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La balance et son fléau

Sans doute n’est-elle pas tout à fait passée, la tempête judiciaire des deniers jours. Mais comme pour ces catastrophes naturelles à répétition, on peut aisément dresser une première et provisoire estimation des dégâts, actuels et potentiels, dus à ce qu’il faut bien appeler le cas Ghada Aoun.

Insubordination à l’autorité hiérarchique, rafles opérées par effraction, légions de gros bras tenant lieu de police judiciaire, narcissique culte de la publicité… Il serait superflu de revenir sur les frasques de la procureure du Mont-Liban, lesquelles ont suffisamment défrayé la chronique : assez, en tout cas, pour envoyer mariner aux objets perdus la capitale enquête sur la double, meurtrière, dévastatrice explosion du 4 août dernier dans le port de Beyrouth.

À ce palmarès déjà bien rempli ne manquait plus que la grossière mystification, la supercherie cousue de fil blanc. Accusée de pratiquer une inquisition sélective, répondant inopinément à la demande de deux avocats, la juge vient ainsi de lancer des informations judiciaires visant deux réseaux illégaux du Hezbollah. La première a trait à l’importation de médicaments de fabrication iranienne non agréés par l’Organisation mondiale de la santé et pouvant être dangereux pour l’usager ; la seconde concerne la filière bancaire parallèle réservée aux partisans et répondant à l’angélique appellation de Prêt vertueux.

On attend impatiemment la suite. Mais au fait, qu’en est-il de la contrebande, vers la Syrie, de produits de première nécessité dont se trouvent privés les citoyens ? Quid, aussi, du notoire trafic de drogue qui nous valait hier un arrêt des importations saoudites de fruits et légumes libanais, décision encore plus catastrophique pour nos agriculteurs que la soudaine invasion de sauterelles ? Au diable l’avarice, alors : promis, juré, ce sera douze douzaines de roses pour la magistrate si, avec son même mépris des procédures, elle s’en va enfoncer vaillamment les portes interdites de la milice !

En attendant les décisions de l’Inspection judiciaire, devant laquelle elle se présentait hier, c’est l’image d’une justice en crise, en mal de synchronisation, que laisse l’équipée de la juge. Bravant l’interdit de ses supérieurs, cette dernière s’estime toujours en charge du dossier litigieux qui lui avait été retiré. Du coup, elle réduit son remplaçant au chômage forcé ; et comme il n’y a jamais deux sans trois, c’est le procureur financier qui, en toute logique, s’attaque entre-temps au dossier en question. Pour parachever la désarticulation de l’État, c’est le même et inquiétant déphasage – entre organismes de sécurité rivaux, cette fois– qu’auront donné à voir les échauffourées qui ont jalonné la tournée du cirque.

L’allégorique balance de la justice a plus qu’assez d’un fléau pour que l’on s’acharne de la sorte à lui en infliger de nouveaux. D’autant plus considérable est le tort porté à cette institution que l’outrance se prévaut, comme en ce moment, d’une sainte horreur de la corruption : celle des autres, des adversaires politiques, à l’exclusion bien évidemment de ses propres turpitudes. À ce faire, ce n’est pas le seul présent que l’on assassine ; c’est l’avenir, la promesse de redressement du pays, qui se trouvent lourdement hypothéqués. L’exigence de transparence et de réformes, la justice en tant qu’étape finale de toute remise en ordre, c’est bien davantage là qu’une revendication nationale. Poltron est le capital, et il l’est encore plus au spectacle des agences de notation internationales consignant régulièrement la descente aux enfers du Liban. Notre pays ne manque pas de lois. Mais aucune main secourable, aucun donateur étranger, aucun investisseur ne placera plus un seul sou ici sans les garanties que seuls peuvent offrir les vigilants gardiens du droit.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Sans doute n’est-elle pas tout à fait passée, la tempête judiciaire des deniers jours. Mais comme pour ces catastrophes naturelles à répétition, on peut aisément dresser une première et provisoire estimation des dégâts, actuels et potentiels, dus à ce qu’il faut bien appeler le cas Ghada Aoun. Insubordination à l’autorité hiérarchique, rafles opérées par effraction, légions...