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Économie - Décryptage

Le plan de Camille Abousleiman pour profiter des bas prix des eurobonds

L’ancien ministre suggère à l’État de soumettre aux créanciers une offre publique de rachat pour retirer de la circulation une partie des titres de dette détenus par les étrangers.

Le plan de Camille Abousleiman pour profiter des bas prix des eurobonds

La solution proposée par Camille Abousleiman permettra de racheter une partie des titres sans avoir besoin d’obtenir l’accord de 75 % des créanciers. Photo M.A.

Plus d’un an après le défaut de paiement des eurobonds (titres de dette en devises) en mars 2020, le Liban n’a toujours pas restructuré sa dette, qui s’élevait à 95,9 milliards de dollars à fin janvier (soit + 4,3 % en glissement annuel), selon les derniers chiffres disponibles (95,6 milliards à fin 2020, également + 4,3 % comparé à fin 2019). La partie en livres représentait alors 62,2 % de la dette totale (95,7 milliards de dollars au taux officiel de 1 507,5 livres), contre 36,2 milliards de dollars pour celle en devises en comptant 4,7 milliards d’arriérés accumulés depuis le défaut.

Alors que tous les indicateurs sont dans le rouge en raison de la crise que traverse le Liban depuis 2019, marquée notamment par la chute libre de la livre libanaise ou encore le blocage de la formation du gouvernement depuis août 2020, l’ancien ministre du Travail dans le gouvernement Saad Hariri, Camille Abousleiman, propose de « tirer profit des mauvaises nouvelles ». Avocat international spécialisé en dette publique, il suggère à l’État de profiter de la forte baisse des prix des eurobonds pour soumettre aux créanciers une offre publique de rachat.

Selon lui, le prix d’émission de ces titres étant de 100 %, l’État pourrait ainsi en racheter une partie à un prix oscillant entre « 15 et 17 % » afin de retirer de la circulation une partie des titres de dette détenus par les étrangers, une démarche qui pourra être effectuée par un gouvernement sortant « au vu de la nécessité et de l’urgence qui permettent à un cabinet expédiant les affaires courantes de prendre ce genre de décision ». Le rachat des titres en question serait alors financé avec les réserves de devises de la Banque du Liban (BDL) – qui détient d’ailleurs elle-même avec les banques du pays une importante partie de la dette, en livres comme en devises – ou à travers une ligne de crédit spéciale que le Liban pourrait obtenir du Fonds monétaire international (FMI - facilité de crédit rapide, FCR). S’il ne se passe désormais plus un jour sans que le niveau inquiétant de ces réserves, dont la partie disponible sert également à financer les subventions sur les importations, ne soit commenté, Camille Abousleiman juge de son côté que le Liban devra tôt ou tard rembourser une partie des eurobonds et que la solution qu’il propose permettra au pays de s’en sortir à moindre frais et de réduire les coûts d’une restructuration négociée avec les créanciers.

Pour rappel, l’ancien ministre a participé à la rédaction des contrats d’émission d’eurobonds libanais depuis que le pays a commencé à en émettre depuis 1995.

Contourner les négociations

Le processus d’émission des titres de dette publique (aussi appelée dette souveraine) se déroule généralement comme suit. En premier lieu, l’État émet les titres de dette sur le marché afin que les investisseurs les achètent pour ensuite se faire rembourser sur une période fixée à l’avance et avec un rendement qui dépend de plusieurs paramètres évaluant la stabilité et la solvabilité du pays. On parle alors de marché primaire. Les investisseurs peuvent à leur tour décider de revendre ces titres à d’autres investisseurs à des cours qui dépendent des mêmes facteurs que sur le marché primaire, auquel s’ajoute le jeu de l’offre et de la demande. C’est le marché secondaire.

S’agissant du Liban, seuls les eurobonds sont échangés sur le marché secondaire et cotés sur les places boursières internationales, tandis que les titres de dette en livres n’intéressent en majorité que les acteurs libanais.

