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Société - Présidentielle syrienne

Les réfugiés anti-Assad au Liban craignent les pressions des partisans du régime

Alors que des organisations syriennes et des partis libanais favorables à Damas cherchent à mobiliser les électeurs par tous les moyens, les opposants dénoncent des manœuvres d’intimidation et de trucage.

Les réfugiés anti-Assad au Liban craignent les pressions des partisans du régime

Les électeurs se pressent pour voter à l’ambassade de Syrie au Liban au cours de la dernière élection présidentielle, en 2014. Joseph Eid/Archives AFP

Bien que la victoire de Bachar el-Assad à l’élection présidentielle soit considérée comme étant largement acquise, les forces qui lui sont favorables se démènent auprès de centaines de milliers de réfugiés syriens au Liban, par des moyens souvent discutables et stigmatisés par l’opposition, pour assurer un taux élevé de participation au vote, preuve tangible du pouvoir du chef de l’État syrien, qui entame sa troisième décennie de pouvoir, malgré dix années de l’une des guerres les plus dévastatrices de l’histoire moderne du Proche-Orient.

Depuis l’annonce de la date des élections, des organisations syriennes ainsi que des personnalités et des partis politiques libanais sympathisants du régime du président Bachar el-Assad tentent de rallier les Syriens vivant au Liban et, selon certains, de les menacer pour inscrire leur nom sur les listes électorales. L’élection présidentielle en Syrie est prévue le 26 mai courant, les Syriens vivant à l’extérieur du pays devant voter pour leur part dans les ambassades dès le 20 mai.

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L’Association des travailleurs syriens au Liban, un groupe pro-Assad qui coordonne son action avec l’ambassade de Syrie, a exhorté les électeurs à participer à ces élections qualifiées de « jalon important dans l’histoire contemporaine de leur pays, victorieux du terrorisme, d’un siège et de sanctions ». Des groupes de volontaires de l’organisation enregistrent les noms des Syriens intéressés par le vote, indique à L’Orient Today le chef de cette association, Moustapha Mansour. « Nous tenons des réunions dans une municipalité, un centre ou un restaurant, nous leur expliquons les élections et ce qu’ils doivent faire » mais, ajoute-t-il hâtivement, « nous ne leur disons pas pour qui voter ». Des listes sont mises au point avec les noms et les numéros de téléphone, afin de pouvoir organiser le transport jusqu’à l’ambassade à Baabda, ajoute-t-il, alors que, normalement, tout citoyen syrien âgé de plus de 18 ans devrait pouvoir voter sans s’inscrire à l’avance.

La campagne électorale se déroule non seulement dans les régions sous l’influence des partis favorables au régime mais aussi dans celles généralement considérées comme des bastions de l’opposition, Mansour soulignant à ce sujet que plusieurs réunions ont eu lieu dans le Akkar et qu’un millier de personnes étaient attendues à Tripoli.

Un autre son de cloche est entendu dans les rangs de l’opposition, où il est question de menaces et de désinformation de la part du camp favorable à Assad. Ainsi, deux réfugiés vivant dans la région de Minié, au nord de Tripoli, affirment à L’Orient Today que les Syriens de la région ont été convoqués à une réunion tenue par le groupe de Mansour la semaine dernière au bureau d’un homme d’affaires libanais proche du parti Baas au pouvoir à Damas, Mohammad Matar.

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L’un des deux Syriens, qui s’expriment sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles, précise que de nombreux réfugiés qui se sont présentés à cette réunion en ignoraient le motif. La veille, un homme circulant en Mercedes lui avait demandé de faire savoir aux Syriens de la région qu’une réunion avec des représentants de l’ONU se tiendrait pour une distribution d’aides. Lorsqu’il est arrivé devant le bureau de l’homme d’affaires Matar, quelque 500 personnes attendaient à l’extérieur mais, après avoir appris que la rencontre portait sur l’élection syrienne, « 80 % d’entre elles sont reparties », dit-il. Selon le deuxième réfugié syrien, des inconnus avaient fait le tour des camps de la région, avant et après la réunion, pour avertir les « shawish », ou chefs de camp, que des gangs pourraient attaquer leurs communautés s’ils ne participaient pas à cette réunion et s’ils n’incitaient les résidents à prendre part au vote.

