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Économie - Interview

Garbis Iradian : Harmoniser les taux de change n’aggravera pas nécessairement la dépréciation de la livre

À l’occasion de la publication la semaine passée d’une étude de l’Institut de la finance internationale (IFI), intitulée « Unification des taux de change : une politique cohérente est la clé », Garbis Iradian, économiste en chef de l’organisation pour la zone du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et ancien du Fonds monétaire international (FMI), revient pour « L’Orient-Le Jour » sur ses principales conclusions.

Garbis Iradian : Harmoniser les taux de change n’aggravera pas nécessairement la dépréciation de la livre

L’économiste en chef de l’organisation pour la zone du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et ancien du Fonds monétaire international (FMI), Garbis Iradian. Photo DR

Le mois passé, le Liban est le pays qui a connu le plus grand écart (un spread de 720 %) parmi les 12 États retenus pour l’étude entre le taux de change officiel, fixé depuis 1997 par la Banque du Liban (BDL) à 1 507,5 livres pour un dollar, et le taux du marché parallèle, qui gravite depuis quelques semaines autour des 12 000 livres. Pouvez-vous revenir sur les causes de cet écart ?

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce fort différentiel, comme la mauvaise gestion de l’économie depuis la moitié des années 1990, ou encore un taux de change officiel grandement surévalué (le taux de change dollar/livre était supérieur à la valeur réelle du marché, qui est normalement déterminée par l’offre et la demande de livres sur le marché, impliquant donc une offre de monnaie nationale supérieure à la demande, NDLR). Sans oublier la pandémie de Covid-19, la crise économique et financière (que traverse le Liban depuis plus d’un an et demi, NDLR), la catastrophique explosion (meurtrière) au port de Beyrouth (le 4 août 2020), la perte de confiance des changeurs (et des agents économiques) en une classe politique très corrompue qui a paralysé la formation du gouvernement (depuis août dernier) tout comme le processus de réformes.

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Il est d’ailleurs malheureux que le Parlement continue de faire l’impasse sur les réformes attendues pour redresser la barre, que ce soit le lancement effectif de l’audit de la BDL ou encore l’adoption d’une loi instaurant un contrôle des capitaux. Car, selon mes estimations, les politiciens et certains déposants ont réussi à faire sortir du pays près de 7 milliards de dollars depuis fin 2019. Le Parlement corrompu est d’ailleurs la principale raison de la non-implémentation de ces réformes urgentes et nécessaires, car ce n’est pas dans l’intérêt de la classe politque de réformer l’économie (le système politique actuel est basé sur le clientélisme).

L’IFI a indiqué dans son rapport que l’instauration d’un taux de change unifié et flottant est essentiel en général pour rétablir la stabilité économique et rassurer les investisseurs. Est-ce toujours une solution viable compte tenu de l’importance du spread ?

Un taux de change officiel qui est plus fort que celui du marché parallèle décourage les investissements, contracte le marché interbancaire (marché des changes où les banques échangent différentes devises) et nuit au développement des entreprises.

De plus, de larges primes (les différences de prix entre deux pays voisins, le Liban et la Syrie, en l’occurrence, ce dernier pays étant en conflit et ciblé par de nombreuses sanctions, notamment américaines) encouragent la contrebande et le commerce illégal, comme ce qui se passe pour le carburant, subventionné par la BDL (à 90 % au taux officiel), qui est envoyé de manière illégale en Syrie. Les tentatives de contrôle du marché parallèle se sont révélées inefficaces au Liban (les autorités avaient arrêté plusieurs changeurs, illégaux et agréés au printemps 2020), comme en Iran.

