
Le port de Beyrouth au lendemain de la double explosion qui l'a dévasté le 4 août 2020. Photo AFP
La nomination vendredi soir du juge Tarek Bitar pour succéder au magistrat Fady Sawan, dessaisi de l'enquête sur l'explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth, n'a pas convaincu des partis de l'opposition qui dénonçaient samedi une poursuite de la politisation de la justice.
Président de la Cour criminelle de Beyrouth, Tarek Bitar a été nommé hier juge d’instruction dans l’affaire de l’enquête sur la double explosion qui a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés, en remplacement du magistrat Fady Sawan, dessaisi jeudi du dossier après que la chambre pénale près la Cour de cassation de Beyrouth eut accepté le recours pour suspicion légitime présenté contre lui par deux anciens ministres inculpés dans cette affaire, les députés Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil.
La nomination de M. Bitar pour poursuivre les investigations est supposée calmer les parents des victimes et apaiser les doutes exprimés par plusieurs parties quant à une volonté réelle des autorités de mener à son terme une enquête qui ne fait que traîner en longueur, tandis qu’aucune indication n’a encore été donnée, par les canaux officiels, sur les circonstances qui ont provoqué le cataclysme du 4 août.
"Un coup mortel" contre la justice
"Pourquoi ce juge a-t-il été nommé à ce poste alors qu'il avait précédemment rejeté cette mission ? Quelles étaient ses réserves à l'époque ? Pourquoi a-t-il accepté la mission aujourd'hui ? Pourquoi et comment ses réserves d'alors ont-elles été dissipées ?", s'est interrogé Samy Gemayel, le chef des Kataëb, sur Twitter. "Quiconque renverse un juge d'instruction en réponse à une décision politique des accusés porte un coup mortel au pouvoir judiciaire et à la justice", a jugé le leader chrétien à propos de la décision de la Cour de cassation suite au recours déposé par les deux inculpés. "Le temps des comptes arrive", a-t-il averti.
"La politique de mainmise sur toutes les institutions de l'État se poursuit, faisant fi de la Constitution, des lois et du principe de séparation des pouvoirs", a dénoncé de son côté le Bloc national, insistant sur "la soumission du corps judiciaire par la décision du transfert du dossier à un autre enquêteur". Le parti a accusé en bloc le président de la République, Michel Aoun, de n'avoir pas signé les nominations judiciaires, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, d'avoir accordé son soutien au Premier ministre sortant, Hassane Diab, après son inculpation, et le Hezbollah pour avoir affirmé que l'enquête était close.
"La nomination si rapide du juge Tarek Bitar en remplacement du juge Sawan n'est que la preuve de la confusion et du manque de jugement dont fait preuve le pouvoir depuis le soulèvement du 17 octobre et les conséquences de ses agissements qui suscitent la colère du peuple et la renforcent", a encore jugé le Bloc. "Il est certain que le pouvoir poursuivra ses efforts, après la nomination du magistrat Bitar, pour cacher la vérité et se soustraire à ses responsabilités. En face, la résistance continuera jusqu'à ce que la vérité soit révélée et que ce pouvoir criminel tombe", a prédit le parti politique, comparant le pouvoir en place à "une occupation de l'intérieur".
Pour sa part l'avocat et militant Nizar Saghieh a timidement salué la nomination de M. Bitar, dans des propos rapportés par l'AFP, se demandant s'il pourrait travailler "sans ingérences et pression".
Bitar au palais de justice
Sur le terrain, le nouveau juge d'instruction s'est rendu samedi matin dans son bureau au palais de Justice de Beyrouth pour consulter le dossier et entamer les enquêtes, a rapporté la chaîne locale LBCI, qui indique que le juge ne se désistera pas du suivi des dossiers qui étaient les siens en tant que président de la Cour criminelle de Beyrouth.
La mise à l'écart du juge Sawan avait provoqué depuis jeudi la colère des familles des victimes qui réclament justice depuis plus de six mois. Ces proches ont manifesté durant les dernières 48h en réclamant que l'enquête se poursuive. De nombreux groupes d'opposition et des ONG ont également dénoncé le dessaisissement du juge Sawan, certains estimant qu'il s'agissait d'une décision "politique par excellence".
Suspectés de négligence alors qu’ils étaient respectivement à la tête des ministères des Finances et des Travaux publics et des Transports quand les 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium avaient été stockées en 2014 dans le hangar numéro 12 au port de Beyrouth, MM. Khalil et Zeaïter avaient été mis en accusation par le juge Sawan, à l'instar de l'ancien ministre Youssef Fenianos (Marada) et du Premier ministre sortant, Hassane Diab. Ils avaient été convoqués par le magistrat une première fois le 14 décembre 2020, mais, forts d’un soutien politique et communautaire, ils avaient refusé d’obtempérer, arguant d’immunités liées à leur statut de députés et d'ex-ministres. MM. Khalil et Zeaïter avaient ensuite déposé leur recours pour suspicion légitime, une requête à travers laquelle ils ont mis en cause l’impartialité du juge Sawan et demandé à la cour de cassation de le dessaisir du dossier. L'instruction avait ensuite été gelée pendant plusieurs semaines jusqu'à ce que le juge reprenne la semaine dernière ses interrogatoires, avant d'être finalement écarté du dossier.
La nomination vendredi soir du juge Tarek Bitar pour succéder au magistrat Fady Sawan, dessaisi de l'enquête sur l'explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth, n'a pas convaincu des partis de l'opposition qui dénonçaient samedi une poursuite de la politisation de la justice.Président de la Cour criminelle de Beyrouth, Tarek Bitar a été nommé hier juge d’instruction...
commentaires (9)
AUCUNE NOMINATION D,AUCUN JUGE NE CONVAINCRA PERSONNE CAR LA JUSTICE FAIT DEFAUT TOTALEMENT DANS LE PAYS. ALORS, ENQUETE INTERNATIONALE ET JUSTICE INTERNATIONALE POUR QUE JUSTICE SOIT FAITE.
LA LIBRE EXPRESSION
15 h 04, le 21 février 2021