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Culture - Hommage

Lokman Slim, l’homme-livre

Un mois est passé depuis le meurtre de l’intellectuel, cinéaste, linguiste et chercheur. Selon le roman de Ray Bradbury, « Fahrenheit 451 », que François Truffaut adapta plus tard en film, « l’homme-livre est celui qui sauve la culture, celle qui donne à l’homme toute son humanité ». Lokman Slim en était un.

Lokman Slim, l’homme-livre

Dans le roman de Ray Bradbury « Fahrenheit 451 », l’homme-livre est celui qui sauve la culture.

Depuis Gutenberg et la création de l’imprimerie, le livre est devenu un vecteur rapide de savoir et de connaissance. À travers de simples pages, la pensée circule et le partage entre les hommes s’opère. Les barrières tombent, les frontières aussi. Depuis les temps immémoriaux, l’humanité a eu souvent à se confronter à la pensée unique qui verrouillait la parole et barrait la route à la liberté d’expression. En 1953, Ray Bradbury imagine dans son roman Fahrenheit 451 une société dystopique où tout le monde regarde la télévision, personne ne lit, tout le monde suit l’avis commun et personne ne réfléchit. Les gens dénoncent ceux qu’ils jugent en dehors de la ligne de pensée correcte. Il est donc interdit de lire et l’État brûle les livres quand il les découvre. Toute activité culturelle ou artistique est également considérée comme dangereuse, nuisible au bien-être individuel et à l’ordre social. 451 degrés Fahrenheit est la température à laquelle le papier s’enflamme, soit l’équivalent de 230 degrés Celsius. Le roman est adapté au cinéma par François Truffaut en 1966, soit plus de dix ans plus tard. Écrit vingt ans après les autodafés nazis, cette œuvre ne nous mettait-elle pas en garde contre le passé qui peut resurgir ? Ou s’agissait-il seulement d’une projection dans l’avenir ? Les héros du roman sont des hommes-livres, des intellectuels qui décident de sauver la culture coûte que coûte en apprenant les livres par cœur.

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2021, soit plus d’un demi-siècle plus tard, Lokman Slim est le descendant de ces hommes-livres, de ceux pour qui les ouvrages sont sacrés, tant qu’ils ouvrent l’esprit et vont à la découverte d’horizons illimités. Il n’a pas seulement emmagasiné les connaissances, mais les a archivées. Avant de fonder le centre Umam pour la documentation et les recherches, il avait fondé Dar el-Jadeed, une maison d’édition pour les livres « interdits ». Par la suite, c’est en images qu’il traduisit avec sa compagne Monika Borgmann cette quête de la vérité en coréalisant des documentaires comme Massaker (2004), sélectionné dans plus de vingt festivals internationaux et plusieurs fois primé, puis Tadmor en 2016.

Dans le roman de Ray Bradbury « Fahrenheit 451 », l’homme-livre est celui qui sauve la culture.

Lokman Slim n’était pas seulement un intellectuel assis devant sa bibliothèque aux mille ouvrages de pages intouchées et poussiéreuses, qui s’amusait à collectionner les langues ou jongler avec les mots. Il n’était pas seulement un activiste – comme on avait l’habitude de le confiner dans cette case – qui aimait à utiliser l’art de la rhétorique pour impressionner. Il était la révolution même avant qu’elle ne se fasse dans la rue. Lokman Slim était un homme-livre qui avait feuilleté des pages jusqu’à s’en écorcher les doigts, consommé les cultures en les malaxant et en les triant, séparant le bon grain de l’ivraie pour les faire siennes et les adapter à un pays aussi complexe que le nôtre. Il était une révolution permanente, car le livre en soi est une révolte. Certains n’avaient pas bien compris sa mission pour l’humain. Sa pensée était libre, non restreinte à un lieu, à une religion, à une société. Dans sa villa de Haret Hreik, où les arbres s’inclinaient pour protéger les livres ainsi que les archives rassemblées au fil des ans, dans cet îlot de culture et de paix où le présent se mêlait au passé pour mieux comprendre et appréhender l’avenir, il aimait à recevoir avec son épouse Monika Borgmann tous les assoiffés de savoir. Dans ce « hangar » aménagé il y a 16 ans pour concocter un bouillon de culture, les expositions lançaient de nouveaux talents, les films réunissaient les gens autour d’un débat, parfois autour d’un verre et la liberté prenait forme, prenait vie.

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Sa voix douce manque à notre pays qui chahute et crie. Son regard perçant teinté d’un petit sourire manque aussi, alors que personne dans ce pays ne regarde droit dans les yeux. Il n’imposait rien par le timbre de sa voix qui semblait pour certains atone. C’est parce que Lokman Slim voulait que chacun réfléchisse tranquillement à ce qu’il disait sans avoir à exercer une quelconque influence. Pour lui, le timbre de la voix ne comptait pas. Ce sont les paroles dites qui avaient leur poids. Il était et demeurera un passeur de passé, un témoin du présent. Et si l’enveloppe corporelle disparaît un jour, tout comme la couverture d’un livre, qui se détériore ou brûle, son âme assouvie de lecture et de savoir continue à s’enflammer et à éclairer à jamais les générations futures. L’homme-livre qu’il était ne peut disparaître. Il se perpétue à jamais, à travers sa femme et sa famille qui ont promis de prendre le relais. Le prénom Lokman signifie sagesse. Et il lui collait comme un... titre.

Depuis Gutenberg et la création de l’imprimerie, le livre est devenu un vecteur rapide de savoir et de connaissance. À travers de simples pages, la pensée circule et le partage entre les hommes s’opère. Les barrières tombent, les frontières aussi. Depuis les temps immémoriaux, l’humanité a eu souvent à se confronter à la pensée unique qui verrouillait la parole et barrait la...

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