide port-Saint-Georges et un jardin public. Privatisées à outrance, les deux baies sont désormais fermées aux sports nautiques. Le peuple n’a qu’à aller nager à Ramlet el-Baïda en attendant qu’on la privatise, elle aussi. Et le jardin public de Zeitouné ? Il est toujours en chantier, comme le reste des projets non lucratifs qui n’intéressent que la santé physique et mentale des Beyrouthins.

Auteur d’« Avant d’oublier » (Les éditions « L’Orient-Le Jour »), Georges Boustany vous emmène, toutes les deux semaines, visiter le Liban du siècle dernier à travers une photographie de sa collection. Un voyage entre nostalgie et émotion, à la découverte d’un pays disparu.

La scène est familière, ou presque : tiré par un canot à moteur, un homme fait du ski nautique dans la baie de Zeitouné. À droite, on peut admirer la corniche de pierre de l’avenue des Français ; à gauche, le quai du port. Entre les deux se niche un quartier pittoresque, presque un village, composé de bâtiments traditionnels beyrouthins – pierres, arcades et tuiles. Les anciens...

commentaires (1)

C'est une belle photo qui a un peu l'air d'une carte postale. L'architecture des batiments me fait penser au port de Jbeil ou au vieux centre de Jounieh ... C'est interessant de voir comment la ville de Beyrouth etait dans le passe.

Stes David

12 h 52, le 24 mai 2021

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Commentaires (1)

  • C'est une belle photo qui a un peu l'air d'une carte postale. L'architecture des batiments me fait penser au port de Jbeil ou au vieux centre de Jounieh ... C'est interessant de voir comment la ville de Beyrouth etait dans le passe.

    Stes David

    12 h 52, le 24 mai 2021

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