Les Libanais – et avec eux nombre d’analystes étrangers – ont souvent la mémoire courte, ou évitent aussi de « dire la vérité, aussi dure soit-elle », pour reprendre une expression chère au président assassiné Bachir Gemayel. Lorsque cela s’accompagne, de surcroît, d’une désinformation savamment orchestrée et d’une occultation systématique de certains faits ou réalités, le résultat se traduit alors par une situation autant destructrice que suspecte.
Dans son homélie pascale, le patriarche Béchara Raï a une fois de plus mis en garde, sans complaisance, contre un plan qui vise à « changer l’identité du Liban ». En clair, un plan dont la finalité est de modifier, à petits pas et de façon pernicieuse, l’image que l’on connaît du Liban, celle d’un pays libéral, pluraliste, respectueux de la liberté d’expression, ouvert sur le monde. S’obstiner à ne pas reconnaître aujourd’hui un tel danger, en dépit des développements de ces dernières années, reviendrait à faire preuve de cécité politique ou, pire encore, de malhonnêteté intellectuelle.
Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard rapide sur les multiples épreuves endurées par les Libanais depuis la fin des années 60. Comme cela a été exposé plus d’une fois dans ces mêmes colonnes, depuis l’implantation des organisations palestiniennes armées en territoire libanais, à la suite de l’accord du Caire de 1969, le pays s’est progressivement transformé en un abcès de fixation régional et a été la cible d’une cascade de stratégies étrangères visant à saborder sa stabilité interne, à saper la souveraineté et l’autorité de l’État central, et à torpiller chaque entreprise de redressement. Ce fut l’œuvre des Palestiniens, des Israéliens, des Syriens et, actuellement, des Iraniens (par le biais de leur tête de pont locale) qui tour à tour n’ont épargné aucun effort pour essayer de détruire la raison d’être et la vocation du Liban. Tous les chefs de file qui ont constitué, à différentes périodes, une menace sérieuse pour ces manœuvres de déstabilisation ont été éliminés l’un après l’autre.
De manière concomitante, les tentatives locales ou étrangères de replacer le pays sur la voie d’une paix civile durable ont été combattues. À titre d’exemple, les multiples efforts déployés par la France à diverses reprises afin d’aider le pays du Cèdre à sortir la tête de l’eau ont été la cible de cette entreprise de torpillage. L’on oublie ainsi que la récente initiative française lancée par le président Emmanuel Macron au lendemain de la double explosion du 4 août dernier ainsi que les démarches réactivées depuis quelques jours par l’Élysée et le Quai d’Orsay afin de débloquer la formation du gouvernement s’inscrivent dans le prolongement de plusieurs tentatives d’aide française similaires initiées ces dernières années. Tel est notamment le cas des conférences internationales de Paris I (1998), Paris II (2002) et Paris III (janvier 2007), organisées par le président Jacques Chirac, et plus récemment, en avril 2018, de la « Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises » (CEDRE, ou Paris IV), tenue sous l’égide d’Emmanuel Macron. Un ancien ministre qui a vécu ou suivi de près ces différentes assises internationales de soutien au Liban affirme qu’elles ont été étouffées dans l’œuf et torpillées d’entrée de jeu par les alliés de l’axe Téhéran-Damas.
Un facteur nouveau, et de taille, est venu s’ajouter depuis 2006 à ces opérations de déstabilisation : le projet transnational du Hezbollah, ancré structurellement et sur le plan de la doctrine théocratique à la République islamique iranienne. Au fil des ans, depuis la guerre de juillet 2006 – qui a constitué la principale phase de la contre-révolution du Cèdre – le parti chiite a progressivement créé une situation guerrière permanente qui a été crescendo et a miné profondément l’économie du pays, faisant fuir les investissements étrangers et inhibant peu à peu l’activité économique locale.
L’implication directe dans les conflits armés de la région– un fait accompli imposé aux Libanais, comme l’a relevé le patriarche Raï – ainsi que les campagnes assidues contre les États du Golfe et les pays traditionnellement amis du Liban ont achevé d’isoler le pays sur le double plan arabe et international, aggravant à un rythme exponentiel la crise financière et économique provoquée par la corruption galopante d’une partie de la classe dirigeante ; une corruption couverte et entretenue, de plus, par le même Hezbollah. Lentement mais sûrement, le parti pro-iranien minait ainsi à la base, sous le poids de la crise croissante, les principaux secteurs de la vie sociale et économique qui constituent la spécificité du Liban dans cette partie du monde : universités, écoles privées, hôpitaux, tourisme, commerce et secteur bancaire (qualifié d’« américain » par le député Mohammad Raad, lors de sa visite à Moscou) ont été frappés de plein fouet par un travail de sape progressif orchestré par l’allié de Téhéran, qui n’a jamais caché sa volonté d’ancrer le pays à son mentor régional, le principal indice révélateur étant le circuit financier parallèle mis en place par le Hezbollah dans les régions sous son contrôle.
Occulter ces réalités en entretenant une campagne de désinformation et de diversion médiatique ne ferait que confirmer les appréhensions du patriarche maronite portant sur les tentatives de modifier l’identité et la spécificité du Liban.
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Le Liban a troqué depuis des décennies sa démocratie pour se soumettre à un potentat qui régit avec minutie tous les secteurs de la souveraineté les transformant à sa guise et sans trop d’effort en secteurs privés sous ses ordres. Le plus décevant dans l’histoire c’est que avec sa méthode despotique il a mis le pays et ses citoyens aux pas en instaurant une peur qui a généré de facto une auto-censure et une obéissance honteuse. Les assassinats et les attentats de tout genre ont fini par dissuader les plus courageux à se mettre sur son chemin. Il a pris ainsi de l’ampleur et étendu sa démocrature sur tout le pays décidant ainsi de son sort et de celui des quelques millions d’âmes en quête de paix et de tranquillité. Il serait peut être temps de se relever et de reprendre sa vie en main car si on continue à baisser la tête et courber l’échine il ne restera plus rien de notre pays et nous aurons du mal à nous regarder dans la glace et ce sera trop tard pour reprendre le contrôle de nos vies et du destin de nos enfants. Une nation sans peuple est un champ vague essayons de le repeupler.
Sissi zayyat
13 h 36, le 07 avril 2021