« Je ne rêve que d’une chose : terminer mes études, quitter le pays, travailler dignement pour aider mes parents et construire mon avenir. Malheureusement, je n’ai pas les moyens de le faire », lance désespérément Youssef Helwan, 22 ans. À l’instar de ses amis, cet étudiant en 4e année de finance à l’Université internationale libanaise (LIU) ne vit plus comme sont supposés vivre tous les jeunes de son âge. Il survit en attendant des jours meilleurs. « Au Liban, nous, les jeunes, sommes privés du moindre petit plaisir. La moindre bière ou le moindre paquet de chips est hors de prix. Sortir est devenu un luxe auquel nous n’aspirons même plus. Avant, nous le faisions une fois par semaine. Aujourd’hui, même se retrouver chez des copains est devenu impossible. Très souvent, je prétexte une excuse pour ne pas aller chez eux. La dernière fois où j’ai acheté des habits, c’était à Noël 2019. Depuis, je me suis offert un seul jeans. J’ai honte de demander de l’argent à mes parents. Ils paient le crédit de la voiture que j’avais achetée lorsque je travaillais à mi-temps il y a deux ans. C’est déjà trop pour eux. »
Mêmes privations pour Miguel Semaan, en 4e année d’audit et comptabilité à l’Université libanaise (UL). « Avant, on sortait deux ou trois fois par mois dans des restaurants ou pour fumer un narguilé. Aujourd’hui, c’est tout juste si l’on se retrouve chez des amis. Depuis que le prix de l’essence a flambé, on réfléchit à deux fois avant de sortir se balader. Ils nous ont même ôté le plaisir d’aller nous promener. »
Pour Jean Fakher, 22 ans, en dernière année de sciences informatiques à l’Université américaine des sciences et de la technologie (AUST), c’est la « frustration de dépendre encore de ses parents pour se payer ses petits plaisirs » qui est le plus dur à supporter. « Avant, je ne demandais rien à mes parents, affirme ce jeune homme qui donne des cours particuliers à des écoliers pour se faire un peu d’argent de poche. Aujourd’hui, je ne sors plus du tout, je n’arrive plus à mettre un sou de côté. D’ailleurs, même les cours particuliers ont nettement diminué. »
Quitter le privé pour le public
Avec cette crise économique inédite au Liban, beaucoup d’étudiants n’arrivent plus à s’acquitter de leurs frais d’études indexés dans certaines universités privées au taux de 3 900 LL pour un dollar, à l’instar de Rita Achkouty qui a dû quitter la LIU pour poursuivre ses études de journalisme à l’Université libanaise. « Je ne regrette pas cette décision, admet la jeune femme qui a raté une année pour présenter un concours d’entrée et être acceptée. L’UL est une excellente université. » L’étudiante a interrompu toutes ses activités sportives, natation, sorties…, faute de moyens. « Il fallait choisir entre les loisirs ou les soins hospitaliers, dit-elle amèrement. Si l’un de mes parents tombe malade, on ne peut plus lui payer les frais d’hospitalisation. »
Autre problème auquel sont désormais confrontés les étudiants libanais : la hausse des loyers des foyers, qui ont doublé depuis six mois. « L’an dernier, je payais 250 000 LL le mois pour une chambre dans un foyer en ville que je partageais avec un copain pour amoindrir les coûts », raconte Karim el-Baba, étudiant en 2e année de génie informatique à l’UL. À l’époque, j’arrivais encore à travailler l’été pour payer le foyer et les dépenses en plus de l’université. Aujourd’hui, avec le virus qui s’est propagé dans le pays et la fermeture des restaurants, je n’ai pas pu le faire », regrette cet étudiant originaire de Nabatiyé. Son colocataire a décidé de suspendre ses études. « Son père est au chômage, sa mère ne travaille pas. Ils ne peuvent plus lui payer le coût de l’université, qui est de 350 000 LL, et encore moins son foyer. » Karim el-Baba ignore comment il fera lorsque les cours reprendront en présentiel. « Je logerai probablement chez mon oncle qui habite en ville. Ce n’est pas évident, ils sont déjà cinq à la maison. Avec moi, cela fait une bouche de plus à nourrir. Et c’est un gros problème de nos jours . »
Outre l’augmentation des prix des foyers, les frais des transports en commun représentent un gros problème pour tous ces étudiants. « Depuis trois mois, les tarifs ont doublé, raconte Joe Kazan qui termine sa dernière année de génie informatique à l’UL. Je payais l’an dernier 8 000 LL par jour pour me rendre de Dora jusqu’à mon université à Fanar. Aujourd’hui, le trajet me coûtera 16 000 LL par jour, ce qui fera un total de 320 000 LL pour le transport par mois à prévoir, en plus de la scolarité et du coût des fournitures scolaires », confie le jeune homme. L’étudiant appréhende déjà de rendre la thèse de son projet de fin d’études : 450 pages qu’il devra photocopier en quatre exemplaires et présenter aux membres du jury. Il y a un an, chaque page photocopiée coûtait 500 LL. Aujourd’hui, le prix a doublé. « Il me faudra un million de livres libanaises pour présenter mon projet. Je préfère ne pas y penser . » Et le jeune homme d’ajouter : « Tant que nous travaillons depuis la maison, cela passe encore. Mais déjà, on parle d’un retour en présentiel. Comment va-t-on faire face à tant de dépenses ? se demande-t-il anxieux. C’est à ce moment-là que nous, les jeunes, ressentirons la vraie crise dans le pays. Que les vrais problèmes commenceront ! »
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LA LIBRE EXPRESSION
10 h 53, le 22 avril 2021