La livre libanaise, qui est en chute libre sur le marché noir depuis l'été 2019, dans un contexte de crise multiple dans le pays, a atteint mardi un nouveau niveau record et s'échangeait à 10 000 livres pour un dollar, selon plusieurs plateformes compilant les taux moyens en vigueur. Le précédent taux record enregistré était de 9 800 livres pour un billet vert, le 2 juillet 2020. Cette nouvelle dépréciation a provoqué la colère de nombre de Libanais à travers le pays. Elle intervient alors que le pays s'enfonce dans une crise politique dans l'attente, depuis août 2020, d'un nouveau gouvernement qui doit s'attaquer aux réformes attendues par la communauté internationale pour le déblocage d'aides financières. Elle a également lieu alors qu'aucun plan de rationalisation des subventions en vigueur sur certaines importations n'a été annoncé par les autorités, qui planchent sur ce projet depuis plusieurs mois tandis que les réserves en devises de la Banque du Liban continuent de fondre.
A Chtaura, dans la Békaa, un changeur a confirmé à notre correspondante Sarah Abdallah que le taux avait bien atteint, dans les différents bureaux de change de la région, les 10 000 livres. Des protestataires ont plus tard obligé des agents de change à fermer boutique sur la place de la localité et l'armée est intervenue pour éviter tout acte de vandalisme. Des habitants de Taalabaya, dans la même région, ont, eux, bloqué la route principale de la localité pour manifester leur colère contre la dégringolade de la livre et la détérioration des conditions de vie. Toujours dans la Békaa, un groupe de jeunes ont coupé la route Rayak-Baalbeck à l'aide de pneus enflammés, ainsi que la route au niveau du rond-point de Zahlé et à l’entrée du village de Nabi Chit.
A Beyrouth, l'ancienne route de l'aéroport, au niveau de l'hôpital al-Rassoul el-Aazam, était également coupée à l'aide de pneus et de bennes à ordures. Les routes au niveau de la Cité sportive, de Corniche Mazraa et de Béchara el-Khoury ont également été coupées. La route sur la place des Martyrs, dans le centre-ville de Beyrouth, a été rendue impraticable à la circulation au moyen de pierres et de pneus enflammés par des manifestants dont les rangs grandissaient en soirée. La voie a également été coupée à Saïfi près du QG des Kataëb et au niveau du croisement Verdun - Koraytem.
"Nous voulons manger, nous voulons vivre"
"Nous n'avons pas d'électricité depuis deux semaines, le dollar est à 10.000 LL, il n'y a pas de travail pour les Libanais. On entre au supermarché avec 100.000 livres libanaises on en ressort endetté de 200.000", lâche un protestataire en colère à notre journaliste Lyana Alameddine présente sur la voie-express du Ring, également coupée. Le jeune homme affirme venir de Khandak el-Ghamik, fief du parti Amal. "Nous sommes contre tous. Tous c'est-à-dire tous", a-t-il dit en reprenant le slogan de la révolution du 17 octobre... avant de préciser : "A l'exception de Nabih Berry et de Hassan Nasrallah". "Nous voulons manger, nous voulons vivre", dit-il encore, refusant de donner son nom et son âge. Toujours sur le Ring, les protestataires ont proféré des insultes à l'égard du chef de l'État Michel Aoun. L'armée libanaise était présente sur les lieux. "Nous bloquons la route parce que nous n'avons pas d'électricité, pas d'argent, pas de sécurité", dit de son côté Omar, 18 ans, venu du quartier Aïcha Bakkar. "Ici, tous les protestataires sont chiites et moi je suis sunnite mais nous sommes solidaires", assure-t-il avant de préciser qu'il est "contre toute la classe politique à l'exception du chef du courant du Futur, Saad Hariri".
Les protestataires se sont également rassemblés au niveau du carrefour dit "Chevrolet", dans le quartier de Furn el-Cheback. "Nous n’avons plus d’argent, nos parents ne peuvent plus payer nos frais universitaires", affirme à notre journaliste Lyana Alameddine, Antoine, 20 ans, étudiant à l’Université Saint Joseph.
Au niveau de Dora, dans le Metn, des protestataires ont coupé l'autoroute en direction du Nord avec des bennes à ordures provoquant des embouteillages monstres. Les militaires ont rouvert la route. Toujours dans le Metn, la route a été coupée dans les deux sens au niveau de Bourj Hammoud. Dans le Kesrouan, des protestataires ont également coupé l’autoroute au niveau de Jounieh, Zouk, Ghazir et Halat. En outre, des manifestants commençaient en soirée à se rassembler à Jbeil.
A Saïda, au Liban-Sud, des protestataires ont coupé la circulation au niveau du rond-point Élia à l'aide de pneus, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah. L'armée est intervenue pour rouvrir le passage. Les protestataires se sont ensuite rendus à la rue des banques, dans le centre de Saïda, et ont fermé de force les bureaux de change, accusant les changeurs d'être des "voleurs". Les forces de sécurité étaient présentes en nombre sur les lieux, toujours selon notre correspondant. Sur l'autoroute menant au Sud, au niveau de Jiyé, la route a également été coupée.
Toujours au Liban-Sud, la page pro-révolte Akhbar al-Saha a diffusé sur son compte Twitter une vidéo où l’on voit des protestataires couper une route à Nabatiyé, fief du Hezbollah, à l’aide de pneus enflammés. Des informations confirmées plus tard par l'Agence nationale d'information (Ani, officielle).
Au Liban-Nord, des protestataires ont exprimé leur colère en coupant l'autoroute Kousba-Koura. Et à Tripoli, des manifestants se sont rassemblés place al-Nour pour dénoncer les conditions de vie précaires avant de parcourir les rues de la ville. Des manifestants ont également coupé la route à Miniyé et à Bebnine, dans le Akkar.
La livre s'était échangée pendant près d'un mois, de mi-janvier à mi-février, à un taux stable juste en-dessous des 9 000 L.L. pour un dollar, avant de connaître une nouvelle baisse après le 18 février. Ce décrochage, qui avait fait bondir le taux à 9 500 livres pour un dollar en une grosse semaine – aurait été en partie dû au repli des banques du pays sur le marché parallèle pour acheter des dollars afin de pouvoir se conformer à la circulaire n° 154 de la BDL. Ce texte les contraint depuis août 2020 à placer avant hier lundi (1er mars), au moins 3 % de leurs dépôts en devises détenus à fin juillet 2020 auprès de leurs banques correspondantes à l’étranger.
La livre avait été stabilisée pendant plus de 20 ans à 1 507,5 livres pour un dollar par la Banque du Liban (BDL). Si cette parité officielle est toujours artificiellement maintenue pour certaines opérations, c’est bien le taux du marché parallèle qui fait office de repère, ce dernier étant également répercuté par les agents agréés, au détriment du taux de 3 900 livres pour un dollar qui leur est en principe imposé par la BDL.
commentaires (9)
Contre tous sauf.... eh oui... La cause de notre perte est bien le peuple qui continue d'applaudir l'un ou l'autre des dirigeants et de voter pour eux... ils sont heureux de se faire taper dessus par eux d'un côté en se faisant payer d'autre part, d'un moyen ou d'un autre. Aucun espoir. Le Liban n'est plus. Plions bagage.
C EL K
01 h 21, le 03 mars 2021