La nature a horreur du vide. On pourrait en dire autant de la politique. Les Libanais l’ont largement appris à leurs dépens. Les épreuves qu’ils endurent depuis plusieurs années, et surtout l’actuelle crise ministérielle et existentielle qui s’est encore envenimée hier en fin de journée, sont par ricochet – bien au-delà des apparentes considérations politiciennes et partisanes – l’un des effets collatéraux de l’attitude d’abandon et de repli adoptée par des puissances régionales et internationales qui étaient traditionnellement un précieux soutien pour le Liban et qui jouaient toujours un rôle de premier plan au Moyen-Orient. L’exemple le plus frappant de l’impact désastreux de cette politique du vide aura été sans conteste l’attitude de Barack Obama qui, en 2015, obnubilé par sa farouche volonté de conclure coûte que coûte l’accord sur le nucléaire avec Téhéran, s’est totalement désintéressé de tous les autres dossiers conflictuels de la région– notamment la question des missiles balistiques et le comportement belliqueux de l’Iran. Cela s’est traduit pratiquement par un retrait politique américain de la région, sous le mandat Obama. Les pasdaran iraniens ne se sont pas fait prier pour percevoir ce repli US comme un blanc-seing à leur politique expansionniste dans plusieurs pays du M.-O., dont le Liban.
Cet abandon de la région par l’administration Obama a créé une brèche dans laquelle Vladimir Poutine s’est rapidement engouffré pour que la Russie fasse un spectaculaire « come-back » stratégique, en tant que grande puissance, non seulement dans la région mais sur la scène internationale. Ce qui a fait dire à un diplomate occidental en poste à Beyrouth que si les États-Unis et l’Union européenne avaient réagi avec fermeté et détermination lorsque le régime Assad a employé les armes chimiques contre sa propre population, Poutine n’aurait sans doute pas agi comme il l’a fait avec la Crimée et l’Ukraine. La brèche, Barack Obama l’a aussi provoquée indirectement au Liban dans le prolongement de son option iranienne, laissant le champ libre au Hezbollah et aux pasdaran, qui ont rapidement considéré que le pays leur appartient et qu’ils peuvent – et doivent – imposer leur diktat pour soutenir tous azimuts le projet iranien dans la région en faisant fi de la situation libanaise. Il en a résulté, progressivement, la crise institutionnelle à laquelle est confronté aujourd’hui le pays. Face à une telle donne, certains pays du Golfe – Arabie saoudite en tête – ont entrepris de sanctionner le Liban dans son ensemble en se retirant totalement, sur tous les plans, de la scène libanaise. Attitude irrationnelle qui a fait le jeu du Hezbollah et a accru le déséquilibre politique dans le pays en renforçant encore plus l’emprise de la faction pro-iranienne. Car le Hezbollah ne demande en définitive qu’à avoir les coudées franches sur l’échiquier libanais. D’où ses campagnes répétées contre les pays du Golfe pour les pousser, précisément, à fuir le terrain libanais et à lui laisser le champ libre.
L’une des causes indirectes de la crise institutionnelle, économique, sociale et financière qui frappe actuellement le pays– et dont la présente impasse gouvernementale est l’une des plus graves manifestations – est cette politique du vide intégral pratiquée par certains pays qui traditionnellement soutenaient le Liban dans ses épreuves. La France a choisi fort heureusement une autre voie en refusant d’abandonner la partie et en poursuivant contre vents et marées son initiative de sauvetage lancée au lendemain de la tragédie du 4 août. Les prises de position répétées du président Emmanuel Macron et du chef du Quai d’Orsay Jean-Yves Le Drian ainsi que la détermination affichée par le chef de l’État français de débattre de la crise libanaise avec les décideurs régionaux et internationaux, notamment les États-Unis et les pays du Golfe, sans compter les partenaires de l’Union européenne, constituent pour le Liban un atout inespéré. Et pour cause : le pays n’a pas les moyens objectifs qui lui permettraient de faire face, seul, au vaste projet iranien transnational et il a donc besoin sur ce plan du soutien d’une puissance étrangère de poids.
Le Hezbollah, de par son implication directe dans la stratégie régionale des pasdaran et dans les divers conflits armés au Moyen-Orient, a lui-même internationalisé la crise libanaise. De ce fait, seule une conférence internationale sous l’égide de l’ONU, comme le réclame le patriarche maronite Béchara Raï, pourrait contrebalancer et neutraliser l’internationalisation initiée par le parti pro-iranien, tout en comblant le vide laissé par la politique d’abandon et de repli pratiquée par les puissances qui ont laissé le champ libre au Hezbollah. Cette approche fondée sur la proposition de conférence internationale paraît d’autant plus nécessaire dans le contexte de la crise actuelle que le président de la République a fait le choix – fort discutable – de ne pas affronter ou même importuner l’allié de Téhéran en imposant la distanciation réelle et durable du Liban vis-à-vis de tous les conflits et guerres de la région.
commentaires (6)
Pardon, "sans l'allié", et non pas "sans l'allier" !!!
Shou fi
19 h 49, le 23 mars 2021