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Culture - Exposition

Soigner les œuvres blessées

Nombreux sont ceux qui ont pu visiter l’exposition « L’art blessé » organisée par la banque BEMO à la villa Audi, regroupant des œuvres d’art de particuliers endommagées par la double explosion du 4 août, entre son inauguration le 16 décembre 2020 et sa fermeture le 6 janvier en raison de la situation sanitaire. En attendant sa réouverture le 22 mars, une visite virtuelle est désormais possible.

Soigner les œuvres blessées

Une vue de l’exposition « L’art blessé », à la villa Audi, tirée du site www.lartblesse.com. Photos Ghassan Koteit

« Le Kintsugi est un art japonais ancestral qui invite à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices de poudre d’or, au lieu de les cacher. Réparé, consolidé, embelli, il porte fièrement ses blessures, et il devient paradoxalement d’autant plus précieux qu’il a été brisé. »*

L’art blessé, c’est le titre sobre et juste d’une exposition organisée par la banque BEMO après « les explosions du 4 août », regroupant des œuvres endommagées provenant de collections de particuliers ainsi que des sculptures et des toiles réalisées après l’explosion. Le scénographe Jean-Louis Mainguy a entouré les œuvres de musique, de lumière et de poésie.

L’idée était risquée. Un crime venait d’être commis contre l’humanité d’un peuple. On pouvait se dire que c’est dans un tribunal, international ou pas, qu’il devait d’abord être traité. L’acte devait être jugé et sanctionné avant d’être transcendé. Il y a un temps pour toute chose. Et puis, les glissements d’une telle initiative sont nombreux, les malentendus aussi, ajoutant de la douleur à la douleur. L’appropriation de la souffrance des gens. L’étalage facile, le bavardage. La tentation de vouloir embellir l’intolérable, de manquer de respect envers ce qui est sacré, la douleur des autres.

L’idée était belle aussi. Rebondir avant que le désespoir n’occupe toute la place. Affirmer la volonté farouche de ne pas baisser les bras.

L’exposition a réussi l’improbable. Sortir l’œuvre endommagée de sa solitude. La placer à côté d’autres qui la « portent » et l’inscrivent dans une communauté qui lui donne sens.

Transformer le « dégât » en élément nouveau que l’auteur n’avait pas prévu, qui s’ajoute à l’œuvre et l’enrichit. L’exposition n’a voulu ni gommer ni restaurer. Elle a choisi de reconnaître ce qui a été blessé, de le respecter, de l’assumer et de le montrer. Éclairer de dos une déchirure, déposer des lumières sur ce qui est déchiqueté, rassembler sous verre des bribes pulvérisées parsemées de blanc à cause (ou grâce) à ce qui n’a pu être retrouvé. Regrouper, sans prétendre recomposer, les membres d’un corps sculpté. Poser par terre, tout simplement, un lustre brisé.

Elle n’a pas cherché à embellir ce qui est douloureux, ni à reconstituer ce qui ne peut l’être. Elle a éclairé, regroupé et laissé faire les œuvres et les visiteurs. Ceux-ci se déplacent dans un silence qu’induit une douleur qu’on a su raconter. Ils communient sans bruit.

Les œuvres y gagnent en force et en magie. Elles sont blessées, non abîmées. Elles nous parlent et parlent de nos vies cousues de fils d’or. Nos vies traversées d’éclairages que nous avons su parfois trouver. De fêlures qui ont laissé passer la lumière et nous ont sculptés. De cicatrices qui nous renseignent. Elles parlent de nous qui pratiquons un art japonais, sans le savoir.

L’exposition sur l’art blessé n’expose pas, elle soigne. Elle est au cœur de l’art et de nos vies. En s’y déplaçant, sous les masques sanitaires, on pleure.En attendant la reprise des visites en présentiel, prévue pour le 22 mars – et jusqu’au 5 avril 2021, tous les jours de 10h à 19h et les mercredis de 10h à 22h –, l’exposition est accessible virtuellement à travers le lien www.lartblesse.com

* Céline Santini (2018) « Kintsugi, l’art de la résilience », éditions First.

« Le Kintsugi est un art japonais ancestral qui invite à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices de poudre d’or, au lieu de les cacher. Réparé, consolidé, embelli, il porte fièrement ses blessures, et il devient paradoxalement d’autant plus précieux qu’il a été brisé. »*L’art blessé, c’est le titre sobre et juste d’une exposition organisée par la...

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