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Centenaire Grand Liban : lecture politique

Modifications de la Constitution libanaise : panorama des motifs

Modifications de la Constitution libanaise : panorama des motifs

En 1926, réunion des députés membres de la commission chargée de rédiger la Constitution. (« Liban, le siècle en images », éditions Dar an-Nahar)

La Constitution du 23 mai 1926 a été plus d’une fois modifiée pour accompagner des changements sur le plan politique. C‘est en effet en 1943 qu’avec la fin du mandat, le constituant a décidé de corriger les dispositions constitutionnelles devenues incompatibles avec l’indépendance. Les années qui ont suivi n’ont pas dicté de modifications fondamentales. Les dernières en date ont été dictées par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990, après Taëf. Quel message peut-on lire à travers ces deux interventions du constituant en 1943 et 1990 ?

I. Premier jet de modifications : du mandat à l’indépendance

Le premier jet couvre la période qui va de 1926 jusqu’à l’indépendance en 1943. Ces modifications n’ont pas toutes les mêmes motifs. Il y a d’une part la suppression du sénat en 1927 et, d’autre part, le chapelet de modifications qui traduisent la fin du mandat et la mise en conformité avec l’ère nouvelle de textes qui ne s’accordent plus avec le changement. Elles ne comportent pas de bouleversement majeur dans la configuration des pouvoirs constitutionnels. Seul le pouvoir législatif a été restructuré avec la suppression du sénat. C’est donc très tôt que le monocaméralisme a remplacé dès 1927 le bicaméralisme mis en place en 1926.

Nous évoquerons, en outre, une disposition que le constituant a cru utile d’amender : il s’agit de l’usage du français. Si le texte de 1926 considérait que l’arabe est « la langue nationale officielle dans toutes les administrations de l’État », il donnait au français « également » la qualification de langue officielle. C’est cette qualification de langue officielle qui fut supprimée en 1943. Il est vrai que l’usage d’une langue n’a pas besoin de sa consécration comme langue officielle ; il suffit qu’elle soit adoptée et pratiquée au niveau de l’opinion. De là la nécessité d’interpeller les établissements d’enseignement sur le sérieux de leur engagement dans la sauvegarde du pluralisme linguistique dans le pays.

Au-delà de ces aménagements de forme, on peut retenir trois acquis auxquels les modifications de 1943 n’ont pas touché. Ce qui implique un message clair au niveau le plus élevé :

C’est d’abord la sauvegarde de la démocratie parlementaire. Bien avant sa confirmation dans les textes en 1990, la séparation des pouvoirs a été vécue comme principe fondamental ; nul besoin de préciser dans un texte que tout en étant séparés, les pouvoirs constitutionnels doivent collaborer entre eux, puisque cette collaboration est dictée par la mission des pouvoirs constitutionnels, pourvoyeurs de développement et instruments de vie, non de blocage.

C’est ensuite le respect des libertés qui a été implicitement consacré. Libertés publiques (avant la proclamation des droits fondamentaux avec la création d’un Conseil constitutionnel), les droits individuels demeurent protégés par la Constitution et ont la qualité de droits constitutionnels. La place de la loi pour les encadrer est toujours reconnue. Seule fait exception la liberté de conscience ; depuis le texte de 1926, cette liberté est reconnue par la Constitution comme étant une liberté absolue.

C’est enfin le droit de propriété qui mérite une mention spéciale. L’article 15 place ce droit sous la protection de la loi. Ainsi, c’est la Constitution qui fixe impérativement la cause qui pourrait légitimer une éventuelle atteinte à ce droit, puisque seule une cause d’utilité publique pourrait priver de sa propriété un titulaire de droit.

