
Des réfugiés syriens dans un centre du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le 29 mai 2014. Anwar Amro/AFP
« Enta Souré ? (Tu es Syrien ?). Cette phrase, que j’entends tous les jours, a fini par me hanter. » Originaire de Zabadani, à la frontière libanaise, Ahmad est arrivé au Liban en 2014 pour fuir la répression du régime syrien. « Je me suis fait arrêter à un check-point car mon porte-clés avait le sigle de l’Armée syrienne libre (ASL). J’ai été battu et maltraité pendant près d’un mois dans un commissariat. Une fois sorti, j’ai quitté la Syrie pour le Liban illégalement. » Il débarque dans le camp palestinien de Bourj al-Brajné pour rejoindre son cousin et sa famille. « Durant mes premières semaines au Liban, l’adaptation à ce nouvel environnement a été particulièrement difficile. Ici, on nous fait clairement comprendre que nous ne sommes pas les bienvenus, dans les transports, dans les administrations et les magasins », explique le jeune homme de 27 ans à l’allure frêle. Pour fuir la violence du régime ou plus généralement la guerre, plus d’un million de Syriens ont afflué vers le Liban, qui n’a pas fermé ses frontières durant les premières années du conflit et qui constituait pour beaucoup la porte de sortie la plus simple. « Au moins ici, on parle l’arabe, pas comme en Turquie où il faut apprendre la langue avant de pouvoir travailler », dit Ahmad.
Six cent mille Syriens vivaient déjà au Liban avant la guerre, selon les Nations unies. Beaucoup d’entre eux travaillaient dans le secteur du bâtiment, constituant une main-d’œuvre bon marché pour les entrepreneurs immobiliers libanais. « Mon cousin qui habitait au Liban depuis quelques années a réussi à me faire travailler avec lui et son “mouallem” (maître de chantier) pour une paye ne dépassant pas les 20 000 livres libanaises par jour », poursuit Ahmad qui, comme de nombreux jeunes Syriens, a dû se résoudre à travailler dans ce secteur pour subvenir à ses besoins. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 865 331 réfugiés syriens étaient enregistrés au Liban en décembre 2020 sur les registres de l’ONU. Ceux-ci bénéficient d’une enveloppe de 400 000 LL par mois, transférés par le HCR, et 100 000 LL supplémentaires par personne et par mois fournis par le Programme alimentaire mondial. Mais de nombreux réfugiés, surtout les jeunes hommes, ne voient pas l’utilité de s’enregistrer, ce qui fait que les chiffres réels seraient beaucoup plus élevés (aux alentours d’un million cinq cent mille). Chaque année, entre 1,2 et 1,5 milliard de dollars sont alloués pour gérer l’afflux massif des réfugiés au Liban. Dans un pays ayant déjà une histoire compliquée avec la Syrie et où le racisme antisyrien est prégnant, cette crise a provoqué un vif ressentiment d’autant que le conflit syrien a eu un impact économique important sur le Liban dont la croissance est passée de 8,5 % en 2010 à 1,5 % en 2012.
« Ne feraient-ils pas la même chose pour sauver leur peau ? »
Farah, réfugiée syrienne au Liban depuis 2017, est originaire de la région de Aïn Arab (Kobani), à quelques kilomètres de Jarablos, jouxtant la rive est de l’Euphrate. Sa région a été prise dans un premier temps par les Forces démocratiques syrienne (FDS) – dominées par les combattants kurdes et soutenues par les Occidentaux – et plus récemment, à la fin de l’année 2019, l’armée syrienne et les Russes s’y sont déployés. Après la bataille féroce contre l’État islamique (EI), les FDS refusent le retour des populations arabes sunnites accusées de connivence avec le groupe jihadiste. Farah ne peut plus rentrer chez elle. « Mon mari est un gardien d’immeuble et il vit au Liban depuis les années 2000. Nous avons franchi la frontière de nuit quelque part dans le Akkar. À notre arrivée, les Syriens installés dans notre quartier nous ont beaucoup aidés. Ils nous ont donné des couvertures, des matelas... cet élan de solidarité, je ne l’oublierai jamais », dit-elle. Cette mère de quatre enfants a été également confrontée au racisme le plus ordinaire. « Ici nous vivons reclus. Il nous est très difficile de nous déplacer sans carte de séjour. Nombreux sont nos amis qui se sont fait arrêter par l’armée à des check-points et sont détenus pendant parfois de longues semaines », raconte-t-elle avec inquiétude. « Nous comprenons le ressentiment des Libanais envers les Syriens. Mais je leur demande en retour de nous comprendre, ne feraient-ils pas la même chose pour sauver leur peau et celle de leur famille ? » Le Liban n’a pas accepté de créer des camps de réfugiés à proprement parler comme proposé par les organisations internationales au début du conflit. Les implantations de réfugiés syriens ont été faites de manière chaotique, augmentant les obstacles pour acheminer de l’aide aux réfugiés dans le besoin.
