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Idées - Point de vue

La récusation du juge Sawan était illégale


La récusation du juge Sawan était illégale

Photo d’illustration : Archives AFP

Véritable séisme judiciaire, la décision du 18 février dernier de la sixième chambre pénale de la Cour de cassation a déjà fait couler beaucoup d’encre. En décidant, à la majorité de ses membres, de faire droit à la demande de récusation « pour suspicion légitime » du juge Fadi Sawan, présentée par les anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter – figurant tous deux parmi les anciens ministres inculpés deux mois plus tôt par ce magistrat –, cette formation a suscité un émoi auprès des proches victimes comme de nombreux commentateurs, qui y ont vu un signe d’interférence politique dans le dossier. Un émoi renforcé par les attendus de la décision, et notamment le fait que la Cour a considéré d’une part que ce magistrat avait commis est une « violation flagrante de la loi et de la Constitution », en affirmant qu’« il ne reculerait devant aucune immunité ni devant aucune ligne rouge » ; et, d’autre part, que son objectivité pouvait être mis en cause, dans la mesure où il figurait au nombre des « victimes de l’explosion ».

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Ces deux points et leurs implications ayant largement été commentés, il ne s’agit pas ici de s’y attarder à nouveau mais plutôt de revenir sur une autre question – pourtant lourde de conséquences – qui n’a pas connu la même attention médiatique : cette juridiction était-elle en premier lieu compétente pour se prononcer sur cette demande de récusation ?

Juridiction d’exception

Si tous les magistrats libanais – du siège ou du parquet – sont soumis à la règle de la récusation, cette dernière relève d’une procédure et de critères précis. Et ceux-ci peuvent s’avérer complexes dans une affaire qui concerne un juge d’instruction relevant de l’autorité de la Cour de justice – un tribunal d’exception saisit, en l’espèce, de ce dossier par un décret du Conseil des ministres daté du 11/08/2020.

Or en l’absence de mention de la procédure de récusation dans le code de procédure pénale (CPP), la récusation d’un juge pénal – comme c’est le cas ici – relève du code de procédure civile (CPC), ce dernier étant alors considéré comme la loi commune (comme le précise son article 6). Or l’article 120 (et suivants) du CPC qui stipule explicitement les motifs de récusation d’un magistrat ne mentionne pas la « suspicion légitime » parmi ces derniers et le soupçon légitime n’en fait pas partie. En réalité, cette notion est évoquée dans une autre procédure : le transfert d’une affaire ou d’une instruction par la chambre pénale de la Cour de cassation à une autre juridiction du même degré (article 340 du CPP). Or tel n’était pas le fondement juridique retenu par les plaignants ni par la sixième chambre pénale dans sa décision du 18 février, ce qui constitue par conséquent un premier motif d’illégalité de cette décision de récusation.

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Mais il n’est pas le seul : on peut également reprocher à la décision du 18 février 2021 d’assimiler le Conseil judiciaire – dont relevait le juge Sawan dans cette affaire – à la Cour de cassation, alors que l’assimilation n’est pas valable. Comme indiqué, c’est en effet le Conseil judiciaire qui a été saisi de cette enquête par le gouvernement. Ce dernier dispose en effet du pouvoir discrétionnaire de saisir cette juridiction selon les modalités prévues par le CPP (art. 360) mais aussi, pour tout autre crime ou délit mentionné dans le décret de saisine – même s’ils ne sont pas stipulés dans la loi. Or la jurisprudence libanaise considère clairement que la récusation d’un juge pénal relève de la compétence du tribunal auquel il est subordonné. Or l’Assemblée générale de la Cour de cassation a clairement considéré, dans sa décision n° 17 du 20 mars 1998, que le Conseil judiciaire ne constitue pas l’une des chambres de la Cour de cassation et qu’il n’est donc pas permis à cette dernière de récuser son président ou l’un de ses membres du Conseil judiciaire. Pour cette raison, la 6e chambre pénale aurait dû rejeter la demande de récusation du juge Sawan pour incompétence, conformément à la règle précitée et émise par une formation de plus haut rang.

