Au lendemain de la double explosion du port il y a huit mois et face à la crise économico-financière que traverse le pays du Cèdre, Mohammad Benlahsen, le président de l’université de Picardie Jules Verne, et Marie-Françoise Montaubin, la vice-présidente déléguée à l’international, ont tous deux sollicité Antoine Kattar, professeur des universités en sciences de l’éducation, directeur adjoint de l’Institut national de l’éducation et du professorat (INSPE) de l’Académie d’Amiens-Hauts de France et coordinateur géographique pour le Moyen-Orient. Leur objectif? Construire un dispositif de soutien et de coopération scientifique d’urgence à l’adresse des étudiants libanais inscrits à l’université de Picardie Jules Verne ainsi que des universités libanaises avec lesquelles l’institution française entretient des conventions de coopération comme, entre autres, l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), l’Université Saint-Joseph (USJ) ou encore l’Université libanaise (UL).
Initié depuis début septembre 2020, le dispositif en question s’articule autour de trois axes. Le premier, divisé en deux volets, consiste tout d’abord à exonérer tous les étudiants libanais inscrits à l’université de Picardie Jules Verne de leurs droits d’inscription et à revisiter leur situation financière. Il propose en second lieu une offre en ligne de cours gratuits en accord avec les partenaires universitaires libanais. « Nous avons décidé, explique Antoine Kattar, de venir en aide aux étudiants inscrits en doctorat et au master, et de réviser leur situation financière au cas par cas, surtout que certains d’entre eux sont à l’université grâce à des bourses ou à un soutien familial, alors que d’autres se sont retrouvés en situation de grande précarité et ne parviennent plus à payer leur loyer. » Jusqu’à présent 42 étudiants ont profité de cette initiative. Et cet engagement en faveur des étudiants libanais dépasse le cadre du territoire français. « Notre objectif est d’aider ici et là-bas. Nous sommes donc en train de réfléchir à une offre de cours en ligne, dans le cadre du campus connecté pour Beyrouth avec en réflexion comment faire bénéficier de cours d’appui ceux qui ont du mal à payer et à se déplacer », ajoute-t-il.
Le deuxième axe porte sur l’accueil d’enseignants et d’enseignants-chercheurs libanais souhaitant développer la codiplomation de formation émergente au Liban pour une durée d’un mois. « Notre dispositif consiste à aider, accompagner et réinvestir le pays en termes d’insertion professionnelle », souligne-t-il. C’est pourquoi un appel d’offres pour développer des mobilités géographiques et accueillir des codiplomations sera lancé. « L’idée, dit-il, est de s’inscrire dans le cadre d’un diplôme de formation émergente comme le développement durable, l’inclusion scolaire et sociale des élèves à besoins spécifiques, les formations professionnalisantes en art… Il s’agit d’essayer de trouver une réciprocité dans la relation, de susciter de l’intérêt, d’aider les enseignants et les enseignants-chercheurs libanais à prendre un souffle, à respirer, en leur assurant une voie de dégagement pour pouvoir construire une projection dans l’avenir. »
Par ailleurs, le développement d’une recherche partenariale et collaborative sur les processus à l’œuvre dans les mouvements de détruire, reconstruire, déconstruire et se reconstruire se trouve au cœur du troisième axe. Reconstruire oui, mais reconstruire quoi au juste ? « Le 4 août, les Libanais ont été touchés par l’impensable et la sidération. C’était la catastrophe. Frappé de plein fouet par les crises successives, le Libanais a été, cette fois-ci, grandement affecté, car atteint plus particulièrement dans sa deuxième peau qu’est la résilience, cette marque de fabrique qui fait qu’à chaque fois, comme nous le répétons régulièrement, le Phénix renaît de ses cendres. Oui le Libanais est en colère et il y a tout un travail à faire sur cette colère pour qu’émerge une nouvelle parole lui permettant de redevenir un vrai acteur social », avance Antoine Kattar. L’universitaire souligne la nécessité de retravailler sur « la perte et la désillusion » des Libanais qui, réputés pour leur esprit d’entraide et de solidarité, trouvent actuellement dans l’émigration la seule échappatoire, les jeunes quittant le pays juste après la licence, voire le baccalauréat. « C’est là toute la question, comment passer du traumatisme à une nouvelle résilience ? » renchérit-il.
Selon M. Kattar, c’est par l’éducation et la recherche que le Liban aura une issue, une voie possible. « Nous souhaitons lancer et développer une expérience de recherche collective », affirme-t-il, d’autant que le secteur de l’éducation, déjà à bout de souffle, tout comme la recherche au Liban sont en situation de survie. « Nous cherchons à accentuer la recherche surtout que les établissements d’enseignement supérieur libanais sont demandeurs », affirme-t-il. Pour lui, il ne s’agit pas de déposséder le pays de ses talents, mais au contraire de proposer des espaces de réflexion communs, de former à et par la recherche et de tisser des partenariats inventifs.
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