La commémoration cette année du funeste attentat du 14 février 2005 devrait inciter à prendre du recul, de la hauteur, pour tenter de tirer certaines leçons du passé, loin de tout populisme ou posture démagogique primaire. Du parcours politique et professionnel de Rafic Hariri, l’histoire retiendra ainsi sans doute le profil de l’homme d’affaires réussi, audacieux, aux initiatives tentaculaires. L’on pourrait peut-être lui reprocher d’avoir limité sa vision économique (en tant qu’homme d’État) au seul domaine de la reconstruction et du développement des infrastructures publiques, une option certes incontournable et cruciale au sortir de la guerre (ou « des » guerres), au début des années 90, mais qui aurait mérité d’être accompagnée d’un fort soutien parallèle aux vastes secteurs productifs de l’industrie, de l’agriculture, des technologies de pointe, du savoir et des compétences humaines. Il reste qu’au-delà de ce volet vital pour l’édification de l’avenir, l’histoire retiendra surtout de Rafic Hariri, au plan national, l’image du leader sunnite qui a su résolument et courageusement engager sa communauté sur la voie libaniste et souverainiste, tout en tissant un vaste réseau de solides amitiés à l’échelle arabe et internationale. Il aura de ce fait largement contribué à surmonter les séquelles psychologiques, au niveau de l’inconscient collectif, de la fronde sunnite des années 20 du siècle dernier, qui rejetait sans détours l’idée même d’une entité libanaise souveraine, indépendante de son environnement géopolitique. Cette option nationale prise par Rafic Hariri a mûri lentement au fil des années ; elle n’était pas perceptible et publique à ses débuts du fait que, voulant faire preuve de « pragmatisme » politique, l’ancien Premier ministre jouait le jeu de l’occupant syrien, attendant sans doute la conjoncture régionale et internationale propice qui lui permettrait d’abattre ses cartes souverainistes. La révolution du Cèdre pointait ainsi de façon imperceptible à l’horizon. Ce projet politique, qui pourrait se résumer par le slogan très significatif de « Liban d’abord », prenait rapidement de l’ampleur dans les milieux chrétiens, sunnites, druzes, en sus d’une certaine élite chiite, et devenait de ce fait un véritable danger pour les factions (occupant syrien et Hezbollah, notamment) qui puisaient – et puisent toujours – leur oxygène de l’absence ou de la déliquescence d’un État central libanais fort, souverain et rassembleur. L’attentat manqué en octobre 2004 contre Marwan Hamadé était un premier coup de semonce. L’assassinat de Rafic Hariri il y a seize ans, en ce tragique 14 février 2005, et plus particulièrement la guerre de juillet 2006, provoquée par le Hezbollah, avaient manifestement pour objectif de donner un sérieux coup de frein au processus libaniste et souverainiste en cours.
Aujourd’hui, le Hezbollah poursuit sur sa lancée à cet égard. Il va même plus loin, beaucoup plus loin, en sapant les fondements mêmes, et l’esprit, du pacte national et de la formule de 1943. Il prend tout le pays en otage pour servir la stratégie expansionniste de son mentor régional, faisant ainsi table rase de la politique de neutralité qui est l’un des principaux piliers du pacte de 1943. Il sabote par ses perpétuelles campagnes belliqueuses et haineuses les amitiés et les relations du Liban avec tous les pays qui sont traditionnellement un précieux soutien à l’État. Et cerise sur le gâteau, il met en place dans les faits, de manière insidieuse, son propre « canton » de type fédéral fondé sur la déliquescence de l’État central et sur l’ancrage inconditionnel à un parrain régional… Soit en quelque sorte l’antithèse du projet de la révolution du Cèdre, né au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri, mais aussi – l’on a tendance à l’oublier – de l’important testament politique de l’imam Mohammad Mehdi Chamseddine.
En quelques années, le parti pro-iranien a ainsi renversé manu militari la vapeur en s’appuyant, pour mener à bien son projet, sur le dicton populaire « On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs ». Un modus operandi systématiquement mis en œuvre depuis octobre 2004. Et même bien avant… Sauf que comme l’a récemment souligné en substance, et fort à propos, le patriarche maronite Béchara Raï, certaines factions font totalement fausse route en misant sur l’effondrement total de l’État pour imposer leur vision et leurs pratiques politiques qui sont radicalement étrangères à l’histoire et aux traditions du peuple libanais. Le pluralisme communautaire et socio-culturel sur lequel a toujours été fondé le Liban est une constante historique. Par contre, une prédominance basée sur un fait accompli milicien et sur un rapport de forces régional par essence conjoncturel ne saurait être qu’éphémère. La commémoration de l’attentat du 14 février 2005 permet dans cette optique de mettre en relief, une fois de plus, l’importance historique d’un retour à l’esprit de la révolution du Cèdre.
commentaires (7)
Le panégyrique du martyr est un peu trop exagéré.. Rafic Hariri a pris les rênes du pouvoir alors que la dette public était de deux milliards de de dollars .il est parti en nous laissant plus où moins la modique somme de Quatre vingt sept milliards .
Hitti arlette
14 h 53, le 16 février 2021