Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Gebran Bassil, qui poursuivait vendredi sa tournée à Moscou, a donné une interview au journal russe Kommersant, dans laquelle il a accusé certaines parties de faire parvenir "des informations tendancieuses" à la Russie concernant la crise politique au Liban. L'ancien ministre des Affaires étrangères, qui cherche, avec sa visite en Russie, à briser son isolement diplomatique, faisait probablement allusion au Premier ministre désigné, Saad Hariri, qui s’était rendu mi-avril à Moscou. Avec le chef de l'Etat, Michel Aoun, qui est aussi son beau-père, M. Bassil est engagé depuis des mois dans un bras de fer avec Saad Hariri concernant la formation du futur gouvernement, attendu depuis près de neuf mois, alors que le Liban subit des crises multiples. Les deux parties ne parviennent pas à trouver un terrain d'entente concernant la nomination des ministrables et la répartition des portefeuilles et s'accusent mutuellement de chercher à obtenir la majorité au sein de la future équipe.
Dans son interview à la presse russe, dont il a publié des extraits sur son compte Twitter, Gebran Bassil a souligné que, pour assurer la stabilité du Liban, des réformes doivent être mises en œuvre et que celles-ci nécessitent la mise sur pied d'un gouvernement "qui respecte la volonté et la diversité des Libanais". A ce sujet, Moscou "n'entre pas dans les détails" des tractations, les obstacles devant être surmontés "par les Libanais" eux-mêmes. Il a toutefois critiqué le fait que "certaines parties transmettent ou font parvenir à la Russie des informations erronées et tendancieuses qui peuvent déformer la réalité", dénonçant des "mensonges politiques qu'il se doit de démentir". M. Bassil est considéré par ses opposants politiques et par certains pays, comme la France, d'être à l'origine du blocage des tractations gouvernementales.
Les réformes contre la présidence
Réitérant ses accusations contre Saad Hariri, le chef du CPL s'est interrogé : "Les autres parties acceptent-elles que le PM désigné cherche à atteindre la majorité absolue au sein du futur cabinet et qu'il nomme tous les ministres ? Le Hezbollah, le Tachnag, Sleiman Frangié (chef des Marada, ndlr) et Walid Joumblatt (chef du Parti socialiste progressiste, ndlr) acceptent-ils cela ?" Et de souligner que Saad Hariri doit "nommer un gouvernement qui obtient l'approbation du président Aoun et la confiance du Parlement". Il a encore démenti les informations selon lesquelles il fait tout pour accéder à la présidence de la République, estimant qu'il s'agit de "mythes". "Qu'ils (ses opposants politiques, ndlr) nous donnent les réformes et qu'ils prennent la présidence", a-t-il déclaré.
"Je suis la cible de sanctions de la part de Washington parce que je n'ai pas voulu me plier à la décision américaine de me désolidariser du Hezbollah", a poursuivi Gebran Bassil, dénonçant un "assassinat politique et moral" contre sa personne, motivé par le fait qu'il veut "la souveraineté du Liban", refuse toute implantation des réfugiés palestiniens et syriens sur le territoire libanais et s'oppose à "la classe politique corrompue". Il a ajouté que ces sanctions n'avaient eu aucun impact sur lui, et que nombre de ses soutiens "dans le monde entier" avaient compris "l'injustice" de ces mesures "qui ne se basent sur aucune preuve ni dossier concret". "Lorsque les sanctions contre moi seront levées, je reviendrai encore plus fort et victorieux", a-t-il lancé.
Volonté d'affaiblir le Hezbollah
Concernant ses relations avec le parti chiite, Gebran Bassil a reconnu que si l'entente entre les deux formations avait permis de protéger l'unité nationale et de défendre le Liban contre le terrorisme, elle s'était montrée insuffisante pour "construire un Etat et lutter contre la corruption", ce qui avait motivé une "révision" de l'accord de Mar Mikhael, conclu en 2006. Il a encore dénoncé la volonté de certaines parties qu'il n'a pas nommées de mener le Liban vers l'effondrement afin d'affaiblir le Hezbollah, "sauf que cela provoque un chaos qui ne sert à personne". L'ex-ministre a en outre estimé que la Russie a les capacités d'aider à "stabiliser" le Proche-Orient "parce qu'elle comprend la région sans s'ingérer dans les affaires internes" des différents pays. "Moscou n'a pas proposé d'initiative concernant le Liban, mais a exprimé sa volonté d'aider à résoudre la crise", a ajouté Gebran Bassil. "Nous sommes prêts à répondre à toute volonté d'aider notre pays, sans toutefois chercher à impliquer d'autres pays dans nos affaires internes", a-t-il souligné.
