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Nos Lecteurs ont la Parole

Une option mortifère pour le Liban : le fédéralisme

La jeunesse libanaise, notamment depuis le 17 octobre, réclame à cor et à cris un changement de régime, de structure étatique, un dépassement des clivages confessionnaux. Décentralisation, confédération, fédération, ainsi que générosité et recroquevillement sur soi s’entremêlent pêle-mêle. L’esprit de la révolution d’octobre est toujours là, assourdi par la crise économique, le Covid 19, et presque enterré sous les décombres des silos et du port, embrigadé par les querelles des chefs au sommet de l’État et menotté par un confessionnalisme débridé.

Aussi, tout un chacun voit le salut pour éviter la division et l’éclatement du pays, qui dans le fédéralisme, qui dans le confédéralisme et qui dans une décentralisation à la carte.

La cacophonie est totale et sont répétés des mots dont le sens semble échapper à de sincères volontés de changement dans le cadre de l’unité du pays du Cèdre.

Éliminons un malentendu qui perdure et nous vient de la Confédération helvétique, la Suisse, qui, pour des raisons historiques, a maintenu sa dénomination de « Confédération », alors que, depuis 1848, la Suisse est devenue un État unitaire fédéral : une fédération au sens du droit et non plus une confédération.

Une confédération ?

C’est une ligue, un accord entre des États indépendants qui, dans un but précis, décident de s’unir dans une action commune ou pour défendre une cause commune. Les États œuvrent et décident chacun de son côté, indépendamment, en toute liberté. Une confédération est donc une accolade, un ensemble de plusieurs États indépendants qui s’engagent, dans un temps et pour un temps donné, tels les cantons suisses avant 1848 ou les États sudistes, les Confédérés, avant la guerre de Sécession américaine. Ces États œuvrent en synergie dans un même mouvement centrifuge.

La Ligue des États arabes est une sorte de confédération où les États prennent ensemble des décisions en vue du bien commun ; chaque État décide seul, acquiesce aux décisions ou met son veto : tout est régi par la loi de l’unanimité.

Le Conseil de coopération du Golfe est également une confédération qui réunit tous les États du golfe Arabo-Persique, alors que les Émirats arabes unis, qui en font partie, sont, eux, une fédération qui réunit 7 émirats.

Une fédération ?

C’est ce que sont devenus les cantons suisses en 1848 en cédant leur souveraineté et une partie de leurs droits politiques à l’État fédéral central, ou les États sudistes confédérés qui, suite à la guerre de Sécession et à leur défaite, rallieront en 1867 les États du Nord, lâchant une partie de leur autonomie et reniant toute forme d’indépendance, formant ainsi la grande fédération des États-Unis.

En droit international, une fédération, du latin foedus (alliance), est une forme d’État où deux ou plusieurs États décident de renoncer à une partie de leurs droits politiques et de leur indépendance, ainsi qu’à une grande partie de leur autonomie pour se fonder, intégrer, faire partie intégrante d’un seul et même État souverain.

Une fédération, c’est un État-chapeau dont se réclament toute la population, toute la nation, toutes les entités territoriales administratives et culturelles qui, elles, peuvent jouir d’une autonomie de décision dans un nombre de domaines secondaires mais importants : sécurité locale, sécurité sociale, agencements locaux du territoire, etc.

La différence essentielle et de nature entre confédération et fédération, c’est que, dans une fédération, l’État central fédéral jouit d’une pleine souveraineté et étend son imperium sur toute la population et tout le territoire. L’État fédéral est un parapluie qui jouit seul de cette souveraineté, et il est seul détenteur des pouvoirs dits régaliens : la monnaie, les affaires étrangères et la représentation de l’État, sa défense, la défense de ses frontières, de son territoire relèvent uniquement du gouvernement central fédéral.