Éviter une jurisprudence

À elles seules, ces deux raisons (fondement erroné de la demande de récusation et incompétence de la Cour de cassation pour une telle demande dans ce cas d’espèce) suffisent à motiver l’illégalité de la décision. Cependant, il est important, pour l’avenir, de répondre à une autre question parallèle : est-ce à dire que s’il avait été saisi, le Conseil judiciaire aurait eu le droit de récuser son juge d’instruction ? Nous ne le pensons pas. Car cet enquêteur est nommé par décision du ministre de la Justice, après approbation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – en vertu du même décret selon lequel le Conseil judiciaire a été saisi par l’affaire. La tâche de cet enquêteur est limitée dans son temps, son lieu et son objet et se termine par la rédaction de l’acte d’accusation et son renvoi au Conseil judiciaire. Or le droit de nomination de ce magistrat est considéré comme « un acte de gouvernement », qui ne fait l’objet d’aucun contrôle judiciaire car il s’agit de décisions politiques souveraines (même s’il s’agit d’une affaire judiciaire). Selon la règle du parallélisme des formes qui s’applique en droit c’était donc à la ministre de la Justice, après approbation du CSM, d’annuler sa décision de nomination – y compris sur la demande de l’intéressé ou sur la demande d’une ou des parties de l’affaire, comme c’est le cas des ministres concernés – et de nommer ensuite un nouvel enquêteur à la place. Ce processus est valide tant qu’il est effectué avec l’approbation du CSM et conformément au décret de saisine du Conseil judiciaire. Par conséquent, et au vu de tout ce qui précède, la ministre de la Justice aurait été fondée à ne pas exécuter la décision de la Cour de cassation de récuser le juge Sawan.

Il reste que dans cette affaire, un nouveau juge d’instruction, Tarek Bitar, a été nommé dans la foulée de la décision incriminée et a déjà entamé la poursuite de l’enquête. Au vu de l’importance pour les victimes et les Libanais que cette dernière puisse rapidement aboutir de procéder à un nouveau revirement à ce stade. Il est en revanche capital, sur le plan juridique, que la décision du 18 février dernier ne fasse pas jurisprudence et que de telles anomalies ne se répètent plus à l’avenir.

Hatem Madi, Ex-procureur général près la Cour de cassation 

Judith Chucri Eltini, Avocate en droit public

Véritable séisme judiciaire, la décision du 18 février dernier de la sixième chambre pénale de la Cour de cassation a déjà fait couler beaucoup d’encre. En décidant, à la majorité de ses membres, de faire droit à la demande de récusation « pour suspicion légitime » du juge Fadi Sawan, présentée par les anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter –...

commentaires (9)

Et où étaient donc les spécialistes en la matière pour crier à l’illégalité de la procédure et de la décision prise presque. L’unanimité par le CSM pour évincer ce juge? Lorsqu’on écrit qu’ils sont tous achetés et lâches ils se précipitent pour crier à la diffamation or d’en est un exemple parmi tant d’autres pour confirmer nos dires. TOUS POURRIS.

Sissi zayyat

15 h 47, le 20 mars 2021

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Et où étaient donc les spécialistes en la matière pour crier à l’illégalité de la procédure et de la décision prise presque. L’unanimité par le CSM pour évincer ce juge? Lorsqu’on écrit qu’ils sont tous achetés et lâches ils se précipitent pour crier à la diffamation or d’en est un exemple parmi tant d’autres pour confirmer nos dires. TOUS POURRIS.

    Sissi zayyat

    15 h 47, le 20 mars 2021

  • En attente d’une justice divine pour les foudroyer tous,un par un !

    Wow

    13 h 42, le 14 mars 2021

  • LA LOIS DU PLUS FORT EST TOUJOURS LA MEILLEUR. C'EST LA JUSTICE LIBANAISE.

    Gebran Eid

    10 h 57, le 14 mars 2021

  • Donc, chez nous, même dans le domaine juridique, qui devrait être un exemple irréprochable de légalité, il est entaché d'illégalité...!? Mais...où allons-nous ??? - Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 54, le 14 mars 2021

  • Article de charabia juridique qui ne s’adresse qu’à des juristes. Si les rédacteurs sont sûrs de leurs arguments, ils auraient dû attaquer devant l’autorité compétente ceux qui ont récusé le juge Sawan au lieu de nous étaler leur science plusieurs semaines après les faits juste pour la galerie

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 28, le 14 mars 2021

  • La ministre Najm est accusée à tort de ne pas respecter l'indépendance de la justice. Ses détracteurs auraient profité de la moindre occasion pour monter au créneau si elle invalide la décision de la cour de cassation misant sur l'ignorance du peuple sur le plan légal. Il revenait au juge Sawan de s'y opposer. Il est possible que ce dernier n'avait pas suffisament le courage de s'opposer à la classe politique mafieuse et avait pris la première occasion pour rendre son tablier.

    Salim Naufal / SOFTNET ENGINEERING

    08 h 59, le 14 mars 2021

  • Bien sûr illégale. Par contre, les 2 juges qui ont pris cette décision doivent rendre compte quelque part.

    Esber

    07 h 48, le 14 mars 2021

  • la décision de la Cour de cassation de récuser le juge Sawan est peut être illégale pour le citoyen lambda mais pas pour "nos" politiciens véritables dieux vivants au dessus des lois.... Dieu a dit: que la lumière soit! et nos politiciens ont répondu : On dit s'il vous plait...

    C…

    02 h 36, le 14 mars 2021

  • Un scandale après scandale! Mais où sont-lles passées nos valeurs?

    Georges S.

    00 h 20, le 14 mars 2021

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