Pour mémoire

Les négociations entre État et détenteurs d’eurobonds : comment ça marche

Le fait que les cours des eurobonds se soient effondrés depuis le début de la crise s’explique principalement par la baisse de confiance des investisseurs vis-à-vis de la capacité du Liban à rembourser sa dette en devises, la BDL ne pouvant imprimer des dollars à cette fin, tandis que la capacité de l’économie à en attirer a été quasiment réduite à néant par la crise économique, le défaut de paiement et les restrictions illégalement imposées aux déposants des banques du pays. La crise sanitaire, qui a fortement impacté les revenus du tourisme déjà amenuisés par l’instabilité régionale chronique, a également pesé dans la balance.

Une situation sanctionnée par les principales agences de notation financière (Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch) qui ont toutes rétrogradé la note du Liban dans le bas du tableau, ce qui oblige les responsables libanais à restructurer la dette en négociant les termes de l’opération avec les créanciers afin d’obtenir l’accord de 75 % d’entre eux au moins sur chaque série d’eurobonds émise, selon les clauses de souscription prévues. Le Liban a au moins une échéance à honorer par année jusqu’en 2037, à l’exception des années 2029, 2033, 2034 et 2036.

C’est à ce niveau qu’intervient la solution de Camille Abousleiman qui suggère alors à l’État d’approcher l’ensemble des créanciers avec une offre publique de rachat adressée à tous les détenteurs qui seraient volontaires. Le pourcentage à racheter dépendra du montant de liquidités disponibles pour financer cette opération. Le fait de ne pas passer par des négociations en première instance permet de contourner le blocage de la formation du gouvernement et la suspension des discussions avec le Fonds monétaire international entamées en mai dernier par les autorités afin de débloquer une aide financière pour redresser le pays. Ainsi, le Liban pourra racheter une partie des titres pour les retirer de la circulation sans avoir besoin d’obtenir l’accord de 75 % des créanciers. En résumé : ceux qui veulent vendre pourront vendre sans tenir compte des autres détenteurs.

Selon l’avocat spécialisé, les clauses d’émission des eurobonds autorisent leur rachat par l’émetteur à condition que l’offre soit étendue à tous les détenteurs, en vertu de la clause d’égalité de traitement de ces derniers. Cette condition doit permettre d’éviter que l’émetteur des titres ne favorise les grands créanciers – les fonds Ashmore ou Fidelity par exemple – au détriment des petits porteurs (qui comptent certains particuliers dans leurs rangs). Dans la pratique, ni le Liban ni les grands créanciers n’auraient de toute façon intérêt à privilégier une approche privée et négociée pour le rachat, qui risque de contrevenir aux règlements internationaux en vigueur et soulever des craintes de manipulation de marché. Sans compter le fait qu’une telle manœuvre pourrait en outre refaire partir les prix des eurobonds à la hausse, ce qui anéantirait tout l’intérêt du procédé proposé par Camille Abousleiman.

L’avocat juge enfin que la proposition pourrait être « intéressante pour les créanciers étrangers » en soulignant que sur les 31,5 milliards de dollars d’eurobonds, uniquement « 12 à 13 milliards » sont en principe détenus par des étrangers. « C’est donc, toutes proportions gardées, une petite dette pour les créanciers étrangers », indique-t-il en faisant de plus remarquer que ces derniers n’avaient toujours pas intenté de procès au Liban plus d’un an après le défaut. Une autre source proche du dossier explique, elle, ce flegme par le fait que les fonds qui ont investi dans la dette libanaise étaient pour le moment plus préoccupés actuellement par les pertes liées à la crise sanitaire, le Liban ne représentant qu’une petite partie de leurs portefeuilles.

Camille Abousleiman indique finalement qu’il sera toujours nécessaire que l’État arrive à un accord négocié avec les détenteurs des eurobonds n’ayant pas vendu à travers l’offre publique de rachat. Toutefois, toute négociation avec les détenteurs devra être accompagnée d’un programme du FMI, rappelle-t-il. 