80 % veulent partir
La fille aînée de Farah, Aya, a 12 ans. Ses premières années de vie ont été bercées par les raids aériens et le bruit des bombes. Sa mère se souvient que lorsqu’ils sont arrivés au Liban, la vue d’un militaire ou d’une personne en arme provoquait chez elle des crises de panique. Cette petite fille n’a quasiment jamais été à l’école. Au Liban, le programme des Nations unies pour l’intégration des enfants syriens dans le système scolaire a été limité par la dissémination des réfugiés sur l’intégralité du territoire. D’autre part, le programme scolaire libanais proposé aux réfugiés en français ou en anglais a démotivé de nombreux élèves qui n’arrivaient pas à suivre le contenu des cours, sans un soutien possible des parents. Selon l’Unicef, sur les 488 000 enfants syriens en âge d’aller à l’école au Liban, plus de la moitié ne sont pas scolarisés.
Si 80 % des Syriens présents au Liban disent vouloir rentrer dans leur pays, selon les Nations unies, la situation économique et la victoire du régime syrien et ses alliés russe et iranien n’offrent pas une conjoncture favorable pour un retour en sécurité. De nombreux jeunes refusent également de rentrer pour ne pas à avoir à effectuer leur service militaire. Le HCR estime que 66 000 Syriens ont quitté le Liban pour rentrer en Syrie depuis 2016, ce chiffre ne prenant en compte que ceux qui ont fait une démarche officielle. Selon l’organisation onusienne, ils seraient bien plus nombreux. Alors que les retours s’étaient accélérés depuis la crise économique au Liban, la crise sanitaire et la fermeture des frontières entre le Liban et la Syrie a interrompu cette dynamique. Farah souhaiterait rentrer en Syrie, mais cela lui est impossible d’un point de vue financier pour l’instant. « Nous sommes cinq, moi et les quatre enfants. Pour rentrer, il nous faut tous un test PCR valide, ce qui équivaut à 500 000 LL. Puis l’État syrien demande 100 dollars par personne pour pouvoir passer la frontière légalement. Le chauffeur demande au moins 500 000 LL. Mon mari gagne 1 million de livres par mois et cela nous suffit à peine pour survivre. » Depuis l’été 2020, le régime a émis un décret contraignant les ressortissants syriens à échanger 100 dollars dès leur entrée dans le pays, par voie terrestre ou aérienne, contre l’équivalent en livres au taux officiel. Depuis plus d’un an, les réfugiés Syriens ont subi de plein fouet les répercussions économiques de la crise qui a frappé le Liban. Selon le HCR, neuf Syriens sur dix vivent aujourd’hui dans l’extrême pauvreté au Liban, une augmentation nette de 39 % juste pour l’année 2020.
« Enta Souré ? (Tu es Syrien ?). Cette phrase, que j’entends tous les jours, a fini par me hanter. » Originaire de Zabadani, à la frontière libanaise, Ahmad est arrivé au Liban en 2014 pour fuir la répression du régime syrien. « Je me suis fait arrêter à un check-point car mon porte-clés avait le sigle de l’Armée syrienne libre (ASL). J’ai été battu et...
commentaires (7)
Les refugiés syriens ont vocation a rentrer chez eux immediatement. Le liban ne peut supporter un tel poids en cette periode difficile . Merci aux autorités libanaises de leur montret le chemin pour rentrer eux sans plus tarder. 10 ans de mendicité ca suffit !
nabil zorkot
23 h 37, le 30 mars 2021