Tout au long de l’interminable crise libanaise, l’on a souvent répété ce qui paraît comme un leitmotiv : « L’image et la spécificité du Liban sont en danger ». Aujourd’hui, plus que jamais, la particularité qui a historiquement distingué le Liban des autres pays arabes est effectivement menacée dans ses fondements.
Pour ceux qui feignent de l’oublier, il ne serait pas superflu de rappeler ce qu’est concrètement cette « image du Liban », cette raison d’être dans un environnement obscurantiste. Ce qui a de tout temps façonné à travers l’histoire la spécificité du pays du Cèdre, ce sont essentiellement l’économie libre, l’entreprise privée, un secteur bancaire florissant, le pluralisme sociopolitique, les missions religieuses étrangères, les écoles privées, l’enseignement universitaire moderne, un secteur hospitalier avant-gardiste, la diversité culturelle, la presse libre, la liberté d’expression, l’ouverture sur le monde, etc.
Un regard rapide sur le contexte actuel dans lequel se débat la population libanaise permet de relever que ce sont précisément tous ces piliers du Liban libéral qui sont, un à un, sérieusement menacés. Les événements des derniers mois tendent à démontrer que l’ensemble de ces secteurs vitaux n’ont pu être durablement ébranlés, l’un après l’autre, que sous le coup d’un effondrement de la monnaie nationale. Cette chute vertigineuse de la livre libanaise est dans les faits l’aboutissement d’un long processus de déstabilisation et le résultat d’un cumul de facteurs destructeurs qui se sont étalés dans le temps et qui ont été suscités progressivement de manière pernicieuse.
Sans retourner à la stratégie de sabotage systématique de l’autorité de l’État qui a marqué la phase de l’implantation palestinienne armée dans les années 70, puis celle de l’occupation syrienne jusqu’au début des années 2000, la période post-révolution du Cèdre, à partir de 2005, illustre ce qui pourrait être perçu comme une sorte de « feuille de route », une stratégie globale, qui se résume en deux mots : déstabilisation et déconstruction.
Que l’on se souvienne à cet égard des développements préjudiciables survenus progressivement sous l’impulsion de l’axe Téhéran-Damas pour faire échec à l’édification d’un État souverain, maître de ses décisions. Cela a commencé avec les assassinats politiques de 2005 et 2006, suivis d’une longue série de secousses : la fermeture pure et simple du Parlement pendant plus d’un an ; la guerre de juillet 2006 provoquée par le Hezbollah ; la longue occupation du centre-ville de Beyrouth par le parti pro-iranien et ses alliés à la fin de l’année 2006 et jusqu’en 2008 ; les blocages politiques successifs (notamment lors de la formation des gouvernements); la vaste opération milicienne du Hezbollah, le 7 mai 2008, dans les régions contrôlées par le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste ; l’imposition manu militari – à la suite du sommet de Doha, en 2008 – de nouvelles pratiques politiques basées sur le consensus et le tiers de blocage (qui ont paralysé l’exécutif); le rejet de toute stratégie de défense ; l’insistance du tandem chiite à faire voter une nouvelle échelle des salaires dans le secteur public sans assurer le financement qui aurait dû aller de pair ; le clientélisme à outrance qui a plombé les administrations publiques du fait d’une pléthore de fonctionnaires improductifs; la corruption à grande échelle et les magouilles financières bénéficiant de la couverture du Hezbollah… Et pour couronner le tout : l’implication directe dans les guerres et les conflits de la région ; les déclarations guerrières à répétition menaçant d’embraser le Moyen-Orient ; les campagnes médiatiques incendiaires contre les pays du Golfe; les attaques répétées contre le secteur bancaire ; et les vastes opérations de contrebande vers la Syrie de produits subventionnés par l’État…
Un tel climat guerrier et l’ensemble de ce processus de déstabilisation et de déconstruction ont eu pour conséquence l’arrêt des investissements étrangers, le tarissement de l’aide accordée traditionnellement par les États du Golfe et les pays occidentaux, la diminution des transferts effectués par la diaspora, l’arrêt du flux de touristes en provenance notamment des pays du Golfe, le marasme généralisé touchant l’ensemble des secteurs économiques. Il en a résulté un déséquilibre dans la balance des paiements, un déficit budgétaire croissant et une dette publique sans cesse grandissante. Ce cumul de facteurs destructeurs étalés dans le temps ne pouvait déboucher que sur un effondrement de la monnaie nationale, d’autant que, parallèlement, les gouvernements successifs n’ont jamais jugé bon de soutenir et de développer les secteurs productifs– industrie, agriculture et production informatique – qui auraient pu empêcher ou juguler le déséquilibre de la balance des paiements.
Est-ce à dire que l’effondrement de la monnaie nationale a été planifié par le biais de cette feuille de route maléfique dans le but précis de torpiller tous les secteurs qui ont été à la base de la spécificité du Liban, l’objectif recherché étant effectivement de « changer l’image du Liban » et de forcer un virage vers l’Est? Pour l’heure, l’on ne peut s’empêcher de relever que les dirigeants du Hezbollah et leurs parrains régionaux étant d’excellents stratèges, un tel scénario de déconstruction préméditée paraît plus que plausible.
commentaires (11)
Faudrait juste se rappeler le gros balourd Mohammad Raad qui disait qu'il faut que le Liban devienne et pense comme um pays resistant et moumaneh! Eh bien nous y sommes. Tout est a va l'eau et nous somme tous dans une puree de poix pour ne pas dire autre chose. Faudrait autre chose que des manifestations et joutes oratoires pour nous en sortir.
IMB a SPO
17 h 28, le 27 avril 2021