« Si nous continuons à vacciner à cette allure, nous courons à la catastrophe. Laissez donc le secteur privé importer le vaccin. » Le cri d’alarme du président de l’ordre des médecins Charaf Abou Charaf illustre fort bien la lenteur de la campagne de vaccination contre le Covid-19, qui a démarré au Liban mi-février. Une lenteur telle que « l’immunité de groupe ne pourra être atteinte avant 2027 », avertit pour sa part le Pr Jacques Mokhbat, spécialiste en maladies infectieuses. Alors que le Liban n’a reçu pour l’instant que 60 000 doses de vaccin Pfizer/BioNTech en deux livraisons, seulement 29 279 personnes en tout (personnel de santé et personnes de plus de 75 ans) avaient été vaccinées hier à 18h, selon les chiffres publiés par la plateforme électronique Impact, développée par l’Inspection centrale pour suivre le processus de vaccination. En revanche, 51 852 prises de rendez-vous ont été confirmées à travers cette application. En même temps, un nombre indéterminé de personnes ont reçu le vaccin sans être enregistrées au préalable, faussant les chiffres officiels et hypothéquant le bon déroulement de la campagne.
Le secteur privé s’engage
Pas étonnant dans ce cadre que le secteur privé joue des coudes pour avoir la possibilité d’importer le vaccin, histoire d’accélérer le rythme des vaccinations. Sauf que du côté des industries pharmaceutiques internationales, particulièrement celles ayant obtenu les autorisations d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Agence américaine du médicament (FDA), on ne semble pas prêt pour l’instant à voir s’inviter ce secteur dans la lutte mondiale contre la pandémie. « Les compagnies internationales Pfizer et AstraZeneca ne souhaitent vendre qu’aux États et Moderna présente des capacités de production restreintes. Même si les compagnies ont un agent au Liban, ce dernier devra donc remettre toutes les doses importées à l’État », affirme à L’Orient-Le Jour le président du syndicat des importateurs de médicaments, Karim Jebara. Le syndicaliste précise qu’il s’agit d’une « position globale » des sociétés pharmaceutiques. « L’objectif étant que pendant la première année de lutte contre le coronavirus, les vaccins ne soient pas commercialisés, mais que leur distribution se déroule sous le contrôle de l’État dans le monde entier, afin que tous les citoyens soient protégés de manière équitable », explique-t-il.
Entre-temps, l’entreprise locale Omnipharma, agent d’AstraZeneca, a été autorisée à négocier l’importation du vaccin. « Même si les choses ne sont pas encore totalement finalisées, la livraison du vaccin AstraZeneca devrait débuter en mars, révèle M. Jebara, directeur général de l’entreprise, précisant qu’il annoncera les quantités prochainement. Et comme entendu, toutes les quantités seront livrées au ministère de la Santé qui en assurera la distribution selon les priorités annoncées, ou accordera à certaines organisations l’autorisation de le faire à la condition qu’elles ne fassent pas de profits. » C’est dans ce cadre que les négociations vont bon train entre les autorités libanaises et les autorités russes et chinoises, pour l’importation de leurs vaccins, respectivement Spoutnik V et Sinopharm. Parallèlement, le vaccin Johnson & Johnson recevait hier l’autorisation d’urgence de la FDA.
