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Société - Éclairage

Enquête sur le 4 août : cette perquisition tardive qui sème le doute

Selon des informations obtenues par « L’OLJ », la voiture des ouvriers chargés des travaux au port de Beyrouth le jour de la déflagration a été récemment saisie par la justice. Une opération qui est intervenue huit mois après la tragédie, et alors que la piste de la soudure a été prise très au sérieux par les enquêteurs...

Enquête sur le 4 août : cette perquisition tardive qui sème le doute

Les trois ouvriers de la compagnie Chébli lors des travaux sur le hangar 12 au port de Beyrouth le 4 août 2020. Photo ayant largement circulé sur les réseaux sociaux au lendemain du drame

C’est une perquisition guère anodine qui a eu lieu à Chemlane le 4 avril dernier, jour des Pâques catholiques. La police judiciaire a saisi la camionnette des ouvriers de la compagnie Chébli qui effectuaient des travaux de soudure sur le hangar 12 le jour de l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. L’information a été rapportée à L’OLJ par des sources judiciaires proches du dossier et confirmée par les témoins de cette opération. La saisie de ce matériel, huit mois après la tragédie, et alors que la piste de la soudure a été prise très au sérieux par les enquêteurs pour déterminer les causes de l’explosion, pose de sérieuses questions sur la conduite de l’enquête.

La perquisition s’est déroulée dans ce village du caza de Aley qui n’est autre que le lieu d’habitation de Salim Chébli, l’entrepreneur qui détient la compagnie de maintenance électrique qui était en charge d’effectuer des réparations pour sécuriser le bâtiment qui abritait les tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans le port de la capitale depuis 2014 et dont la déflagration a coûté la vie à plus de 200 personnes, fait 6 000 blessés et entraîné des dommages matériels considérables. Rapidement après le drame, les autorités ont commencé à évoquer la piste d’une explosion accidentelle liée aux travaux de soudure qui étaient menés ce jour-là. Salim Chébli et ses trois ouvriers ainsi que 21 autres personnes impliquées de différente manière dans ce dossier avaient été placés en détention.

Alors que la machine à soudure qui a servi à l’exécution des travaux est entre les mains de la justice depuis les jours qui ont suivi l’explosion, cela n’était pas le cas du reste des outils contenus dans la camionnette des ouvriers. Il a donc fallu huit mois pour que les services de renseignements se rendent à nouveau au domicile de Salim Chébli pour saisir le véhicule. La perquisition s’est déroulée en présence du maire du village et de l’épouse de l’entrepreneur, mais en l’absence de son avocat. Selon la municipalité de Chemlane, contactée par L’OLJ, l’opération a duré de longues heures durant lesquelles la police judiciaire a procédé à l’inventaire de toutes les pièces contenues dans la camionnette, soit de nombreux outils allant du simple tournevis à une série de fils électriques. La municipalité indique ne pas avoir vu d’appareil électrique ni quoi que ce soit qui ait retenu son attention. « De simples outils de maintenance », affirme-t-elle à L’OLJ.

Un manque de sérieux

Si la thèse de la soudure a retenu à ce point l’attention des enquêteurs, comment se fait-il qu’une telle pièce à conviction ait pu être laissée à l’abandon aussi longtemps après le drame ?

« La camionnette était garée sur le bas-côté d’une petite route près de la maison. N’importe qui de la famille Chébli aurait pu en faire usage durant cette période », indique-t-on à la municipalité de Chemlane. Le véhicule n’aurait toutefois pas bougé depuis la première perquisition effectuée au mois d’août, durant laquelle la police s’est contentée de récupérer la machine à soudure sans se soucier du reste. « Il leur faut huit mois pour réaliser que tout le matériel n’est pas entre leurs mains? » interroge le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf. Contacté par L’OLJ pour commenter cette perquisition tardive, le président de l’ordre des avocats, qui s’occupe de défendre les plaignants dans ce dossier, a exprimé son inquiétude. Il évoque un manque de sérieux alors que la partie civile s’impatiente d’avoir des réponses. « On tourne en rond sur cette question de soudure et on n’explore pas assez les autres éventualités », affirme Me Khalaf, qui se dit sceptique concernant cette thèse. « Si vous écartez la piste de la soudure, alors celle de l’acte criminel intentionnel devient évidente, mais c’est comme si personne ne souhaitait chercher de ce côté-là. »

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Contacté par L’OLJ pour savoir si l’étau se resserre sur son client, l’avocat de l’entrepreneur Salim Chébli n’est pas du même avis que le bâtonnier. Selon Fadi Haddad, toutes les pistes sont étudiées par le juge d’instruction Tarek Bitar et toutes les personnes impliquées dans ce dossier sont inquiétées par l’enquête en cours. « De mon côté, je suis convaincu que la soudure n’a rien à voir avec tout cela pour une quantité de raisons. La nature de la machine employée ainsi que les images l’ont prouvé. Sans compter que le départ du feu a eu lieu à un endroit différent de celui où ont été menés les travaux », indique l’avocat de Chébli, selon lequel le juge près la Cour de justice est en train de procéder à toutes les vérifications avant d’éliminer une thèse ou une autre. Une source judiciaire proche de Tarek Bitar affirme qu’une simulation réelle des travaux de soudure avec la machine utilisée le 4 août allait bientôt être réalisée en vue de vérifier si l’incendie déclenché dans le hangar est la conséquence de ces opérations de maintenance.

