De retour à Beyrouth après un bref déplacement à Paris où il avait été reçu mercredi par le président français Emmanuel Macron, le Premier ministre libanais désigné, Saad Hariri, s'est brièvement entretenu vendredi au palais présidentiel de Baabda avec le chef de l'Etat Michel Aoun de la formation du gouvernement. M. Hariri a toutefois affirmé qu'aucune avancée sur ce dossier n'a été enregistrée jusque-là. Il s'agit du tout premier contact entre MM. Aoun et Hariri depuis le 23 décembre dernier, alors que de profondes divergences politiques les opposent au sujet de la formation du gouvernement qui se fait attendre depuis six mois dans un Liban en pleine crise politico-économique.
"Je ne change pas de position"
"Je me suis entretenu avec le président de la République et je poursuivrai ces discussions", a annoncé M. Hariri depuis le palais de Baabda. "Il n'y pas d'avancée concernant la formation du gouvernement, mais j'ai expliqué (au président Aoun) l'opportunité en or que nous avons. À partir d'aujourd'hui, chaque partie assume ses responsabilités", a insisté le Premier ministre désigné. Il a ensuite rappelé que lors de sa visite en France, il a "ressenti un enthousiasme (français) pour la formation d'un gouvernement au Liban". "Le problème réside sur le plan de la constitution d'un cabinet formé d'experts indépendants des partis politiques. Sans cela, aucune réforme ne peut être entreprise", a estimé le chef du Courant du Futur. "Si quelqu'un pense qu'un gouvernement regroupant des ministres affiliés à des partis politiques pousserait la communauté internationale à faire preuve d'ouverture envers nous (...), il se trompe. L'idée essentielle est de former un gouvernement constitué de ministres experts qui ne provoquent pas les partis politiques et qui travaillent uniquement pour appliquer le projet qui leur est présenté", a ajouté Saad Hariri. "Ma position est constante et claire : un gouvernement de 18 ministres tous experts. Je ne change pas de position à ce sujet", a-t-il enfin martelé.
La présidence de la République, qui précise que l'entretien s'est tenu à la demande de M. Hariri, n'a pas tardé à réagir. Dans un bref communiqué, elle a affirmé que Saad Hariri "n'a rien apporté de nouveau sur le plan de la formation du gouvernement".
Nommé pour former le nouveau cabinet le 22 octobre 2020, Saad Hariri n'est toujours pas parvenu à accomplir cette tâche. Il a effectué ces dernières semaines une tournée régionale en se rendant notamment en Egypte, aux Emirats et en Turquie, afin d'obtenir un soutien international. Quant au président Macron, il tente de réactiver la feuille de route qu'il avait lancée le 1er septembre à Beyrouth pour une sortie de crise du Liban, dans la foulée de l'explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth. Cette catastrophe avait poussé le Premier ministre Hassane Diab à démissionner. Mercredi soir, Saad Hariri avait été reçu par le président français pour un dîner de travail, selon son bureau de presse, alors que Paris n'avait pas officiellement communiqué sur cette réunion. Les deux hommes avaient notamment discuté "des difficultés intérieures libanaises qui entravent la formation du gouvernement et des moyens de les surmonter", selon le bureau de presse de M. Hariri. Le chef du Courant du Futur avait également exposé les efforts qu'il déploie "pour restaurer les relations arabes du Liban et mobiliser un soutien face aux crises auxquelles il est confronté".
"Je ne suis prêt à aucune concession"
Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, "les responsables français ont contacté mercredi le président Aoun en lui demandant quelles concessions il était prêt à faire. Le chef de l'Etat leur aurait rétorqué en disant : +Je ne suis prêt à aucune concession. Que le Premier ministre désigné revienne au Liban, qu'il se rende au palais de Baabda pour me voir afin que nous puissions résoudre la crise gouvernementale à deux+".