Les grandes options politiques, laïques, religieuses, politiques de santé, d’environnement, les grands travaux et ceux d’aménagement du territoire, etc., tous relèvent de l’État central fédéral. Les États ou entités territoriales fédérés ayant renoncé à une partie de leur autonomie et de leurs droits politiques sont tenus d’obéir et d’instaurer les droits et décisions du pouvoir central fédéral.

Comme pour les grandes options politiques, de la laïcité à la théocratie, des politiques de santé ou d’éducation aux problèmes de mésentente sur les engagements internationaux, la reconnaissance des États ou par les États, la défense des frontières, la livre libanaise, sa convertibilité, son poids, etc., tous ces droits (comme les devoirs) sont l’apanage, dans un système fédéral, du seul pouvoir central : appréhension, décisions, solutions ; il en est de même pour les problèmes inhérents à la différence de philosophie de l’État, de la répartition des richesses ou des battements de cœur pour telle ou telle autre entité !

... Ma monnaie est celle de l’État fédéral : le dirham émirati est la seule monnaie des 7 émirats « fédérés » et Dubaï leur seule capitale.

Ma défense est assurée par la seule armée nationale, et seul l’État fédéral décide de la guerre et de la paix, des amitiés ou inimitiés internationales, de la reconnaissance des autres États. Il jouit d’une personnalité juridique internationale et il est seul à même de reconnaître les autres États.

Alors…

Quelle solution la fédération pourrait-elle apporter aux problèmes du Liban : problèmes fondamentaux sur le choix des amitiés extérieures et les prises de position face à ses amitiés, à la paix ou la guerre ?

Les problèmes ne seraient qu’exaspérés car laissés au seul pouvoir central, en un face-à-face tronqué des autres pouvoirs qui peuvent tempérer et créer les conditions d’une négociation fructueuse et salvatrice (si la volonté politique le veut) : conditions nécessaires mais difficiles dans une confrontation triangulaire libanaise et un régime fédéral où seul un compromis dans les négociations centrales permettrait de régler les problèmes.

Décentraliser l’administration pour créer les conditions de mieux-être de la population en facilitant l’accès aux services de l’État, désencombrer les grandes villes, et surtout la capitale atteinte d’une hypertrophie, est une nécessité pour qui cherche le développement local et global pour sa population et son territoire.

Le Liban pays unitaire et tricéphale dans sa composition et ses composantes humaines ne saurait survivre sous aucune autre forme politique qu’unitaire ! Á partir de là, tous les schémas et tous les agencements peuvent et doivent être envisagés et être sujets à compromis entre toutes ses composantes.

Tenir compte des différences culturelles et religieuses fondamentales est un « prérequis », un préalable, car le vivre-en-commun qui est le propre de l’État ne saurait être sans prendre en compte les impératifs auxquels sont soumises les différentes parties de sa population par leur appartenance à telle ou telle communauté.

Prôner le fédéralisme dans un tel contexte, c’est parler de changement radical de régime, de la philosophie politique qui sous-tend l’État, et qui est au Liban gage de cohésion et d’unité, sinon d’union. C’est préparer « heralder », sinon annoncer la partition du pays, car à chacun selon ses croyances et partant ses amitiés. Pour le Liban, ce serait la fin de l’histoire car quelle que soit la forme ou la dénomination des différentes entités qu’on voudrait fédérer – mohafazats, cazas ou districts –, il n’en resterait pas moins que :

– la monnaie, la livre libanaise, tout le droit qui y est rattaché (impôts, finances publiques, système bancaire, droit des affaires, etc.) ;

– les Affaires étrangères, les ambassades, amitiés internationales, reconnaissance des États, reconnaissance par les États, traités et conventions, etc. ;

– la Défense nationale, l’armée, la défense du territoire, des frontières, etc. ;

tous ces droits, qu’on dit régaliens (autrement dit souverains), relèvent uniquement de l’État fédéral central, seule entité reconnue internationalement.