Un camp incendié

Ce genre de menaces trouve encore plus d’écho auprès des Syriens depuis qu’un groupe de Libanais a incendié un camp dans la localité de Bhannine en décembre dernier, forçant 400 réfugiés à prendre la fuite pour avoir la vie sauve. Bien que la plupart des Syriens de la région soient opposés à Assad, dans les camps la crainte est vive de faire face à toutes sortes de problèmes, voire d’en être expulsé si on s’abstient de voter. Dans le souci de vérifier ces allégations, L’Orient Today a tenté de joindre Matar via WhatsApp, mais l’homme d’affaires a déclaré être « occupé » et a refusé de parler de la réunion.

Mansour, le leader de l’Association des travailleurs syriens, nie, pour sa part, que des pressions soient exercées sur les Syriens pour participer à l’élection ou voter pour Assad : « Non, non, ils sont libres (…) C’est la démocratie. Qui veut voter peut voter (…) Nous n’avons pas le droit de forcer celui qui ne veut pas venir et de lui demander la raison pour laquelle il n’est pas venu. » Tout en soutenant que la plupart des Syriens appuient Assad, Mansour insiste pour dire que les opposants n’ont rien à craindre s’ils se rendent aux urnes. « Nous avons également d’autres candidats dont nous mettrons les photos en ligne, et quiconque veut voter pour eux sera le bienvenu. »

Pour mémoire

Ces réfugiés syriens en exil dans un pays qui ne veut pas d’eux

Des pressions sont également exercées par des partis politiques libanais gravitant traditionnellement dans l’orbite syrienne, rapporte le représentant d’un groupe local de surveillance, le Centre d’accès pour les droits de l’homme, selon lequel des membres de ces partis se rendent auprès des Syriens et les forcent à s’inscrire sur les listes électorales. Dans un communiqué, le Centre indique que les chefs de camp auraient fait un tour dans la région de Qaa, à Baalbeck, pour inscrire les résidents sous la menace de répercussions qui seraient entreprises par une agence de renseignements non identifiée.

Il reste que l’élection à la présidence syrienne crée des sensibilités particulières à Minié, où des Libanais anti-Assad ont déjà accusé les Syriens de la région d’être en faveur du régime. Après la destruction du camp de Bhannine, une délégation de l’ambassade syrienne s’était rendue sur place pour apporter des aides en espèces à des certaines des familles déplacées. Certains des réfugiés qui ont reçu cette aide à l’époque avaient depuis été contraints de s’inscrire pour voter, indique le Centre alors que des Syriens de Minié estiment que cette visite a attisé les tensions entre Libanais et Syriens de la région et craignent que la question des élections ne soit désormais instrumentalisée pour les séparer davantage.

« Cette question va certainement avoir un impact négatif sur les Syriens, les habitants de Minié pouvant affirmer que ceux qui soutiennent le régime ne sont pas en fait des réfugiés et doivent donc partir », dit l’un des Syriens. « 90 % des Syriens vivant dans les camps poseront un bulletin dans l’urne, car ils sont sous pression », proclame le deuxième. « Quant aux Syriens qui vivent dans des maisons hors des camps, ils ne craignent pas les pressions, ni par exemple d’être brûlés vifs dans leur tente, donc ils ne voteront pas », ajoute-t-il.