Pression gigantesque

C’est à la fin du mois de février dernier que le juge Tarek Bitar s’est vu désigné successeur de Fadi Sawan dans l’instruction de cette affaire sans précédent dans l’histoire du Liban. Le juge Sawan avait été dessaisi de l’enquête par la Cour de cassation le 18 février au motif d’une présomption de partialité. « Le juge Bitar a récupéré le dossier il y a deux mois et demi. Le premier mois, il a dû le lire et se familiariser. Le deuxième, il a dû interroger tous les détenus, puis il a procédé à la libération de ceux dont la détention était vraiment trop peu justifiée », affirme cette même source, en référence à la remise en liberté le 15 avril dernier de cinq personnes, parmi lesquelles figurait le commandant au bureau de la Sécurité de l’État, le capitaine Joseph Naddaf.

Interrogée sur la perquisition tardive du véhicule des ouvriers et du reste des outils, cette source proche du juge d’instruction indique que Tarek Bitar n’est pas celui à qui il faut adresser ce reproche, dans une allusion à peine voilée au juge Fadi Sawan.

« Toutes les pièces doivent être entre les mains de la justice. Nous nous sommes rendu compte rapidement que ce matériel était manquant, alors il a fallu le saisir immédiatement. » Selon elle, le juge Bitar est soumis à une pression gigantesque, compte tenu de l’ampleur du drame et de l’émotion qu’il suscite au sein de l’opinion publique. « Toutefois, il ne peut être comptable des manquements antérieurs à sa nomination. » Par ailleurs, le juge d’instruction ne privilégierait pas la thèse de la soudure à une autre pour expliquer la cause de l’explosion. « Les pistes d’une attaque aérienne, d’une entreprise terroriste au sol ou d’un accident sont toutes à l’étude », déclare cette source, qui affirme que le juge Bitar a envoyé vingt demandes d’entraide judiciaire externes et réclamé à treize nouveaux pays de fournir des images satellitaires et mobilisé tous les appareils de renseignements internes. « Les gens pensent qu’il ne se passe rien parce que le juge travaille en silence. Mais ce travail se fait tout le temps et sans relâche. L’affaire est énorme et c’est une période où toutes les données sont réunies pour constituer un dossier qui va permettre au juge Bitar d’atteindre tous les responsables de cette tragédie. »

C’est une perquisition guère anodine qui a eu lieu à Chemlane le 4 avril dernier, jour des Pâques catholiques. La police judiciaire a saisi la camionnette des ouvriers de la compagnie Chébli qui effectuaient des travaux de soudure sur le hangar 12 le jour de l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. L’information a été rapportée à L’OLJ par des sources judiciaires proches...

commentaires (5)

On veut essayer de prouver que cette explosion du port est le fruit du hasard . Donc les compagnies d 'assurance ne vont rien payer . Triste .

Antoine Sabbagha

16 h 01, le 09 mai 2021

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Commentaires (5)

  • On veut essayer de prouver que cette explosion du port est le fruit du hasard . Donc les compagnies d 'assurance ne vont rien payer . Triste .

    Antoine Sabbagha

    16 h 01, le 09 mai 2021

  • Bientôt nous connaîtrons la vérité sur cette catastrophe, lorsqu’il n’y aura plus de milices armées ni une justice au service de ce pouvoir vendu.

    Sissi zayyat

    15 h 49, le 08 mai 2021

  • encore une fois m. Bitar risque de mal gerer son dossier PARCE QU'IL FAIT FACE A D'ENORMES PRESSIONS ? c'est quoi ca ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 13, le 08 mai 2021

  • Ben oui...!!!...le simple tournevis...fallait y penser dès le début. Ensuite, les pantalons trop larges de deux des ouvriers, cela a aussi pu déclencher l'explosion...non...??? - Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 24, le 08 mai 2021

  • Sans m'étendre sur les raisons de la présence des nitrates, et sur les autres produits explosifs entreposés dans le même entrepôt ou les entrepôts voisins, je considère que la raison de l’explosion est probablement accidentelle et peut bien être le résultat d’une étincelle. Etonnamment, les nombreux avis concernant l'explosion de ce qui restait des 2750 tonnes de nitrate d'ammonium ne font aucun rapprochement avec les silos contigus à l'entrepôt N° 12. Or il est bien connu que les opérations de réception et de livraison des grains dans les silos génèrent des poussières et poudres (composées d’hydrates de carbone et de matières cellulosiques au pouvoir fortement réducteur) qui peuvent s'enflammer du fait d'une étincelle et entraîner l'explosion des silos (exemple explosion des silos de Strasbourg en 2018). Pour éviter ce genre d'accident ces poussières et ces poudres sont évacuées des silos par des ventilateurs qui les rejettent à l'extérieur. L’entrepôt N°12 étant situé en contrebas des silos, le nitrate d’ammonium restant dans l'entrepôt N°12 devait être recouvert d’une quantité importante de poussières et poudres provenant des silos. Ces matières étaient intimement mélangées aux nitrates des sacs déchirés (voir les photos des sacs éventrés recouverts d'une couche épaisse de poussière). L’opération de soudage peut avoir causé un petit feu et ce feu devenu plus important, a provoqué l'explosion.

    Moussalli Georges

    01 h 39, le 08 mai 2021

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