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Idées - Point de vue

La culture se meurt et l’État regarde ailleurs !

La culture se meurt et l’État regarde ailleurs !

Illustration : Alexstockphoto/Bigstock

Qu’est devenu notre Liban ? Étions-nous vraiment les citoyens d’un pays envié pour sa douceur de vivre ? Un pays unique par sa créativité artistique associée à sa liberté d’expression et sa diversité culturelle, qui lui offraient une place à part dans cette région du monde ?

Aujourd’hui, le pays coule. Et la vitalité artistique et culturelle de la société libanaise, comme celle de tous les autres secteurs, est à terre. Déjà, avant le 4 août, n’étant pas considérée prioritaire au regard des besoins élémentaires et fondamentaux de la population, la culture faisait les frais de la crise économique et financière sans précédent que traverse le Liban. Et bien que constituant une place centrale dans l’économie, nos industries de la culture sont les premières sacrifiées.

Y a-t-il une volonté délibérée de modifier le visage de ce pays ? Dans les récents gouvernements successifs, les titulaires des maroquins des Finances et de la Culture nous l’ont prouvé tant et plus. Mais parlons plutôt de ce dernier : qu’a donc fait Abbas Mortada qui s’est (étrangement) vu confier deux portefeuilles essentiels mais sans aucun dénominateur commun – la Culture et l’Agriculture ? A-t-il défendu les quelques rares subsides annuels concédés par son ministère aux artistes libanais et rayés depuis 2019 des dépenses dues par l’État, sans autre forme de procès ? Il faut souligner que ces modiques subventions représentaient la seule expression concrète du soutien public aux différents secteurs culturels. Les productions des artistes sont aussi importantes que celles des agriculteurs ; elles nous nourrissent tout autant, Monsieur le Ministre !

Atout stratégique

Œuvrant dans un cadre réglementaire décourageant, ne bénéficiant d’aucune incitation fiscale ni d’aucune forme de protectionnisme, souffrant des impérities de la censure et des lourdeurs administratives, les artistes et à travers eux les industries culturelles sont les laissés-pour-compte de l’économie libanaise.

Aujourd’hui, une nouvelle mesure est décidée par les conseillers zélés du ministère des Finances pour renflouer les caisses de l’État : taxer les bénéficiaires des aides en espèces ou en nature considérées comme faisant partie du revenu généré par son activité. Cette mesure peut représenter un clou de plus enfoncé par les autorités dans le cercueil de la culture!

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Certes, l’État doit réajuster ses finances et adapter sa fiscalité à la réalité du marché, c’est légitime et compréhensible. Mais qu’en est-il de la culture que nos gouvernants logent à la même enseigne que tout autre produit de consommation et des entreprises culturelles soumises aux mêmes règles que toute autre société commerciale ? Quand nos dirigeants vont-ils percevoir les industries culturelles et créatives comme un atout stratégique, les appréhender comme des acteurs majeurs de l’économie de la connaissance et réaliser leur importance, assimiler la notion d’exception culturelle et la défendre ? Se trouve-t-il encore de nos jours une oreille responsable sensible à un tel discours ?

Pendant ce temps, sur la planète entière touchée par la pandémie, les gouvernements tentent de voler au secours des industries culturelles, secteur reconnu parmi les plus sinistrés ; ils indemnisent les artistes, moteurs et miroirs de leurs sociétés. Bien au-delà, les pays amis du Liban, soucieux de préserver sa spécificité et conscients du péril que représente un exode massif de ses talents, nous ouvrent leurs fonds d’urgence et nous gratifient de leurs subventions pour pallier la cruelle absence d’un État failli. Qu’ils en soient vivement remerciés ! Comment nos cinéastes raconteraient-ils chacun son histoire libanaise sans cette manne venue de l’extérieur ? Comment les sociétés de production accompagneraient et financeraient-elles leurs projets de films, témoins de la réalité libanaise depuis la guerre civile, là où se sont arrêtés nos manuels d’histoire ?

Et pourtant, malgré le contexte actuel d’une culture à bout de souffle, l’État libanais s’arroge de surcroît le droit de taxer ces aides étrangères qui profitent aux productions cinématographiques libanaises, seules soupapes de sécurité d’un secteur très actif, qui parmi les industries créatives est celui qui contribue le plus au financement de l’État mais qui en bénéficie le moins. C’est un secteur qui s’autofinance majoritairement à l’international, qui alimente l’économie nationale en devises et talents étrangers, et qui ne bénéficie d’aucune exonération en termes de TVA ou de droits de douane. Tout au moins, ce secteur qui comptait considérablement sur les investissements privés pourrait largement tirer parti d’un système d’abris fiscaux pour encourager le mécénat. Et le système de financement des films pourrait être également dynamisé par la modification des systèmes de taxation et de redistribution de sorte que les taxes et impôts payés par les professionnels du secteur soient reversés à l’industrie.