Autant d’arguments qui appuient la nécessité d’ajuster le taux de change officiel avec celui du marché parallèle. Il sera nécessaire d’implémenter un taux de change flottant (dépendant de l’offre et de la demande, à la différence du taux de change fixe comme cela a été le cas au Liban durant plusieurs années, la banque centrale défendait la parité en injectant ou en retirant de la liquidité), comme ce fut le cas pour plusieurs économies émergentes. Cette stratégie sera encouragée par le Fonds monétaire international (FMI), qui recommandera plus de flexibilité dans le marché des changes libanais. En observant les pays qui ont dû le faire, on constate que l’harmonisation n’implique pas nécessairement une dépréciation supplémentaire. De plus, vu que l’inflation avant le changement de taux s’est calquée sur les fluctuations du taux de change parallèle, l’ajustement du taux de change officiel à un niveau proche de celui du marché parallèle sera modeste.

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Bien sûr, rien ne garantit que le Liban suivra la même voie. Le risque de dépréciation existe et il dépend étroitement des facteurs qui ont poussé à l’émergence du marché parallèle – et donc de la capacité des autorités à les éradiquer. La coexistence de plusieurs taux de change et des incertitudes concernant la disponibilité des devises stimuleront à terme l’activité économique et amélioreront la balance des paiements (la différence entre les flux entrants et sortants d’un pays), tout en ayant un effet de levier sur la compétitivité des entreprises libanaises à l’étranger.

Quelle devrait être la marche à suivre pour optimiser les chances d’une transition maîtrisée ?

Les réformes sont identifiées et connues de longue date, comme nous l’évoquions plus tôt : formations d’un gouvernement d’experts, déblocage de l’audit de la BDL, adoption d’une loi sur le contrôle des capitaux, et reprise des négociations suspendues l’année dernière avec le FMI pour aboutir à un programme économique complet et à une assistance financière. Aussi, les subventions sur le carburant, le blé, les médicaments et certaines denrées alimentaires (dont la plupart ont été mises en place en octobre 2019 par la BDL pour faire face à la crise) doivent être levées le plus tôt possible pour être remplacées par un système de transferts à la population pauvre au Liban.

Toutes ces réformes sont nécessaires pour que l’unification des taux de change durent dans le temps.

Qu’en est-il des autres pays du classement, en particulier le Turkménistan, qui possède un spread de 520 %, l’Iran (490 %) et la Syrie (190 %) ?

L’Iran et le Turkménistan possèdent plusieurs taux de change depuis des décennies en raison d’une mauvaise gestion et de la corruption, causes auxquelles s’ajoutent les sanctions internationales dans le cas de l’Iran. En Syrie, le spread s’explique également par les sanctions, ainsi que par la crise syrienne, débutée en 2011, et l’effondrement de l’économie.

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Quelle devrait être la parité de la livre libanaise face au dollar?

Le Soudan a quant à lui subi des décennies de mauvaise gestion économique, de corruption, de guerre civile et de sanctions internationales, qui ont conduit à une raréfaction des devises et à un système de plusieurs taux de change, amenant un spread en moyenne de 518 %. Au début de l’année, le nouveau gouvernement, avec le support de la communauté internationale et l’aide financière du FMI, a commencé à implémenter un ambitieux programme de réformes et a levé les subventions. Le 21 février, la Banque centrale du Soudan a unifié les taux parallèles et officiels en dévaluant la livre soudanaise. Un allègement de la dette et des réformes vont aider le Soudan à améliorer ses perspectives économiques et va aider à stabiliser le taux de change unifié et pourrait même amener une appréciation. Le 4 avril, son spread était d’un seul pour cent.

Le mois passé, le Liban est le pays qui a connu le plus grand écart (un spread de 720 %) parmi les 12 États retenus pour l’étude entre le taux de change officiel, fixé depuis 1997 par la Banque du Liban (BDL) à 1 507,5 livres pour un dollar, et le taux du marché parallèle, qui gravite depuis quelques semaines autour des 12 000 livres. Pouvez-vous revenir sur les causes de...

commentaires (1)

En bref , pour aboutir à un programme économique complet et à une assistance financière il faudra changer toute cette caste politique tribale , revons .

Antoine Sabbagha

16 h 13, le 05 mai 2021

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Commentaires (1)

  • En bref , pour aboutir à un programme économique complet et à une assistance financière il faudra changer toute cette caste politique tribale , revons .

    Antoine Sabbagha

    16 h 13, le 05 mai 2021

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