Hariri rapporte des doses pour ses proches
Alors que la quantité restreinte de doses et la résurgence de l’épidémie font craindre l’émergence de nouveaux variants au Liban, les rumeurs les plus folles circulent sur l’importation sauvage par des particuliers de doses importantes de vaccins. Des internautes ont rapporté avoir réussi à se procurer des doses du vaccin chinois en pharmacie, postant des photos de boîtes de vaccin. D’autres personnes ont raconté s’être vu proposer des doses du même vaccin, moyennant une certaine somme d’argent. Des informations que nous n’avons pas pu vérifier de source indépendante. Mais nul n’ignore que la crise libanaise est propice au développement d’un marché noir, par le biais de certains voyageurs. Autre rumeur circulant sur le site de messagerie instantanée WhatsApp : une annonce imputée à l’entreprise Bioteck évoquant un accord conclu avec le ministère de la Santé, l’autorisant à importer le vaccin Sinopharm. Un service qu’elle monnayerait contre la coquette somme de « 65 USD pour deux doses, test anticorps et certificat de vaccination inclus ». Nous n’avons pas réussi à joindre l’entreprise citée dont les lignes étaient occupées à longueur de journée. « Cette information est fausse », a toutefois répondu à L’Orient-Le Jour le Dr Mohammad Haïdar, conseiller du ministre de la Santé.
Parallèlement, l’annonce par le Premier ministre désigné Saad Hariri de son intention de contribuer à l’importation de vaccins a suscité des questionnements. D’autant que M. Hariri aurait rapporté des Émirats arabes unis « une importante quantité de vaccins », selon certains. Des interrogations auxquelles répond le vice-président du courant du Futur, l’ancien député de Tripoli Moustapha Allouche. « Saad Hariri a effectivement rapporté des Émirats quelques centaines de doses du vaccin chinois Sinopharm. Mais elles étaient destinées à ses proches », assure-t-il. « En revanche, M. Hariri poursuit ses efforts en vue d’importer de grandes quantités de vaccin pour la population libanaise, confirme M. Allouche, précisant que ce projet attend de se concrétiser. Nous l’annoncerons en temps voulu. »
La qualité du produit en jeu
Marché noir ou pas, la question mérite d’être suivie de près. Et rien que la possibilité d’introduire au Liban des vaccins dans une valise suscite nombre d’interrogations liées à la sécurité sanitaire et à l’éthique. D’abord concernant l’importation et la commercialisation non contrôlées (même en petites doses) du vaccin Sinopharm qui n’a toujours pas obtenu d’autorisation d’urgence, le Liban ayant accordé cette autorisation à trois vaccins pour l’instant : Pfizer, AstraZeneca et Spoutnik V. Autre interrogation, le vaccin est-il en train de devenir une denrée monnayable à prix d’or ? Assiste-t-on de plus à l’émergence du « vaccin politique » ? Enfin, quelle garantie de qualité un vaccin offre-t-il lorsqu’il ne vient pas directement de l’usine, qu’il passe par un, voire plusieurs intermédiaires, qu’il n’est pas entreposé selon les normes ? « Introduire des vaccins dans une valise est inadmissible ! » martèle le chercheur Nasser Yassine, membre de l’Institut Issam Farès de l’AUB. Il soulève de nombreuses questions liées à la qualité du produit, à l’éthique liée à la commercialisation d’un produit censé être distribué gratuitement et au manque d’équité dans la distribution. Sans oublier que les personnes exclues de la base de données officielle ne pourront pas obtenir de passeport vaccinal.
Mais voyons, se poser la question s’il y aurait un marché noir du vaccin au Liban est vraiment naïf! S’il n y en avait pas, personne ne le croirait....C’est dans l’ADN Libanais, le sens des magouilles, les wastas, l’esprit tribal, individualiste et l’attrait des affaires illicites et du gain facile. C’était même devenu institutionnalisé dans notre république bananière.....Mais depuis quelques semaines déjà, j’avais dénoncé dans cette tribune, l’existence d’un gros marché noir de vaccin Sinopharm importés surtout des émirats en quantité et je connais au moins 4 familles bien nanties qui l’auraient reçu et en sont déjà à leur 2ème dose....Le hic dans l’histoire, serait de savoir s’ il est en vente libre aux émirats, où en distribution gratuite sous l’égide du ministère de la santé selon les normes de l’OMS? Il serait important d’enquêter sur l’origine de cette filière et comment elle entre au pays....Mais, que dis-je? Je m’excuse de rêver en couleurs....
17 h 16, le 26 février 2021