Les « violences » exercées par les agents de la brigade antiémeute, qui ont essayé mercredi d’empêcher les partisans de la procureure générale près la Cour du Mont-Liban Ghada Aoun d’envahir les locaux de la société Mecattaf de convoyage de fonds, ont été jugées inacceptables par le président Michel Aoun, qui a convoqué une réunion de sécurité, hier à Baabda.
Au cours de cette réunion à laquelle le Premier ministre sortant, Hassane Diab, les ministres sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, et de la Défense, Zeina Acar, ainsi que les chefs des services de sécurité ont pris part, le chef de l’État a demandé aux forces de l’ordre de ne pas recourir à la violence contre les manifestants. Il a aussi indiqué qu’il « ne veut pas se mêler de l’affaire Ghada Aoun » qui, en dépit d’une décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de la déférer devant l’Inspection judiciaire, avait de nouveau perquisitionné mercredi les locaux de la société, escortée par des dizaines de partisans du CPL et des manifestants de Mouttahidoun, qui se sont heurtés aux forces de l’ordre.
Selon des informations fournies par notre correspondante à Baabda Hoda Chédid, le président a convoqué la réunion « après avoir visionné des passages tronqués de vidéos montrant des agents de l’ordre user de la force contre les protestataires » qui avaient aidé Ghada Aoun à entrer par effraction dans les locaux de la compagnie de change, afin de les faire sortir des lieux. Toujours selon les mêmes informations, les vidéos des manifestants agressant violemment les policiers qui essayaient de les faire sortir des lieux ainsi que leurs véhicules « n’ont pas été montrées au chef de l’État ».
Dans son intervention, Michel Aoun a assuré que « la magistrature est en train d’assumer son rôle ». « Nous n’intervenons pas dans les mission de tel ou tel autre. Je ne veux pas me mêler de l’affaire de Ghada Aoun. Qu’elle ait raison ou tort, il appartient au CSM de se prononcer à ce sujet, mais nous ne voulons pas que les forces de l’ordre s’en prennent aux manifestants pacifiques », a-t-il ajouté, avant de s’enquérir auprès du ministre de l’Intérieur de ce qui s’est passé à Aoukar. Mohammad Fahmi devait relater les faits en soulignant que la réaction des policiers « relevait de la légitime défense ». « Nous avons vu en direct l’agression dont une correspondante de télévision a été victime », a ajouté le ministre, ce à quoi Michel Aoun a répondu en soulignant « l’importance de respecter la liberté d’expression tout en protégeant les propriétés publiques et privées », selon un communiqué de Baabda. « L’important, c’est le retour à l’ordre. Nous comprenons la douleur des citoyens et leurs peines, sachant qu’ils ont perdu leur argent », a affirmé M. Aoun.
« Les forces de sécurité doivent maintenir l’ordre de manière pacifique, conformément aux règles en vigueur », a-t-il encore insisté. « Ce qui s’est passé ne doit pas se répéter », a prévenu le chef de l’État, qui a toutefois appelé les citoyens à « faire preuve de patience (...) ».
Ghada Aoun avait déjà perquisitionné par la force à deux reprises la société Mecattaf au cours du week-end dernier, alors même qu’elle avait été dessaisie des affaires liées aux crimes financiers, selon une nouvelle répartition des tâches au sein du parquet d’appel ordonnée par le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, réputé proche de Saad Hariri. La juge a dans ce cadre été entendue mardi par le Conseil supérieur de la magistrature qui a demandé à l’Inspection judiciaire de se saisir de l’affaire de la procureure générale près la Cour d’appel à qui il a enjoint dans le même temps de se conformer à la nouvelle répartition des tâches au sein du parquet d’appel. Une décision que Mme Aoun semble vouloir ignorer. L’affaire en question est basée sur une plainte pour blanchiment d’argent contre le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, le PDG de la Société générale de banque au Liban, Antoun Sehnaoui, et la société Mecattaf.
Crise profonde et mauvaise gestion
« Ce qui s’est passé hier soir devant la société Mecattaf est l’un des aspects de la crise profonde que le Liban subit depuis plus de deux ans et qui est l’aboutissement d’une mauvaise gestion qui dure depuis des décennies », a estimé pour sa part le Premier ministre sortant Hassane Diab, qui a participé à la réunion de sécurité. « Cette crise a accéléré l’épuisement des forces militaires et de sécurité, qui se sont vu confier récemment des tâches supplémentaires en termes de gestion de la situation sociale et sécuritaire », a-t-il déploré, en référence aux protestations et incidents liés à la crise économique et sociale qui ont émaillé le pays au cours des derniers mois.
