Chaque hiver, le dossier épineux du traitement des eaux usées de Beyrouth revient sur le devant de la scène. Cette année encore, les égouts, combinés aux eaux de pluie, sont déversés directement dans la mer, au niveau notamment de Ramlet el-Bayda. Pourtant, la capitale dispose de deux stations de pompage des eaux usées, PS1 et PS2, exécutées par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR). La première a été réceptionnée il y a plusieurs mois, la seconde a été remise en état il y a deux ans. Problème : ces stations n’ont jamais été mises en service. La raison ? De multiples conflits d’intérêts.
PS1 est reliée à PS2 (qui reçoit les égouts du complexe balnéaire controversé de l’Eden Bay) laquelle est conçue pour évacuer les égouts vers la station de traitement des eaux usées de Ghadir, dans la banlieue sud, explique Nazih el-Rayess, responsable de la plage publique de Ramlet el-Bayda et militant écologique. Or, la station de Ghadir ne possède pas, pour l’heure, les capacités techniques requises pour effectuer le traitement des eaux usées.
La station de Ghadir n’est tout simplement « pas encore prête », explique une source proche de la municipalité de Beyrouth. En l’état actuel, cette structure ne fait que filtrer les eaux qu’elle réceptionne. Pour un vrai traitement des eaux usées, des travaux sont nécessaires, poursuit ce responsable, sous le couvert de l’anonymat. Selon lui, un prêt de la Banque islamique avait été évoqué, à un moment, pour financer les travaux dans cette station. Le projet, ainsi que le développement de la station de Bourj Hammoud, ont finalement été inclus parmi les financements possibles de la conférence Cedre (tenue en avril 2018 à Paris), ajoute ce responsable. Sauf que les financements de la Cedre sont conditionnés par la communauté internationale au lancement, par l’État libanais, d’un certain nombre de réformes. En leur absence, les financements sont suspendus.
« Personne ne veut travailler avec les autorités »
Le problème ne se limite toutefois pas à la question du financement. S’y ajoute, selon le responsable interrogé par L’Orient-Le Jour, la question de la gestion de la station de Ghadir, une fois finalisée. « Il faut deux ans pour mettre en place ce genre de structures, mais là n’est pas le problème à la limite. Il faut voir qui va la faire fonctionner... Il faudra que le ministère de l’Énergie fasse un appel d’offres. Or, personne ne veut travailler avec les autorités car elles continuent d’adopter le taux de 1 500 livres pour un dollar », explique ce responsable. Et ce, alors que la livre s’est dramatiquement dépréciée depuis le début de la crise. Ces derniers jours, le dollar tournait, sur le marché noir, autour de 8 400 livres. « Tous les appels d’offres sont suspendus en ce moment. Il n’y a donc d’autre solution que de diriger les eaux usées vers la mer », ajoute-t-il.
Au financement et à la gestion, s’ajoute un troisième problème, selon Nazih Rayess. Selon lui, la fédération des municipalités de la banlieue sud « refuse que les eaux usées de Beyrouth soient déversées chez elle et demande en contrepartie que des canalisations soient installées entre Sabra et la station de Ghadir. Leur coût est évalué à 12 millions de dollars ».Un autre responsable au sein de la municipalité de Beyrouth déplore pour sa part un conflit inextricable entre l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban, la ville de Beyrouth, les municipalités de la banlieue sud et le CDR. « Tout le monde se renvoie la balle. L’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban, en charge de faire fonctionner les stations PS1 et PS2, prétend que ces structures ne fonctionnent pas à cause d’un défaut de construction. Or, l’entrepreneur qui les a construites réfute ces accusations », explique ce responsable, sous le couvert de l’anonymat. « La Fédération des municipalités de la banlieue sud dit craindre pour sa part des inondations en hiver parce que la station de Ghadir n’est pas bien équipée. Elle demande à la municipalité de Beyrouth de payer 20 millions de dollars pour installer des canalisations entre le secteur du Saint-Simon et la station de Ghadir. Le CDR, lui, dit qu’il n’a pas pu assurer les fonds nécessaires pour ce projet. Quant à la municipalité de Beyrouth, elle explique qu’elle ne peut pas financer des travaux qui vont être exécutés en dehors de la capitale », souligne ce responsable, qui ajoute : « Il n’y aura pas de solution dans le futur proche, à moins qu’une haute autorité n’impose les travaux et que les coûts ne soient divisés entre les différentes institutions. »
Égouts scellés... en 2018
Un autre aspect de cet épineux dossier concerne l’affaire des égouts scellés avec du béton au niveau de Ramlet el-Bayda à l’origine d’importantes inondations en 2018 à Beyrouth. Or l’enquête autour de cette affaire, qui avait provoqué un tollé à l’époque, a tout simplement été suspendue avant même d’être entamée, révèle Nazih Rayess.
« Nous avons découvert, lors d’une intervention de la députée démissionnaire de Beyrouth, Paula Yacoubian (il y a une dizaine de jours sur la chaîne al-Jadeed), que l’enquête a été suspendue il y a deux ans pour des raisons politiques », indique M. Rayess à L’OLJ. Selon Mme Yacoubian, « le juge en charge de cette affaire se serait réuni avec les députés de Beyrouth qui avaient porté plainte. Ayant eu vent de cette réunion, le propriétaire de l’Eden Bay serait intervenu pour demander que le dossier de l’affaire soit retiré au magistrat, accusé d’avoir révélé des détails sur l’enquête », ajoute-t-il. « À l’époque, Fouad Makhzoumi, député de Beyrouth, avait fait part de son intention d’offrir des canalisations à la municipalité pour aider à régler momentanément le problème, afin que les égouts continuent certes à être déversés dans la mer, mais à 1 000 m de la côte », souligne le militant. Sauf que l’offre de don de M. Makhzoumi a été suspendue après des protestations des écologistes, car elle allait uniquement servir à drainer les égouts de l’Eden Bay et non pas ceux qui déversent l’eau sale du côté de la plage publique de Ramlet el- Bayda, selon les explications de Nazih Rayess. « La municipalité de Beyrouth a de nouveau sollicité l’aide de M. Makhzoumi début décembre, en raison de la dépréciation de la livre. Si ces canalisations doivent être installées, il faut qu’elles profitent en priorité à la plage publique », indique M. Rayess. En attendant, les eaux usées continuent d’être déversées sans aucun traitement dans la Méditerranée, à quelques mètres des baigneurs et des hôtels de la capitale, quand elles n’inondent pas tout simplement les rues de Beyrouth.
La question ne se pose même pas puisque la réponse est la même que pour tous les problèmes du pays. Eau électricité, éducation, justice et souveraineté. Ils ont été dépouillés et réduits à néant ce pays pour le blancs des yeux des mafieux qui gouvernent le chaos quand ils ne le provoquent pas. Bande d’incapables.
16 h 45, le 09 janvier 2021