Critiques littéraires Roman

La leçon d’élégance de Jonathan Coe

La leçon d’élégance de Jonathan Coe

© Abbie Trayler-Smith

Billy Wilder et moi de Jonathan Coe, Gallimard, 2021, 299 p.

On le connaissait ironique et cinglant dans Bienvenue au Club (Wodehouse Prize en 1998), faisant la radiographie satirique de l’establishment anglais des années 1970 à 1990 ; voici comment, pour son dernier roman Billy Wilder et moi, Coe rompt les amarres avec sa vieille Angleterre. Cap sur Beverly Hills au mitan des années 70 et le soleil de Corfou en Grèce pour le tournage de Fedora en 1976, l’œuvre-testament de Billy Wilder. Face à face, une jeune femme un peu paumée et un vieux réalisateur cachant de grandes souffrances. Magnifique duo.

Calista est compositrice de musiques de films. Elle a obtenu un beau succès pour le thème entêtant des Charriots de feu (1981) dont le réalisateur fut brièvement son amant. À quoi tient le destin ? Aux rencontres souvent. Mais tout cela est déjà loin. En 2013, Calista approche la soixantaine. Elle est mariée et vit à Londres. Ses filles sont grandes et vont quitter la maison : Fran est enceinte (un accident mais elle veut le garder ! Ce genre d’affaire existe encore dans les familles au XXIe siècle) et Ariane part faire un long séjour en Australie.

Accompagnant sa fille à l’aéroport, Calista se souvient qu’elle-même s’était envolée à vingt ans pour « faire le tour du monde, sac au dos ». La jeune fille grecque qu’elle était, composant de la musique au piano et ne sachant absolument pas ce qu’elle allait devenir, avait jeté son dévolu sur les États-Unis. Côte-ouest, terre des pionniers, désormais eldorado du nouveau rêve beatnik.

Par un concours de circonstances très amusant, Calista se retrouve dans un restaurant glamour de Beverly Hills à la table du grand réalisateur Billy Wilder (Certains l’aiment chaud, Boulevard du crépuscule, La Garçonnière, etc.). Le vieux réalisateur, « presque chauve mais tirant le meilleur parti de ce qui lui restait de cheveux » ressemble « à un prof d’université à la retraite ». Il la questionne sur ses goûts. Qu’aime-t-elle ? Qu’est-ce qui fait vibrer la jeunesse ? Calista répond benoîtement qu’elle a adoré Les Dents de la mer qui vient de sortir cette année au cinéma. Pour Billy Wilder, cette grosse machine hollywoodienne n’est qu’une manipulation cinématographique honteuse. Un film sans dialogues en plus ! « Même Monroe, même Scarlett O’Hara n’ont pas généré autant d’argent que ce requin. » Voilà où en est Hollywood en 1976... Mais le maître Wilder a la délicatesse de n’en rien montrer à Calista qu’il embauche comme traductrice pour le tournage de son prochain film Fedora qui aura lieu en Grèce. Il y a des propositions qui font basculer toute une vie qu’on ne peut pas refuser…

Tour à tour interprète et confidente, Calista va rester auprès de Billy Wilder à Corfou, à Munich et à Paris, tout au long de l’année 1978. Elle côtoiera sur le tournage Marthe Keller et William Holden. Pour elle, ce sera une saison bénie. Elle devient la « coqueluche du plateau » et plonge de plain-pied dans la grande famille du cinéma qui s’aime et s’entredéchire en permanence. Quelle belle idée que d’inventer un duo de comédie – le réalisateur vieillissant et la jeune ingénue – pour faire une déclaration d’amour au style et à l’élégance de l’âge d’or du cinéma hollywoodien.

Dans Billy Wilder et moi, Jonathan trouve le moyen délicieux de livrer un art poétique sans que rien n’y paraisse. De bout en bout, le roman est enlevé et libre. Libre de faire parler Wilder à sa façon, lucide et comique ; libre de passer d’anecdotes sur le cinéma à une intrigue sentimentale, de portraits hilarants à des accents mélancoliques ; libre d’émouvoir.

Pour Jonathan Coe, le cinéma de Billy Wilder possédait la quintessence d’un art porté à sa plus haute expression. Il était conçu sur la construction millimétrée de scènes et la folle énergie des acteurs, la recherche de trouvailles langagières et la cocasserie du réel. De la dentelle, du grand art. Mais, comme nous l’apprend aussi ce magnifique roman, Wilder a aussi construit sa griffe cinématographique qui paraît si légère sur un amas des cendres : les ruines de la Grande Guerre et la perte des siens en camp de concentration. Derrière le Billy Wilder gai et entraînant, il y a un homme qui scrute chaque film documentaire sur l’extermination des juifs pour voir s’il ne retrouve pas le visage de sa mère disparue. « La vérité c’est que tout au fond de moi je savais déjà ce qui avait dû lui arriver », confie-t-il.

La formule de l’âge d’or ? Elle tient en peu de mots. Pour un Lubitsch ou un Wilder : « On ne souligne pas les choses, on les suggère. » Immense leçon de politesse des grands réalisateurs qui ont connu la guerre, l’exil et la perte de leurs proches. Calista comprend que pour ces hommes il était nécessaire de continuer de rire et d’apporter de la joie.

Billy Wilder et moi de Jonathan Coe, Gallimard, 2021, 299 p.On le connaissait ironique et cinglant dans Bienvenue au Club (Wodehouse Prize en 1998), faisant la radiographie satirique de l’establishment anglais des années 1970 à 1990 ; voici comment, pour son dernier roman Billy Wilder et moi, Coe rompt les amarres avec sa vieille Angleterre. Cap sur Beverly Hills au mitan des années 70 et...

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