« La solution passe par le contrôle des capitaux, que notre gouvernement propose depuis mars 2020 et qui n’a pas encore vu le jour. Il faut aussi effectuer un audit juricomptable pour dévoiler les transferts à l’étranger et ceux qui ont privé les gens de leur argent », a affirmé M. Diab.
« Enfin, l’une des principales raisons de l’effondrement est le retard dans la formation du nouveau gouvernement. Même quand tout va bien, la formation du cabinet ne peut être retardée de neuf mois. Dans ces circonstances exceptionnelles, elle est inacceptable », a-t-il martelé.
À ce sujet, le président Aoun a appelé à son tour à la formation d’un gouvernement « le plus tôt possible » et a insisté sur la nécessité de mettre en œuvre la loi sur le contrôle des capitaux et de procéder à l’audit juricomptable, pour « trouver une solution appropriée aux problèmes financiers dont souffrent les citoyens ».
Les avocats de Mecattaf portent plainte contre Ghada Aoun
Après avoir réquisitionné par la force des ordinateurs de la société Mecattaf, la procureure Ghada Aoun s’attelle pour le moment à l’examen des données susceptibles de faire la lumière sur d’éventuelles opérations de transferts de fonds et de blanchiment d’argent, à travers la société de change, quand bien même l’enquête sur cette affaire avait été récemment confiée par le procureur Ghassan Oueidate au juge Samer Lichaa. Mais le bras de fer entre la compagnie et la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban n’est pas pour autant terminé. Hier, les avocats de la société de change ont porté plainte contre Ghada Aoun et X pour entrée en effraction, destruction de propriété et de biens privés. Cette dernière a cependant refusé de réceptionner l’avis de notification.
Geagea compare les pratiques du CPL à celles de l’Allemagne nazie
Le chef des Forces libanaises Samir Geagea a violemment critiqué hier le Courant patriotique libre, allant jusqu’à comparer la situation actuelle au Liban en crise à celle de l’Allemagne nazie durant les années 1930.
« Le CPL a introduit de nouveaux concepts en politique au Liban », a ironisé le leader chrétien. « La protection des droits des chrétiens se traduit (pour eux) par la destruction de sociétés privées à Awkar, et la lutte contre la corruption s’applique en protégeant ceux qui en sont responsables au sein du secteur de l’électricité, des télécoms, des douanes, aux passages frontaliers illégaux et à travers le clientélisme d’État (...) », a dénoncé M. Geagea dans un communiqué. Le chef des FL stigmatisait de la sorte les perquisitions musclées de la procureure générale Ghada Aoun dans les locaux de la société Mecattaf et les heurts de mercredi entre des partisans de la juge et les forces de l’ordre, lors d’une troisième perquisition par la force au sein de la compagnie de convoyage de fonds.
« Il s’est avéré que les avoirs des gens se trouvent au sein de la société Mecattaf et qu’ils n’étaient jamais dans les banques qui ont prêté de l’argent à l’État, qui l’a à son tour dilapidé (...) », a ironisé Samir Geagea.
« Ce à quoi nous assistons ces derniers temps au Liban nous rappelle les actions des nazis en Allemagne au début des années trente du siècle dernier. Ces derniers montaient des opérations de diversion, attaquaient des institutions et des personnes, en prétextant la (lutte contre la) corruption », a estimé le chef des FL. « Tout cela n’a pour but que de détourner le regard des problèmes essentiels dont souffre le pays, et détourner le regard des vrais criminels. Mais le Liban n’est pas l’Allemagne, et nous ne sommes pas en 1931, nous sommes en 2021 », a-t-il ajouté.
« Toutes ces pratiques déviantes ne feront qu’approfondir la crise au Liban, alors que la seule solution passe par la démission de la majorité parlementaire », a conclu le chef des FL, en réitérant son appel à des élections anticipées.
Au...
commentaires (5)
NO COMMENT ! pour ce qui est de la declaration de geagea, faut avouer que la propagande aounisto/pti gendriste est de loin plus intelligente que la sienne.
Gaby SIOUFI
10 h 29, le 23 avril 2021