Toujours selon notre correspondant, le président Macron se serait montré "compréhensif envers Saad Hariri et sa position en faveur d'un gouvernement composé de 18 ministres et sans tiers de blocage pour quiconque (...)". "Les responsables français auraient donc conseillé à M. Hariri de se rendre à Baabda afin de dire au président Aoun qu'il reste sur sa position". A travers cette attitude, le Premier ministre désigné voulait montrer que malgré toutes les pressions internationales, c'est le président Aoun qui est responsable du blocage du processus, selon notre correspondant.
Saad Hariri doit prononcer dimanche un discours politique très attendu, à l'occasion des 16e commémorations de l'assassinat de son père, l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.
De son côté, Ali Hassan Khalil, député affilié au mouvement Amal du président de la Chambre, Nabih Berry, a exprimé le souhait que les efforts déployés sur le double plan local et international débouchent sur la formation d'un nouveau gouvernement. S'exprimant vendredi lors d'une rencontre par visioconférence avec des responsables au sein d'Amal, Ali Hassan Khalil a estimé que le premier pas vers la résolution des crises dont souffre le pays réside dans "une entente politique autour de la formation d'un cabinet composé de personnalités non affiliées aux partis politiques, et capables de mettre sur les rails les réformes exigées par la communauté internationale, comme le stipule l'initiative française". M. Hassan Khalil a, en outre, déploré les "actions de certains protagonistes qui cherchent à contrôler l'action du cabinet". Une flèche décochée en direction du tandem Michel Aoun-Gebran Bassil (chef du Courant patriotique libre) accusé par ses détracteurs de vouloir obtenir le tiers de blocage au sein de la future équipe ministérielle.
Pour sa part, Ibrahim Amine Sayyed, chef du conseil politique du Hezbollah, a affirmé que son parti presse pour la formation d'un nouveau cabinet dans les plus brefs délais. "Tout le monde sait que le Hezbollah tient à ce que le nouveau gouvernement soit formé le plus rapidement possible", a déclaré le responsable chiite dans un entretien accordé à la radio al-Nour, proche du parti. Et M. Sayyed de refuser d'établir un lien entre la naissance du cabinet et la poursuite des négociations autour du dossier nucléaire iranien entre son allié Téhéran d'une part, et Washington et le reste de la communauté internationale d'autre part. "Il s'agirait là d'une exagération", a estimé le dignitaire chiite, appelant les protagonistes libanais à régler leurs problèmes, sans attendre (l'aide) de l'extérieur".
L'appui du Vatican
Par ailleurs, l'ambassadeur du Liban au Vatican, Farid Elias el-Khazen, a affirmé vendredi que le Saint-Siège appuie l'initiative française. "Le Vatican aborde les initiatives et prises de position exprimées au Liban, notamment de la part du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, avec ouverture et sérieux, même s'il ne les commente pas", a souligné M. Khazen dans un entretien à l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), assurant que "le Saint-Siège tient à ce que l'intérêt général soit préservé, afin de parvenir à des solutions aux crises". "Le Vatican soutient l'initiative française, ainsi que toute initiative qui pourrait contribuer à sortir le pays de sa situation critique, a ajouté le diplomate. Il (le Vatican, ndlr) n'épargnera aucun effort en ce sens", a-t-il ajouté.
Le patriarche Raï exerce depuis plusieurs semaines de fortes pressions pour que le cabinet voie le jour le plus rapidement possible. Dimanche dernier, il a franchi un nouveau cap en appelant à la tenue d'une conférence internationale sous les auspices de l'ONU pour examiner la question libanaise. Le lendemain, le pape François avait mis en garde, devant le corps diplomatique accrédité au Vatican, contre le fait que le Liban "risque de perdre son identité", plaidant pour "un engagement national et international renouvelé pour favoriser la stabilité du pays face à un faisceau de crises économiques, politiques et sociales".
commentaires (13)
Si la formule à 18 ne passe pas à Baabda, il doit se retirer normalement et passer le témoin à quelqu'un d'autre. C'est déjà 4 mois ! Le tiers bloquant pourquoi faire? si de toutes les façons les pro CPL/Hezb seront de facto majoritaire. Difficile à comprendre !
Shou fi
22 h 43, le 12 février 2021