C’est probablement l’année où la commémoration du 13 avril, date qui a marqué le début de la guerre civile de 1975, est la plus pénible à vivre. Et pour cause : la morosité ambiante provoquée par une double crise politique et financière qui plombe le pays cumulée à l’exacerbation des clivages confessionnels ont fait ressurgir les vieux démons. Nombreux sont ceux qui craignent aujourd’hui que le Liban ne replonge dans un conflit civil, les ingrédients d’une explosion sociale sur fond de tensions communautaires étant réunis. Sauf que ni le contexte géopolitique ni l’équilibre des forces sur le plan interne ne sont propices à ce scénario, affirme le directeur de l’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth, Joseph Bahout.
Tous les indicateurs sont au rouge. Le Liban est-il aujourd’hui menacé d’une nouvelle guerre civile?
Beaucoup d’ingrédients sont réunis et pourraient rappeler le contexte qui existait en 1975. Mais le tableau n’est pas complet et certains ingrédients restent inexistants. Le contexte géopolitique n’est pas propice à un tel scénario car aucun des acteurs régionaux n’a vraisemblablement la volonté de nourrir la guerre qui nécessite des armes et beaucoup d’argent. Cela dit, ce cas de figure ne peut être complètement écarté notamment en cas d’échec des négociations entre l’Iran et les États-Unis, en cas de recrudescence de la tension entre les monarchies du Golfe et l’Iran, ou encore au cas où la crise syrienne prend un nouveau tour dans les années qui viennent.
Au niveau intérieur, ce qui empêche aujourd’hui cette guerre, c’est surtout, paradoxalement, le « surplus de puissance » aux mains d’une seule partie, le Hezbollah, et la grande difficulté qu’auraient d’autres parties à établir un rapport de force avec elle. Tout d’abord, il faut savoir que les conditions locales pour pousser les Libanais à prendre les armes ne sont pas réunies du fait principalement qu’il y a une inégalité entre les Libanais à l’ombre de la prédominance du Hezbollah. Ensuite, il faut reconnaître que l’armée libanaise est devenue plus solide et donc plus apte à jouer son rôle.
Pendant des années, on a répété comme un leitmotiv que la communauté internationale ne laisserait pas le pays sombrer dans un conflit armé. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Il faut commencer par relativiser ce concept de communauté internationale tel qu’on l’utilise, à tout bout de champ, au Liban. Nous sommes plutôt en présence d’une scène internationale qui a ses divisions et des intérêts contradictoires et multiples. En effet et dans ce sens, il peut exister un scénario où ladite communauté internationale ou les acteurs internationaux peuvent justement provoquer une guerre du fait de leurs divisions. Je crois d’ailleurs aussi que les Libanais doivent se débarrasser de cette chimère qui consiste à croire que les puissances extérieures vont ou peuvent les empêcher de s’entre-tuer ou de mourir. Nous avions en effet cru, il y a quelques années, que cette communauté internationale allait œuvrer pour éviter l’effondrement du pays. Ce ne fut pas le cas. Le Liban s’effondre aujourd’hui et la communauté internationale ne semble pas s’en émouvoir pour autant. Enfin, il suffit de regarder la Syrie à côté qui a brûlé pendant dix ans. Personne n’a rien fait. Les acteurs internationaux ont même fini par projeter leurs divisions sur la Syrie.
Même si tous les facteurs sont réunis pour pousser les Libanais à prendre les armes, le feront-ils pour autant ? Ne sont-ils pas, selon vous, devenus immunisés contre ce mal ?
Cette question n’est pas liée à l’immunité, qui est de l’ordre mental et qui est radicalement différente. Personnellement je ne crois pas trop à ces questions d’immunité, en tous cas pas une « immunité » éternelle et acontextuelle. On peut en tout cas constater que les Libanais ont souvent souffert du symptôme de répétition à travers leur histoire. Ensuite, parler d’immunité signifie que les citoyens ont résolu la mémoire de la guerre et effectué une lecture critique de ce qui s’est passé. Ce qui n’est pas le cas. Cela dit, certains Libanais seront sans doute naturellement empêchés de rééditer la guerre par peur physique et par crainte de se livrer de nouveau à la destruction.
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Les parrains de notre passé marchent dans les funérailles de notre avenir... Sous vos applaudissement et au rythme de vos klaxons, messieurs dames !
Ayoub Elie
14 h 59, le 13 avril 2021