Réformer la fiscalité

Au-delà donc de la nécessité d’exonérer de tout prélèvement les aides d’urgence mises en place dans le sillage du cataclysme du 4 août, c’est l’exemption fiscale de l’ensemble du soutien financier aux industries créatives que nous réclamons pour leur permettre de se reconstruire et de perdurer. Par ailleurs, des allègements sur l’ensemble des autres taxes portant sur les activités culturelles permettraient d’encourager ces dernières tout se en révélant rentables pour le fisc. Cela nécessite donc de prendre en compte toutes les potentialités économiques du secteur, et le considérer, à juste titre, comme un secteur lucratif qui peut générer non seulement des rendements financiers mais aussi des externalités positives sur d’autres secteurs, en stimulant l’économie locale en termes d’emplois ou de tourisme, un vecteur de développement socio-économique et une garantie de l’identité nationale.

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La culture est ce que le Liban sait produire de meilleur ! Elle ne peut pas et ne doit pas rester le parent pauvre de la politique publique. Ne pas accompagner un secteur aussi productif est un crime; un secteur qui participe de l’éducation, de la citoyenneté et de la prévention des conflits, qui produit du vivre-ensemble et de l’intelligence, mais qui produit aussi de la recette financière, des salaires, de la technique et de la technologie et qui a cruellement besoin de l’engagement de l’État.

Avec une part de 4,75 % du PIB avant la crise, selon une étude à paraître de l’Institut des finances (et commanditée par l’Agence française de développement et l’Institut français du Liban), les industries créatives peuvent contribuer à l’effort collectif de réduction du déficit public, à la croissance et à la relance de la consommation intérieure. Mais elles ne le peuvent pas seules ! Tous les rapports d’expertise le préconisent. Et pourtant, cette ressource, cette richesse est plus que jamais ignorée des autorités. Et ce sont encore et toujours les associations culturelles, ainsi que leur réseau de partenaires et de contacts internationaux, qui se mobilisent en lieu et place de l’État, pour sauver un secteur en péril.

Les artistes et ceux qui les soutiennent sont les premiers défenseurs des libertés mais aussi des acteurs majeurs de l’éducation de nos enfants.

Attaquer la culture, la laisser s’affaiblir, c’est s’en prendre aux libertés fondamentales et ébranler ce qui faisait la fierté des Libanais : leur éducation.Au-delà de la pauvreté qui s’accroît, de la pandémie qui nous paralyse, des difficultés financières qui nous plombent, des restrictions bancaires qui nous étouffent, des services publics défaillants, d’une économie exsangue, c’est de sa substance que l’on est en train de vider le Liban, c’est son âme que l’on est en train de laisser dépérir… Car c’est notamment grâce à sa culture que le Liban est plus grand que le Liban ! 

Présidente de la Fondation Liban Cinéma

Qu’est devenu notre Liban ? Étions-nous vraiment les citoyens d’un pays envié pour sa douceur de vivre ? Un pays unique par sa créativité artistique associée à sa liberté d’expression et sa diversité culturelle, qui lui offraient une place à part dans cette région du monde ?
Aujourd’hui, le pays coule. Et la vitalité artistique et culturelle de la société...

commentaires (5)

Lorsqu’on confond culture et agriculture en nommant un même ministre pour les gérer il ne faut pas croire aux miracles. Ceux qui l’ont nommé ne savent même pas ce que le mot culture veut dire, pour eux c’est la culture des champs d’où le jumelage des deux ministères. Dire le niveau de ce gouvernement qui se veut technocrate à la base. On a échappé au pire avec leur démission.

Sissi zayyat

18 h 10, le 07 mars 2021

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Commentaires (5)

  • Lorsqu’on confond culture et agriculture en nommant un même ministre pour les gérer il ne faut pas croire aux miracles. Ceux qui l’ont nommé ne savent même pas ce que le mot culture veut dire, pour eux c’est la culture des champs d’où le jumelage des deux ministères. Dire le niveau de ce gouvernement qui se veut technocrate à la base. On a échappé au pire avec leur démission.

    Sissi zayyat

    18 h 10, le 07 mars 2021

  • Bravo Nayla.

    Arda Ekmekji

    08 h 57, le 02 mars 2021

  • Bravo Nayla

    Arda Ekmekji

    08 h 57, le 02 mars 2021

  • En espérant que l’actuel ministre ne tire pas son revolver en entendant le mot “culture”

    Georges El-Kehdy

    16 h 43, le 26 février 2021

  • Bravo pour ce courageux plaidoyer. Il fallait enfin que quelqu'un le dise!

    SALEH KAYALI Zeina

    13 h 39, le 20 février 2021

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