Critiques littéraires

Syrie, l’heure des comptes

À travers son ouvrage au titre si évocateur, La Honte de l’Occident, les coulisses du fiasco syrien, Antoine Mariotti révèle au grand jour et sans aucune complaisance, comment dans les coulisses du pouvoir, de Paris à Washington, en passant par Moscou et Téhéran, le sort des Syriens a été scellé.

Syrie, l’heure des comptes

D.R.

La Honte de l’Occident, les coulisses du fiasco syrien d’Antoine Mariotti, Tallandier, 2021, 352 p.

Dès le début de la révolution, Damas n’a eu de cesse de claironner la théorie du complot orchestrée par les agents extérieurs. Barak Obama, lui, exprime très tôt ses doutes sur la capacité du régime syrien à rester en place. Les Américains, très inquiets pour leur sécurité, sont les premiers à quitter leur ambassade en Syrie. Les Européens, une fois de plus incapables de s’exprimer à l’unisson, restent profondément divisés au sujet de la fermeture ou non de leurs ambassades. Il s’agit pour les dirigeants, et en particulier Nicolas Sarkozy, d’être du bon côté de l’histoire, surtout après le ratage complet de la France à propos de la révolution tunisienne où non seulement le pouvoir n’a rien vu venir, mais est allé à contre-courant, se décrédibilisant aux yeux et aux sus de tous. Pourquoi un tel aveuglement des gouvernants sur la Syrie ? C’est une chose de s’entêter à miser sur une chute jugée « imminente » du « boucher el-Assad », c’en est une autre d’admettre la réalité du terrain et de reconnaître son erreur !

Concernant l’ouverture d’un dialogue possible réunissant à Genève le gouvernement syrien et l’opposition, c’est un échec ; l’espoir s’envole à Genève et la Syrie s’enfonce dans une crise sans précédent. Cette opposition ne parvient ni à faire émerger un leader, ni à parler d’une seule voix. Même si le conseil national syrien laisse place à la coalition nationale syrienne, les divisions demeurent. À cela s’ajoute les désaccords quant aux groupes à soutenir. François Hollande entend poursuivre la ligne adoptée par son prédécesseur, mais sa priorité est sans nul doute le Sahel perçu comme la principale menace pour la France. L’obstination de l’Occident, n’ayant toujours pas compris les fondements du régime syrien, permet à Bachar el-Assad de rester en place, et ce quoi qu’il en coûte.

L’auteur rappelle qu’il était alors de bon ton à l’Élysée comme au Quai d’Orsay de ne prêter l’oreille qu’à ceux qui partageaient leur vision. Du côté américain, certains conseillers admettent volontiers d’énormes erreurs d’analyse. Mais peut-on décemment parler d’erreurs quand il s’agit de la mort de dizaines de milliers de Syriens ?

L’engagement du régime iranien et du Hezbollah aux côtés de Damas ne semble même pas avoir été anticipé, et ce bien avant l’action sur le terrain de Moscou. Que dire de la fameuse ligne rouge à ne pas franchir, menace d’une intervention militaire adressée par B. Obama si Damas venait à utiliser des armes chimiques ? La France, décidée à ne pas laisser les frappes chimiques impunies, voyait là un moyen de reprendre la main diplomatiquement. Les atermoiements puis au final la volte-face d’Obama n’ont fait que consolider encore plus le pouvoir syrien et renforcer le sentiment d’impunité quoi qu’il entreprenne contre le peuple.

Le chaos domine et avec ce chaos émerge le nouvel ennemi, Daech, qui au départ n’a guère alerté les Occidentaux jusqu’à ce que ces derniers soient frappés sur leur propre sol. On va très vite passer de « Assad sommé de quitter le pouvoir » à la « lutte contre Daech ». Moscou en profite pour discréditer encore plus un Occident paralysé et mettre en échec la politique de dialogue voulue par E. Macron ; Poutine privilégie, sans s’en cacher, « l’intangibilité des États à la volonté des peuples », lui permettant de réaffirmer sa puissance et d’« apparaître aux yeux du monde comme un allié bien plus fiable que Washington ». Ce changement de priorité laisse le régime mener à loisir sa politique de « nettoyage » sans être inquiété. Tous, sans exception, sont coupables de complicité, qu’elle soit directe ou non. La Chine ne fait pas exception, particulièrement active ces dernières années au sein de l’Onu à travers le veto !

Comment résumer autrement ce qui se passe en Syrie depuis le début que par un « désastre », voire un « cataclysme » ! La Syrie, c’est « la honte de l’Occident », seule conclusion qui s’impose.

Cet ouvrage a le mérite d’appuyer là où ça fait mal et de rappeler que cette tragédie commencée il y a maintenant dix ans n’a été qu’une succession de préoccupations bien éloignées des droits humains les plus élémentaires, d’incompétences… bref un « fiasco » qui en rappelle bien d’autres par le passé.

La Honte de l’Occident, les coulisses du fiasco syrien d’Antoine Mariotti, Tallandier, 2021, 352 p.Dès le début de la révolution, Damas n’a eu de cesse de claironner la théorie du complot orchestrée par les agents extérieurs. Barak Obama, lui, exprime très tôt ses doutes sur la capacité du régime syrien à rester en place. Les Américains, très inquiets pour leur sécurité, sont...

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