Ce qui retient l’attention à la lecture de l’article 15 auquel le constituant n’a pas touché et qui est toujours en vigueur, c’est sa clarté et sa grande souplesse. À l’instar de textes célèbres dont une lecture innovante par des générations d’analystes et de juristes a permis l’extension à des hypothèses nouvelles (comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), la rédaction de l’article 15 impose de considérer que la protection du droit de propriété ne se limite pas à la privation du droit de propriété immobilière. Elle ne se limite pas non plus aux hypothèses où la privation de la propriété se ferait au bénéfice de l’État, comme en matière d’expropriation.

Une dernière condition est exigée : avant d’être privé de son droit, le titulaire du droit doit percevoir une indemnité « juste et préalable ». Pour une application à une question à l’ordre du jour, la privation de droits mobiliers, comme les droits des déposants, tombe sous le couperet de la protection de leurs droits par la Constitution. Ce qui rend encore plus illégale la mainmise sur le droit de propriété des déposants, c’est qu’on leur fait payer le prix du droit dont on les prive.

Droits et libertés

En troisième lieu, la sauvegarde du pluralisme s’est imposée au constituant qui a employé des mots qu’on ne saurait confondre : confessions, communautés, religions et rites.

La revue de ces termes voudrait donner aux « communautés » ou une dimension plus large que le cadre exclusivement religieux, d’autant qu’elle concorde avec le caractère « absolu » de la liberté de conscience. La Constitution n’a jamais exclu du champ de protection les communautés non religieuses, ni la communauté des Libanais n’appartenant à aucune religion.

Le droit positif libanais, depuis de longues décades et bien avant l’indépendance, reconnaît l’existence et les droits de communautés non religieuses, qu’elles soient appelées « de droit commun » ou qu’elles puissent être définies comme étant l’ensemble des Libanais qui n’appartiennent à aucune communauté, religieuse ou de droit commun. Ainsi devra être lu l’article 9 de la Constitution, lequel comporte, au bénéfice des « populations », une garantie (donc bien plus qu’une simple reconnaissance) comportant le respect de leur statut personnel.

En conclusion, il est possible d’affirmer que le pluralisme au Liban ne se limite pas à la dimension religieuse ; il englobe aussi bien les confessions (ou communautés religieuses) que les communautés de droit commun ainsi que les Libanais qui n’appartiennent à aucune communauté, religieuse ou de droit commun.

Pluralisme et statut personnel

On aura sans doute noté que la qualification de communauté de droit commun, adoptée par le droit positif, marque la volonté de distinguer le droit commun qui est le principe, et le confessionnel ou religieux qui est l’exception. Il en appert qu’attendre une intervention du législateur pour le vote d’une loi spéciale pour déconfessionnaliser le statut personnel et consacrer le mariage devant les instances civiles est un prétexte. La Constitution implique, en effet, que les droits et libertés appartiennent à tous, en toute égalité, sans privilégier le religieux ni le non-religieux.

En outre, en matière politique, le pluralisme ne se limite pas à la représentation des confessions ; se borner au pluralisme religieux est réducteur. Si après Taëf il y a eu partage entre chrétiens et musulmans à parts égales de 50 pour cent, le constituant dispose que ce partage est provisoire et prévoit la suppression du confessionnalisme. C’est donc au plus haut niveau qu’est consignée une option fondamentale, celle de renoncer au fondement exclusivement religieux du pluralisme politique et de le maintenir à titre transitoire. Ainsi prévaut, dans l’exercice des droits fondamentaux et politiques, notamment en matière de statut personnel, un pluralisme dominé par le principe d’égalité entre tous, confessions religieuses, communautés de droit commun et Libanais n’appartenant à aucune confession ni communauté.

C’est aujourd’hui aux jeunes générations qu’il appartient de sortir du carcan du passé et de mettre en œuvre le fonds constitutionnel, déjà en place, de laïcité, de liberté et d’égalité.

II. Second jet : après Taëf, la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990

Sur les trois axes précédemment envisagés, on peut distinguer quelques signaux que le constituant de 1990 semble avoir transmis.