Le 4 août et la révolte, une "campagne internationale"
Par ailleurs, Gebran Bassil a estimé que la double explosion du 4 août dans le port de Beyrouth et le soulèvement du 17 octobre 2019 contre la classe politique libanaise seraient, l'un comme l'autre, des éléments d'une même "campagne" visant le chef de l'Etat et sa personne. La double explosion du 4 août a été provoquée par un incendie qui s'est déclaré dans un hangar contenant 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium, stockés sans précaution depuis 2014. Elle a fait plus de 200 morts et 6.000 blessés.
"Nous espérons que la nomination d'un nouveau juge d'instruction près la cour de justice permettra de mettre l'enquête sur la bonne voie et de découvrir la vérité sur ce qu'il s'est passé", a souligné M. Bassil, dans une interview jeudi soir à Russia Today. Il a appelé à ce que l'enquête ne se limite pas "à révéler qui a fait preuve de négligence professionnelle et a permis que le nitrate d'ammonium (qui a causé la déflagration, ndlr) reste stocké" dans le hangar numéro 12, "mais aussi qui a utilisé ces matières, les a cachées, les a fait sortir du pays en contrebande et surtout, ce qui est le plus crucial, qui a provoqué l'explosion". Il a dans ce cadre estimé que le drame du 4 août "n'est pas sans lien avec les événements successifs qui ont eu lieu au Liban : l'isolement financier et économique du pays, la révolte financée par l'étranger qui a ciblé notre camp", en référence au président Aoun et à sa personne. A partir du 17 octobre 2019 et pendant plusieurs mois, des milliers de Libanais sont descendus dans la rue pour demander la refonte totale du régime et la fin de la corruption endémique dans le pays. M. Bassil avait été particulièrement visé par les slogans des contestataires. "Cette révolution nous a visés, voire assassinés, politiquement et a provoqué un effondrement soudain du Liban", a-t-il déclaré. Il a dénoncé une "campagne internationale" ciblant son camp, dans le cadre de laquelle aurait eu lieu la double explosion du 4 août. "Dès que la déflagration a eu lieu, nous avons été ciblés politiquement, le président Aoun et moi, comme si nous l'avions nous-mêmes provoquée", a encore regretté M. Bassil. Ces propos ont été critiqués sur les réseaux sociaux par certains internautes.
Poursuivant sa tournée auprès de responsables russes, Gebran Bassil a été reçu vendredi par le président de la commission parlementaire russe des relations internationales, Leonid Sloutsky. Jeudi, il avait été reçu par Mikhaïl Bogdanov, représentant personnel de Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, puis par le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. A l'issue de sa réunion avec ce dernier, le député de Batroun avait indiqué lui avoir demandé de jouer le rôle nécessaire pour "inciter le Premier ministre désigné à clore le dossier de la formation du gouvernement", avant de rejeter la balle de la responsabilité du blocage dans le camp haririen.
Appuyant l'initiative française, Moscou est en faveur d’un cabinet d’experts où les équilibres politiques sont respectés et au sein duquel aucune partie ne peut détenir de veto quelconque. Après avoir reçu le 15 mars dernier une délégation du Hezbollah, Moscou a accueilli le 14 avril Saad Hariri qui cherchait à obtenir un appui dans le bras de fer qui l’oppose au camp aouniste. Le chef des Marada, Sleiman Frangié, le chef du PSP, Walid Joumblatt, ainsi que son adversaire politique, Talal Arslane, devraient également se rendre prochainement en Russie.
commentaires (32)
La Turquie pays flexible en matière de règlement des commissions relatives aux affaires des bateaux générateurs. Qui en ont été les bénéficiaires et qui en ont profité ?
DRAGHI Umberto
13 h 13, le 02 mai 2021