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Nos Lecteurs ont la Parole

Notre patriarche et une remontada

Non, la gloire du Liban n’a pas été donnée à notre siège patriarcal, fût-il d’Ilij, de Qannoubine ou de Bkerké, n’en déplaise aux ultras qui claironnent cette devise comme si elle était l’exclusivité de leur communauté. La gloire du Liban, et la magnificence du Carmel et de Saron ont été données au Seigneur ; on n’a qu’à consulter l’Ancien Testament, et plus précisément le Livre d’Ésaïe 35 :3, pour s’en assurer.

Quoi donc ?

Quelque chose d’autre a été donné à Bkerké. Je vous le laisse deviner avec pour indice une photo du 25 février dernier où, sous le portrait du suprême pontife romain, se tiennent les trois docteurs Ahmad Fatfat, Mona Fayad et Radouan al-Sayyed. Ah ! s’il nous était encore donné d’écouter ce dernier prononcer son allocution en cette incomparable langue arabe, notre patrimoine commun, eh bien, que de fois ne l’aurions-nous pas bissé ! Mais attachons-nous plutôt au fond qu’à la forme. S’adressant à Mgr Béchara Raï, l’éminent islamologue a dit, verbatim : « Nous nous tenons à vos côtés et vous soutenons dans votre initiative… Nous reconnaissons vos hautes vertus, vous qui perpétuez la tradition de vos prédécesseurs, les vénérables patriarches qui ont guidé les troupeaux de fidèles et veillé sur l’indépendance de cette entité pour en faire une patrie définitive regroupant tous ses fils, dans l’attachement à son identité arabe et, par-là même, porteuse qu’elle est d’un souverain message, dans son environnement immédiat comme de par le monde. »

Ce communiqué adopte et atteste la proposition du chef spirituel appelant les responsables à réaffirmer les « constantes libanaises et à ne pas se laisser entraîner dans le jeu létal des nations ». C’est que donc ce siège maronite, surplombant la baie de Jounieh, a une légitimité transcendant les clivages communautaires. Son magistère n’est pas d’ordre insurrectionnel, comme le fut celui de Yasser Arafat en son temps, ou comme l’est celui de Hasan Nasrallah en cette veillée d’armes que, dans notre aveuglement, nous refusons de considérer pleinement.

Mais alors, à quoi tient cette spécificité du lieu-dit Bkerké ?

« La takhafou ! » N’ayez crainte !

En sa qualité de grand maître de l’ordre souverain du Liban, Mgr Raï vient d’appeler motu proprio à la convocation d’une conférence internationale ayant pour objet de faire accéder notre pays exsangue à la neutralité internationale. Fort de l’onction du mayrun* et de l’Esprit Saint, il n’a pas à trembler dans l’adversité, quand on songe combien nos élites ont les jambes flageolantes devant les censeurs des libertés et leurs spadassins. S’exprimant au nom du pays profond, le prélat imprécateur et dépositaire du legs de l’indépendance nationale aura toujours l’obligation de lancer des initiatives face à la montée des périls. Et comme par hasard, seul le jargon liturgique et seules les métaphores religieuses peuvent rendre compte de cette alliance renouvelée avec cette terre du Liban, dans la fermeté du verbe haut et l’audace du témoignage pour la vérité.

Tant pis pour les laïcistes qui se sentent dépassés, ou court-circuités, par le pacte fraternel qui vient d’être scellé à l’ombre des soutanes, des mitres et des chasubles ! Ignorent-ils encore que toute création sociale (communauté confessionnelle comprise) est d’abord une institution imaginaire, et qu’à partir de son noyau fait de fantasmes collectifs, de symboles et de mythes, se décident les conduites politiques, s’élaborent les comportements, et se tissent les engagements et les « covenants » (Castoriadis) ?

C’est de ce noyau imaginaire que le patriarche tient la formule du courage et de la rupture salutaire ; c’est ainsi que l’entend Antoine Courban (L’OLJ 27 février) quand il mentionne le passage du Rubicon. Bkerké est à nouveau sur l’échiquier. Prenez-en acte ! Et tant pis pour ceux qui se sentent froissés.

En droit positif !

Une légitimité nationale en déshérence et un pays au bord du dépôt de bilan nécessitent des mesures radicales. Mais la neutralité invoquée en l’espèce est-elle la voie la plus sûre pour éviter les écueils ? À l’idée du patriarche, cette neutralité est à entendre aussi bien comme restauration des libertés individuelles que comme affirmation de la souveraineté nationale, même si elle implique abdication du recours à la force armée, sauf pour le cas de légitime défense. Or, la déclaration de neutralité ne peut être unilatérale, les pays limitrophes doivent y acquiescer et, qui plus est, une ou plusieurs puissances étrangères doivent l’assortir de leur garantie.

Mais restera cependant un point d’achoppement, et c’est le devoir de prévention en vertu duquel l’État neutre ne pourra tolérer que son territoire soit utilisé comme base d’opérations par des belligérants. Or, à moins d’un miracle ou d’un règlement global de la crise du Moyen-Orient, le Hezbollah ne saurait admettre un tel devoir à l’issue de concertations amiables ou d’une mission de bons offices.