Plus d’un an après le défaut de paiement des eurobonds (titres de dette en devises) en mars 2020, le Liban n’a toujours pas restructuré sa dette, qui s’élevait à 95,9 milliards de dollars à fin janvier (soit + 4,3 % en glissement annuel), selon les derniers chiffres disponibles (95,6 milliards à fin 2020, également + 4,3 % comparé à fin 2019). La partie en livres...

commentaires (5)

On assiste tous les jours à des experts géniaux exposer des idées lumineuses .... mais où est ce qu’ils étaient avant l’effondrement de l’économie libanaise? Alors leur baratin ils peuvent se le garder, l’important est que les banques nous rendent notre épargne en vraies devises et que ces banques se débrouillent avec la BdL et l’Etat Libanais Prestigieux... ce n’est pas le problème des épargnants qui ont ont confié en toute bonne foi a ces banques le fruit du travail de toute une vie. Les analyses géniales, on s’en tape !

Lecteur excédé par la censure

19 h 17, le 15 avril 2021

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Commentaires (5)

  • On assiste tous les jours à des experts géniaux exposer des idées lumineuses .... mais où est ce qu’ils étaient avant l’effondrement de l’économie libanaise? Alors leur baratin ils peuvent se le garder, l’important est que les banques nous rendent notre épargne en vraies devises et que ces banques se débrouillent avec la BdL et l’Etat Libanais Prestigieux... ce n’est pas le problème des épargnants qui ont ont confié en toute bonne foi a ces banques le fruit du travail de toute une vie. Les analyses géniales, on s’en tape !

    Lecteur excédé par la censure

    19 h 17, le 15 avril 2021

  • LE MONSIEUR FAIT DES PROPOSITIONS DE BONNE FOI MAIS IL REVE. 1 - QUI SONT CES ETRANGERS QUI VONT ACCEPTER DE SE DESSAISIR DE LEURS BONDS A 15 ET 17 PCT DE LEURS VALEURS, MONTANTS DERISOIRES. 2 - LES PAYERAIT-ON AVEC DES LIVRES LIBANAISES ? 3 - LES RESERVES DE LA BDL ET L,OR DE L,ETAT DEVRAIENT ETRE EMPLOYES POUR PAYER LES DEPOTS DES GENS BLOQUES DANS LES BANQUES ET LA BDL. 4 - SE BASER SUR DES MONTANTS PROMPTS AVANCES PAR LE FMI EST UTOPIQUE. IL Y A NEGOCIATIONS A FAIRE ET CONDITIONS A ACCEPTER ECONOMIQUES, FINANCIERES ET POLITIQUES. LE FMI N,EST PAS UNE SOCIETE DE CHARITE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 42, le 15 avril 2021

  • On se demande pourquoi les ex ministres ont toujours des idées lumineuses une fois qu’ils ont quitté le pouvoir et sèchent lorsqu’ils occupent leurs postes au sein de l’état jusqu’à mener le pays dans le désastre qu’on connaît. Le problème ne date pas d’hier et avant hier, ce Monsieur aurait dû agir au lieu d’assister à un effondrement lent et sûr de son pays. Au suivant.

    Sissi zayyat

    11 h 54, le 15 avril 2021

  • Si les acheteurs domestiques et/ou internationaux savaient, ou s'ils avaient des soupçons fondés, que des commissions d'intermédiations ANORMALES ont été encaissées, comme le presse l'avait relatées d'après l'enquête suisse, ils doivent perdre leurs droits à négocier, voire même les priver de remboursements et leur demander même des dédommagements à verser à l'Etat. Je pense que si l'expert Abousleiman s'attendait depuis 1995 à ce qui est arrivé, il aurait dû avertir le peuple, sans relâche, tous les jours depuis, y compris les dimanches, au lieu de siéger dans un gouvernement.

    Shou fi

    11 h 08, le 15 avril 2021

  • C’est une excellente solution, permettant de réduire la pression. Et pouvoir négocier une solution permettant de remettre le Pays sur les rails

    charles s gennaoui

    10 h 58, le 15 avril 2021

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