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Nos Lecteurs ont la Parole

Pour un dix-huit Brumaire consenti

Tant qu’à faire le ménage, autant le faire dans les règles, c’est-à-dire en le confiant à des professionnels de la défense nationale. Prenons au mot la déclaration du vice-président de la Chambre ; dans l’urgence qui caractérise notre situation, il vient d’appeler l’armée à se saisir du pouvoir pour une période intérimaire. Avouons que devant le spectacle du délitement de l’État, l’idée d’instaurer à sa tête un pouvoir musclé et résolu nous taraudait l’esprit. Et s’il manquait jusque-là une dose de respectabilité à un tel coup de force, voilà que M. Élie Ferzli vient de nous l’accorder.

Mais pourquoi faire appel à la troupe pour garnir les portefeuilles ministériels alors qu’on n’a jamais arrêté d’exiger à ces mêmes postes des technocrates et des spécialistes sans affiliation politique ? C’est que la figure du soldat apparaît comme un repère en cette conjoncture de grippage des institutions. N’ayant pas à s’embarrasser de légalisme ou de formalisme, un officier n’hésiterait pas, du moins le croit-on, à recourir aux mesures drastiques. Un major général ou un brigadier n’est pas censé tergiverser quant à l’interprétation d’un texte juridique ou la prise d’une décision impopulaire. En théorie, il chercherait l’engagement et se porterait au-devant du danger que n’oserait affronter un diplômé de MIT, un émasculé qui rendrait son tablier à la première alerte.

En gros, un cabinet militaire, même bénéficiant de l’aval de la Chambre, serait une dictature qui gouvernerait par ordonnances, et dans le meilleur des cas, une dictature soft qui ne dirait pas son nom, un pronunciamento dans la légalité, et dont le balagh raqm wahad (communiqué numéro un) déclarerait l’état d’urgence sur l’intégralité du territoire.

Parés pour l’aventure ?

Ceci n’est pas une incitation à la sédition, mais à l’instauration de l’état d’exception. Aux grands maux, les grands moyens ! Le changement de cap devant être opéré sans bavure ni chienlit, le putsch légal doit être confié à des professionnels. Qu’on n’ait pas à déplorer un coup de main comme celui du général Ahdab en mars 1976 ; ce fut un tel flop ! Pour éviter les écueils, les haut gradés, ceux qui auront la charge de nous gouverner, auront à se plonger dans le manuel de base de David Hebditch et Ken Connor*.

Une consigne essentielle : boucler la capitale et frapper fort pour donner l’exemple. Probablement que les nouveaux maîtres de l’heure commettront des irrégularités et qu’Amnesty International réprouvera leurs actions abruptes ou précipitées. Mais au point où l’on est, l’opinion publique fermera les yeux sur les dommages collatéraux, tant il lui tarde de voir les corrompus châtiés « haut et court ». C’est bien pour cette raison que le courroux public aura appelé les forces de l’ordre à assumer les fonctions d’un exécutif dont le mécanisme est enrayé.

Freins et contrepoids

Pour préserver la démocratie, son apparence ou son simulacre, on a nécessairement recours à une formule ou à un slogan. Rappelons que sous la République romaine, c’était le Sénat qui, dans les moments de crise, invitait les consuls à élire un dictateur. À cet effet, il assortissait la délégation de pouvoir de l’énoncé caveant consules etc., qui enjoignait aux consuls de prendre garde afin que la République n’éprouve aucun dommage. Qu’en pense le speaker Nabih Berri, pour le cas où le processus salvateur serait enclenché avec sa bénédiction ?

Telle tournure de phrase est-elle, à ses yeux de premier des législateurs, une garantie contre les excès ? En mai 1975, sous le mandat du président Sleiman Frangié, un cabinet militaire fut constitué, avec comme président Nour al-Dine al-Rifaï, un général à la retraite. Pour faire passer la pilule, cet organe de l’exécutif récusa l’appellation de hukuma askariya (gouvernement militaire) et se présenta sous la formule de hukuma min al-askariyin (gouvernement composé de militaires), avec une unique personnalité civile aux Affaires étrangères. Aurait-on recours à cette formulation pour assurer le succès de notre entreprise ?

Certes, notre régime parlementaire pourrait souffrir de l’OPA des forces armées. Il serait certainement écorné par les émules de Pinochet et les apprentis Noriega, des galonnés aux opinions radicales, des baroudeurs pas nécessairement convaincus des mérites du débat parlementaire et des concertations ministérielles. Mais la démocratie musclée, que nous appelons de nos vœux, n’est pas à craindre outre mesure, car le Hezbollah veille au grain. Il ne laissera pas les nouveaux ministres outrepasser leurs attributions ni s’autoriser des privautés avec la République. Ainsi, le parti de Dieu serait le rempart de nos libertés démocratiques et de nos franchises libanaises ! Qui dit mieux ?


*« How to Stage a Military Coup: From Planning to Execution », Skyhorse, 2017, Kindle Edition.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Tant qu’à faire le ménage, autant le faire dans les règles, c’est-à-dire en le confiant à des professionnels de la défense nationale. Prenons au mot la déclaration du vice-président de la Chambre ; dans l’urgence qui caractérise notre situation, il vient d’appeler l’armée à se saisir du pouvoir pour une période intérimaire. Avouons que devant le spectacle du délitement de...

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