Une neutralité volontaire ? Oui, ce serait la solution. Autrement, seule une pression militaire irréfragable serait en mesure d’opérer un désarmement et une démobilisation des troupes irrégulières.

La neutralité imposée, c’est en somme le conflit annoncé. À moins de rester un vœu pieux, une mystification et un slogan mobilisateur !

Youssef MOUAWAD

* Myron, Saint Chrême ou les saintes huiles

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Non, la gloire du Liban n’a pas été donnée à notre siège patriarcal, fût-il d’Ilij, de Qannoubine ou de Bkerké, n’en déplaise aux ultras qui claironnent cette devise comme si elle était l’exclusivité de leur communauté. La gloire du Liban, et la magnificence du Carmel et de Saron ont été données au Seigneur ; on n’a qu’à consulter l’Ancien Testament, et plus...

commentaires (3)

""Une neutralité volontaire ? Oui, ce serait la solution. Autrement, seule une pression militaire irréfragable serait en mesure d’opérer un désarmement et une démobilisation des troupes irrégulières.La neutralité imposée, c’est en somme le conflit annoncé. À moins de rester un vœu pieux, une mystification et un slogan mobilisateur !""----- Conflit annoncé ! S’il fallait les déloger par la force, pour installer l’arsenal loin de Beyrouth et sa région, et ainsi on se lave bien les mains de toute responsabilité. Je ne voudrai sûrement pas que la puissance régionale à laquelle je pense, ose le faire non seulement on payera tous, mais pour la dette historique sur le mode : je vous ai débarrassé d’un "mal" ; vous signez l’addition (tout a un prix à payer) et la paix. Neutralité, stabilité, (justement, cette notion, est toujours remise à l’ordre du jour, mais à l’avantage des pouvoirs (milices comprises) en place, et l’espace aérien est constamment violé, et ce n’est pas en retirant l’alibi qu’on apporte la paix. Le Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient aura le plaisir de lire ""Notre Patriarche et une remontada"" et d’apprécier l’allusion sportive, mais s’il est une personne de ralliement, de par sa position historique, et par son "remontada", son retour en force, sait jusqu’où il peut aller très loin.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

12 h 28, le 09 mars 2021

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Commentaires (3)

  • ""Une neutralité volontaire ? Oui, ce serait la solution. Autrement, seule une pression militaire irréfragable serait en mesure d’opérer un désarmement et une démobilisation des troupes irrégulières.La neutralité imposée, c’est en somme le conflit annoncé. À moins de rester un vœu pieux, une mystification et un slogan mobilisateur !""----- Conflit annoncé ! S’il fallait les déloger par la force, pour installer l’arsenal loin de Beyrouth et sa région, et ainsi on se lave bien les mains de toute responsabilité. Je ne voudrai sûrement pas que la puissance régionale à laquelle je pense, ose le faire non seulement on payera tous, mais pour la dette historique sur le mode : je vous ai débarrassé d’un "mal" ; vous signez l’addition (tout a un prix à payer) et la paix. Neutralité, stabilité, (justement, cette notion, est toujours remise à l’ordre du jour, mais à l’avantage des pouvoirs (milices comprises) en place, et l’espace aérien est constamment violé, et ce n’est pas en retirant l’alibi qu’on apporte la paix. Le Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient aura le plaisir de lire ""Notre Patriarche et une remontada"" et d’apprécier l’allusion sportive, mais s’il est une personne de ralliement, de par sa position historique, et par son "remontada", son retour en force, sait jusqu’où il peut aller très loin.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 28, le 09 mars 2021

  • Tout est parfait, et je le redis pour la énième fois, le Hezbollah n’est pas tout le problème, et ce n’est pas un laïcisé, ni un pro formation chiite, ni un bouffeur de curé ou d’imam qui le dit. Il m’’intéresse ce Hezb, qui a des soucis avec, syrien, armée, une partie des Libanais, Israël, les usa, le monde netier quoi, et pourtant il est parmi nous. Parfois, je lui donne raison quand il réagit à quelques idées reçus qui le concerne. J’avoue pour l’avoir bien écouté notre cher patriarche, qu’il laisse une porte ouverte au dialogue, et surtout qu’il connaît les limites de son intervention. Comment ça ? L’avis de Mgr Raï est incontestable, mais je crains pour lui qu’il ne soit pas trahi par une partie de ceux qui applaudissent l’initiative, en attendant passer la haute marée. On dit que le point de vue, c’est à partir d’un certain point, de celui des victimes de la guerre, quel incidence sur le retour des rescapés, des déplacés, dans leurs régions sinistrés après de multiples visites pastorales. C’est qu’il y a un problème de confiance. Le droit, les grands principes, sans la force valent quoi ?

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 39, le 09 mars 2021

  • """"Non, la gloire du Liban n’a pas été donnée à notre siège patriarcal, fût-il d’Ilij, de Qannoubine ou de Bkerké, n’en déplaise aux ultras qui claironnent cette devise comme si elle était l’exclusivité de leur communauté"""". --------La gloire du Liban n’est certes pas exclusive, qu’elle est à tous, morts ou avoir contribué pour la gloire du pays. Elle pourrait s’inscrire au fronton du ""Panthéon"" libanais. On a une dette envers tous ceux qui sont morts pour nous, quel que soit l’origine.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 04, le 09 mars 2021

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