L’État-parapluie étant seul récipiendaire de ces droits, tous les problèmes de choix, de différence de vision et d’idéologie politique resteraient l’apanage de l’État fédéral central et d’aucune autre entité, petite, grande, centralisée ou non ; sinon, ce serait la marche vers une dislocation du pays et sa division.

Les problèmes fondamentaux que nous vivons aujourd’hui seraient toujours là, et même exacerbés par leur centralité même.

À l’ère postmoderne, postrévolution numérique et de la géométrie variable des États, les mots gardent toute leur valeur de symbole et toute leur puissance. Utilisés à mauvais escient, ils gardent et exacerbent leur puissance de nuisance et de destruction.

Samira HANNA EL-DAHER

Ambassadrice

Professeure de géopolitique

et de relations internationales

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

La jeunesse libanaise, notamment depuis le 17 octobre, réclame à cor et à cris un changement de régime, de structure étatique, un dépassement des clivages confessionnaux. Décentralisation, confédération, fédération, ainsi que générosité et recroquevillement sur soi s’entremêlent pêle-mêle. L’esprit de la révolution d’octobre est toujours là, assourdi par la...

commentaires (4)

Merci pour cette leçon. Il est vrai qu'on s'y perd, et pourtant je vis en Belgique, un état proche de la fédération. Cela étant dit, Madame, il faut trouver un système qui fait que les communautés ne soit plus en concurrence les unes avec les autres. Il faut donc arriver à descendre la hiérarchie d'appartenance avec la nation avant les communautés. Peut-être que l'évolution constitutionnelle pourrait nous faire évoluer vers un état laic, avec un sénat comme garant des communautés?

Bachir Karim

20 h 29, le 16 mars 2021

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Commentaires (4)

  • Merci pour cette leçon. Il est vrai qu'on s'y perd, et pourtant je vis en Belgique, un état proche de la fédération. Cela étant dit, Madame, il faut trouver un système qui fait que les communautés ne soit plus en concurrence les unes avec les autres. Il faut donc arriver à descendre la hiérarchie d'appartenance avec la nation avant les communautés. Peut-être que l'évolution constitutionnelle pourrait nous faire évoluer vers un état laic, avec un sénat comme garant des communautés?

    Bachir Karim

    20 h 29, le 16 mars 2021

  • ... "États qui décident de renoncer à une partie de leurs droits politiques et de leur indépendance, ainsi qu’à une grande partie de leur autonomie pour se fonder, intégrer, faire partie intégrante d’un seul et même État souverain...." en somme tout ce qui interdit tout federalisme chez nous. d'autat plus que federalisme equivaut a civisme, ne serait ce qu'a moitie chemin du civisme. la encore nous en sommes tres tres loin/

    Gaby SIOUFI

    14 h 20, le 15 mars 2021

  • Mon évaluation parait quelque peu contradictoire avec le contenu de votre analyse, mais en fait la fédération, si elle était adoptée, ferait suite à la mise en place d'une large décentralisation...

    Salim Dahdah

    12 h 22, le 15 mars 2021

  • Merci Madame l'Ambassadeur pour cette excellente leçon de Sciences Politiques. Elle vient à point nommé au moment ou le Liban en crise très grave se cherche pour essayer de réfléchir sa formule d'avenir... Il y a plus de quinze ans que nous militons pour une Neutralité permanente active, et aujourd'hui constructive selon l'expression que Sa Béatitude le Patriarche Rai vient d'introduire à travers son Mémorandum. Il y soutient en effet cet objectif stratégique, qui de simple rêve, pourrait devenir une réalité, et ouvrir la voie à une récupération de façon définitive du principe de la souveraineté nationale en le dotant d'une ceinture de sécurité solide et inattaquable! Avec cette mise au point concernant les principes qui régissent la "Fédération", la Neutralité souhaitée pourrait parfaitement y être intégrée et devenir encore mieux gérée. Merci pour votre apport et vos explications!!!

    Salim Dahdah

    12 h 11, le 15 mars 2021

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