Des foules scandant « Mort aux Arabes », l’armée tirant contre des civils palestiniens, les quartiers est de Jérusalem attaqués : les images de violences qui parviennent de la Ville sainte ne sont pas inhabituelles pour ses habitants. Mais depuis le 13 avril, les médias rapportent des « scènes de guerre » sans précédent. De fait, les violences de ces dernières semaines ont atteint un nouveau stade critique.
Le 13 avril donc, des centaines de militants d’extrême droite sont venus manifester à Jérusalem pour « rétablir la dignité juive ». Ils répondaient là à l’appel de Lehava, un groupe d’extrême droite dont le leader, Bentzi Gopstein, est affilié au mouvement kahaniste désormais représenté au Parlement au sein du parti sionisme religieux. Et ils l’ont fait devant le regard passif de la police de la ville et de l’armée, déployées contre les contre manifestants palestiniens qui seront arrêtés et blessés par dizaines.
« J’écris pour me souvenir de la brutalité de la violence des Juifs dont j’ai été témoin à Jérusalem », écrit Orly Noy, journaliste israélienne, pour le magazine en ligne +972. « J’écris pour essayer de comprendre cette folie », poursuit cette dernière. Mais ces « scènes de guerre » sont loin d’être inédites ni même exceptionnelles. La montée d’une violence politique issue d’une idéologie ultranationaliste de plus en plus ouvertement raciste est un phénomène connu. Un phénomène historique, d’abord, parce que ce phénomène peut être daté : il est indissociable du mouvement pour la colonisation de la Cisjordanie, déclenché par les conquêtes israéliennes de 1967, et de son extension au cours des années 1990. Un phénomène social et démographique ensuite, car il s’appuie sur la montée en puissance de la communauté ultraorthodoxe, ou Haredi, cette frange majoritairement pauvre et religieuse qui représente aujourd’hui 12 % de la société israélienne et pour qui la colonisation de nouveaux terrains en Cisjordanie et à Jérusalem a d’abord représenté des solutions de logement à bas prix. Certes, seulement quelques centaines d’entre eux ont pris part aux violences de ces derniers jours à Jérusalem. Mais ni leurs représentants religieux ni les forces de l’ordre – et encore moins les partis qui les représentent – ne se sont manifestés pour condamner ou contenir ces violences.
« Les ultraorthodoxes sont les réserves de mouvements néo-nazis qui se développent en Israël et ils promettent un avenir radieux à Bezalel Smotrich (chef du parti de l’Union nationale, NDLR) et Itamae Ben-Gvir (leader du parti d’extrême droite Otzma Yehudit, NDLR) », écrit Gideon Levy dans le quotidien libéral Haaretz. « Sans cette communauté, ces deux hommes (députés à la Knesset) seraient une simple curiosité », poursuit le journaliste.Car le phénomène historique et le mouvement social seraient peu de chose sans un corps politique structuré. Les communautés ultra-orthodoxes ont traditionnellement été représentées par des partis religieux sionistes (Foyer Juif, Shas, United Toras Judaism) qui leur ont permis de s’imposer puis de gagner en poids sur la scène nationale, jusqu’à entrer au Parlement puis au gouvernement. Mais jusqu’en 2019, des manifestations étaient organisées jusque dans les rangs des sionistes religieux pour protester contre la normalisation des plus fondamentalistes de ces mouvements, notamment des héritiers de l’idéologie extrémiste juive de Meir Kahan tel que Otzma Yehudit, né dans les années 1970. Aujourd’hui, le tableau est radicalement différent. En mars 2021, la liste commune formée par Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir sous l’étiquette de « Sionisme religieux » fait son entrée historique avec six sièges sans que cela ne remue les foules.Itamar Ben-Gvir est l’un des plus grands représentants de cette idéologie qui ne cache plus son racisme ni sa violence. Le numéro trois de la liste menée par M. Smotrich soutient une politique d’émigration des citoyens arabes qui refuseraient de déclarer leur fidélité à un État hébreu incluant la Cisjordanie occupée, et prône la construction d’un temple juif en lieu et place de la mosquée al-Aqsa. L’homme a fait l’objet de quelque 50 plaintes, dont huit criminelles, et il est connu pour avoir incité à la haine raciale ou pour avoir soutenu des organisations terroristes – il s’est notamment enorgueilli d’afficher chez lui un portrait de Baruch Goldstein, cet extrémiste juif ayant assassiné 45 Palestiniens à Hébron en 1994.
L’histoire de la normalisation de l’idéologie radicale est donc d’abord celle du succès de la frange la plus radicale du sionisme religieux sur d’autres courants plus réticents à recourir à un racisme décomplexé. Mais la banalisation d’idées jugées, il y a encore peu comme radicales, porteuses de violences et d’un racisme assumé, dépasse largement l’appartenance politique, la communauté ultraorthodoxe ou le cas de l’extrême droite israélienne. Un sondage réalisé peu avant les élections de mars derniers par la radio israélienne 103FM révèle qu’un quart des Israéliens soutiennent la possibilité d’une nomination d’Itamar Ben-Gvir en tant que ministre au sein d’un futur gouvernement. Les déclarations chocs de représentants officiels à l’encontre de la communauté arabe d’Israël ne sont plus des exceptions. Comme cette ministre de la Justice, Ayelet Shaked, qui en 2014 cite sur son compte Facebook l’extrait d’un texte comparant les enfants palestiniens à des « serpents » à éliminer. Relayée au sommet et bénéficiant du silence complice des forces de l’ordre, comme cela est le cas depuis plusieurs jours à Jérusalem, la violence politique n’a plus rien de marginal.
commentaires (4)
Les juifs se radicalisent. Les arabes se radicalisent. Les musulmans se radicalisent. Les bouddhistes se radicalisent. Les chrétiens se radicalisent.... Rien de bon mon fils, rien de bon....
Le Tigre
20 h 01, le 26 avril 2021