La signification symbolique du vote des réfugiés

Bien que 51 candidats se présentent à l’élection en Syrie, la victoire d’Assad, dont la famille gouverne le pays d’une main de fer et sans partage depuis un demi-siècle, est largement considérée comme acquise. Cela est extrêmement important pour le pouvoir en place mais pas suffisant. Selon un spécialiste de la Syrie à l’Agence suédoise de recherche sur la défense, Aron Lund, un fort taux de participation serait un facteur de poids pour les autorités syriennes, car considéré comme « une preuve tangible du pouvoir d’Assad, même après toutes ces années de guerre ».

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Lors des dernières élections syriennes en 2014, remportées par Assad avec 88,7% des voix, des masses d’électeurs s’étaient agglutinées dans les rues autour de leur ambassade au Liban le jour du scrutin. Ces scènes avaient été exploitées par le régime pour soi-disant « montrer qu’Assad conservait un réel soutien et, plus important encore, que de nombreux Syriens estimaient toujours que l’issue du conflit était incertaine et qu’ils n’étaient pas désireux ou capables de couper les liens avec les autorités de leur pays », déclare le spécialiste.

Mais au-delà de ces considérations, Lund estime que le cadre électoral pourrait mieux éclairer les futures discussions sur le retour des réfugiés : « Si les Syriens de la diaspora peuvent être amenés à voter en grand nombre, le gouvernement s’en servira pour se présenter comme un partenaire nécessaire et crédible dans l’organisation du retour des réfugiés. »

En fait, l’association des travailleurs syriens au Liban s’est déjà penchée sur les retours. Le groupe aidait à inscrire des réfugiés aux voyages de « retour volontaire » organisés par la Sûreté générale du Liban avant que la pandémie de Covid-19 y mette un terme, souligne Mansour, qui formule l’espoir que les élections syriennes constitueront un pas en avant pour convaincre la communauté internationale de lever les sanctions et de financer la reconstruction du pays. « S’il y avait reconstruction, vous verriez plus de gens rentrer », conclut-il.

(Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de L’Orient Today, le 30 avril 2021)

Bien que la victoire de Bachar el-Assad à l’élection présidentielle soit considérée comme étant largement acquise, les forces qui lui sont favorables se démènent auprès de centaines de milliers de réfugiés syriens au Liban, par des moyens souvent discutables et stigmatisés par l’opposition, pour assurer un taux élevé de participation au vote, preuve tangible du pouvoir du chef...

commentaires (3)

Qu’importe le taux de participation ou le score déjà connu que Assad aura. Il a déjà la bénédiction du monde civilisé et du monde archaïque. Il pourrait fanfaronner et claironner sa victoire indiscutable et recevoir toutes les aides pour reconstruire ce pays qu’il a détruit de ses propres mains pour étendre à nouveau son despotisme et terroriser son peuple. Le monde est fou, le monde s’en fout.

Sissi zayyat

13 h 05, le 05 mai 2021

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Commentaires (3)

  • Qu’importe le taux de participation ou le score déjà connu que Assad aura. Il a déjà la bénédiction du monde civilisé et du monde archaïque. Il pourrait fanfaronner et claironner sa victoire indiscutable et recevoir toutes les aides pour reconstruire ce pays qu’il a détruit de ses propres mains pour étendre à nouveau son despotisme et terroriser son peuple. Le monde est fou, le monde s’en fout.

    Sissi zayyat

    13 h 05, le 05 mai 2021

  • Nous sommes entre deux chaises , entre l'humanisme et l'empathie pour ce peuple martyrisé qui est majoritairement bon et la rancune que nous ressentons envers ceux d'entre eux qui nous ont martyrisé, situation perverse s'il en est.....

    Christine KHALIL

    11 h 47, le 05 mai 2021

  • Mais qu’ils nous foutent la paix et qu’ils retournent dans leur pays puisqu’ils l’aiment tellement. Ils nous ont volé nos devises en temps de paix et avaient volé tout ce qu’il leur tombait entre les mains du temps de l’occupation syrienne sans parler des crimes et des enlèvements.

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 52, le 05 mai 2021

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