C’était l’un des sites naturels les moins pollués du Liban. Mais depuis deux jours, le littoral du Liban-Sud, ses plages de sable blanc, ses galets, ses rochers et même ses tortues sont souillés par une marée noire. Le long de la côte, de Ras Naqoura à Tyr, des boules noires à l’aspect goudronneux ont envahi ces lieux protégés, particulièrement prisés par la population et les touristes, formant une immonde ligne gluante qui remonte vers le Nord. « La ligne dessinée par les vagues est la preuve que ce produit pétrolier a été rejeté par la houle, lors de la dernière tempête, particulièrement violente », commente pour L’Orient-Le Jour le vice-président de la réserve naturelle de Tyr, Hassan Hamza.
La provenance, seule certitude
Il n’y a pas de doute quant à l’origine de cette marée noire qui ravage les côtes du Liban-Sud depuis deux jours. Elle vient effectivement d’Israël. Mais dans l’attente de données supplémentaires sur la nature du dérivé pétrolier, son volume et sa dangerosité, il s’agit bien de la seule certitude que peuvent admettre les scientifiques libanais. « Nous sommes en train d’analyser les échantillons recueillis. Nous ne pouvons pas nous prononcer pour l’instant sur la composante de la matière polluante qui a atteint la ville de Tyr, ni sur la façon de la traiter », explique à L’OLJ le secrétaire général du Conseil national de la recherche scientifique au Liban (CNRS-L), Mouïn Hamzé.
Partant des indications préliminaires du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et du ministre israélien de l’Environnement, Gila Gamliel, cette catastrophe serait due à « des dizaines, voire des centaines de tonnes de pétrole qui se sont échappées d’un navire, dans le port d’Ashdod », le plus important de l’État hébreu. Dimanche, les autorités israéliennes et des ONG ont ratissé les côtes d’Israël le long de la Méditerranée après la découverte de cette marée noire, l’une des plus importantes de l’histoire du pays.
Si les propos des autorités israéliennes s’avèrent exacts, « la marée noire a traversé une longue distance pour atteindre le Liban ; cela signifie qu’elle est particulièrement importante », estime le scientifique, qui craint que « la situation n’empire au Liban dans les prochains jours ». « Dans cette région, les courants marins circulent du sud vers le nord. C’est la raison pour laquelle la marée noire est remontée du port d’Ashdod vers le Liban-Sud. Elle pourrait aussi continuer sa route encore plus au nord », fait remarquer le spécialiste, à moins qu’elle « n’aille vers le large, ce qui serait préférable, avant de se déposer au fond de l’eau ». « Des photos aériennes pourraient permettre de confirmer les estimations. Mais impossible de s’en procurer, regrette Mouïn Hamzé. On ne peut trouver de photos aériennes par satellite dès lors qu’il s’agit d’Israël. » « Pourquoi aucune alerte n’a-t-elle été lancée, ne serait-ce que par l’ONU ou l’organisation du Plan bleu, dès qu’est survenue cette catastrophe qualifiée de sans précédent par les médias israéliens ? » déplore le scientifique. Il est vrai qu’on ne peut pas grand-chose contre une marée noire. « Mais au moins on peut essayer de la contenir et de s’y préparer. Sans oublier qu’une telle catastrophe implique de déterminer les responsabilités. »
Les tortues de mer en danger
Pour l’heure, il faut parer au plus pressé. Évaluer les dégâts, tenter de les circonscrire et sauver ce qui peut l’être : les sites naturels, les espèces animales et végétales. C’est la tâche des associations écologistes du Liban-Sud, qui ont dépêché leurs plongeurs pour étudier l’ampleur et la profondeur de la marée noire dans la mer, qui arpentent aussi les plages, pour mieux évaluer la catastrophe et préparer la réponse adéquate.
« Nous avons déjà identifié six sites touchés par la marée noire, soit 80 % du littoral entre Ras Naqoura et Tyr », révèle Hassan Hamza, qui dirige la réserve côtière de Tyr. « Il ne s’agit pas de plaques de goudron, mais de petites boules qui s’incrustent dans le sable », souligne-t-il. Les dégâts sont déjà palpables. « Outre les plages défigurées et l’eau polluée, des tortues marines recouvertes de goudron ont été recueillies, soignées et rejetées à la mer par des promeneurs », révèle-t-il. « Nous espérons que ces espèces qui pondent sur nos plages survivront. Mais nul doute que ce dérivé pétrolier va porter un coup à la biodiversité, notamment aux deux espèces de tortues de mer menacées et aux trente-sept espèces de poissons, de crabes… répertoriées dans la région », craint-il.
Désormais, il faut s’atteler au nettoyage qui s’annonce long. Si la direction de la réserve dresse déjà un plan artisanal, faute d’équipements et de financements, l’ampleur de la tâche dépasse largement les autorités locales. « Notre littoral est en danger, de même que les nombreuses espèces marines qu’abrite la réserve naturelle de Tyr », gronde le président de la municipalité de la ville, Hassan Dabbouk. Il attend néanmoins les résultats de l’enquête, tout en se disant déterminé « à une réponse rapide ». Une réponse qui devra voir la coordination des autorités nationales et locales. « Nous organiserons probablement des campagnes de nettoyage. Car il faudra enlever une à une ces boules gluantes de goudron », assure-t-il, espérant que la marée noire ne prendra pas plus d’importance.
Porter plainte auprès de l’ONU ?
C’est dans ce cadre que le Premier ministre sortant, Hassane Diab, a invité hier les autorités compétentes, les ministères de la Défense et de l’Environnement, de même que le CNRS-L, « à établir un rapport officiel et à agir en conséquence pour réparer les dégâts causés par cette marée noire ».
« Il faut aller vite », commente le président du syndicat des plongeurs, Mohammad Sarigi, de retour d’une mission d’observation des mouvements de la marée noire. « L’État libanais doit rapidement envisager une stratégie pour nettoyer le littoral. Il doit aussi porter plainte auprès des Nations unies et poursuivre l’affaire, martèle-t-il. Même si la plaque semblait superficielle, les dégâts écologiques sont énormes. »
C’est d’ailleurs à une « action immédiate » qu’a appelé l’ONG Greenpeace au Moyen-Orient. Car il faut rapidement « évaluer la sévérité de cette marée noire et mettre en place un programme de suivi pour limiter les effets de la catastrophe sur l’environnement et la santé publique », a martelé le directeur de l’organisation, Julien Jreissati. Le responsable a ajouté qu’à partir des résultats de l’étude, « les autorités devraient publier des consignes de sécurité pour les Libanais, notamment en ce qui concerne la pêche et la baignade ». Le responsable a par ailleurs évoqué « une menace pour la biodiversité marine et les habitants de la Méditerranée orientale » et montré du doigt une « manifestation de la destruction de la nature, résultat de la dépendance de nos systèmes mondiaux aux ressources fossiles ».
La question fondamentale est : Est ce que le Liban peut s'équiper des moyens militaires adéquat pour défendre et protéger son territoire sans que l'achat de ces moyens soient soumis à un veto de son voisin du sud ? Si la question est non alors il serait temps que le Liban se tourne vers d'autres pays pour s'équiper .
16 h 45, le 23 février 2021