Concernant d’abord le régime parlementaire, de type monocaméral en attendant la création d’un sénat, il émerge des amendements un message qui s’est confirmé dans la pratique. Il s’agit de l’importance prise par la Chambre des députés.

Concernant ensuite l’analyse des attributions au sein du pouvoir exécutif, elle est le plus souvent faussée par des préjugés, à caractère politique et confessionnel. Les dimensions de notre article imposent de s’en tenir à l’essentiel.

Ainsi, les allégations prétendant faire croire que le chef de l’État n’aurait que des attributions réduites ne sont conformes ni à la Constitution ni à la réalité vécue de la vie politique.

La Constitution situe le président de la République à la tête du pouvoir exécutif et lui consacre 15 articles (art. 49 à 63) ; ainsi par exemple à l’ancien article 49 a été ajouté un alinéa 1er plein de possibilités, puisque le président est notamment investi de la qualité de chef de l’État et de commandant en chef des forces armées.

Une lecture globale

Qu’en est-il des deux autres composantes du pouvoir exécutif qui, dans la structuration du chapitre 4, viennent après le président ? Sur le plan de l’orthodoxie juridique, il est certain que les amendements de 1990 délivrent un message clair : la collaboration et l’équilibre des pouvoirs sont des principes fondamentaux. L’interprétation des textes impose que l’on en fasse

une lecture globale, qui donne aux dispositions constitutionnelles, éventuellement combinées, une indication qui mène à une dynamique de vie dans l’exercice du pouvoir, non au blocage, lequel est contraire au but de l’action politique.

Ainsi, le pouvoir réglementaire garde toute son importance ; dans l’exercice du pouvoir réglementaire, le décret pris sur décision du Conseil des ministres est toujours l’acte juridique qui traduit la collaboration des acteurs du pouvoir exécutif. La participation du ministre aux réunions du Conseil des ministres est une constante dans la vie politique, le Conseil des ministres n’étant pas une création nouvelle.

Il en résulte qu’une analyse apolitique impose de conclure que, sur l’essentiel, les règles du régime parlementaire tiennent toujours, malgré le renforcement de l’Assemblée. Tel est le premier message qu’il est possible de retenir, à la lumière de la loi constitutionnelle de 1990.

L’attachement aux libertés

Le deuxième message est également clair. Il témoigne de la consécration de la primauté des libertés et des droits fondamentaux ; c’est donc la sauvegarde d’un pilier structurel de la démocratie à laquelle les Libanais, à leur manière, ont prouvé leur attachement.

Un dernier message qu’impliquent les modifications de 1990 : il s’agit de la sauvegarde du pluralisme, sans rupture avec le passé et sans bouleverser la pratique du vivre-ensemble.

Il est toutefois une disposition qui autorise un espoir de changement, à l’adresse de notre jeunesse. Sur le plan constitutionnel, le principe de la suppression du confessionnalisme politique est, en effet, retenu. Cette annonce bienvenue est inscrite dans la nouvelle mouture de l’article 95. Ainsi le constituant en 1990 a emboîté le pas au constituant de 1926 qui, en consacrant la liberté de conscience, avait adopté le principe d’un État sans religion.

Au terme de cette contribution, a-t-on besoin de conclure ? Ceux qui l’auront parcourue pourront prendre eux-mêmes position.

Des messages qu’elle porte, celui de l’espoir peut être celui qui incite le plus à ne pas baisser les bras.

Traversant un siècle marqué par des turbulences dont l’histoire indiquera les causes et les sources, le Liban persiste dans son attachement à la liberté.

Au sortir d’une longue crise armée qui n’a pas fini de développer ses conséquences, notre pays a pu mettre en place la graine constitutionnelle dont on tarde à assurer la germination. De tous ceux qui occupent la scène et disent avoir le souci de la chose publique, ce sont les jeunes qui peuvent se projeter dans l’avenir ; les lignes qui sont ici pourraient contribuer à leur dire qu’il leur appartient de marquer de leur empreinte les structures constitutionnelles disponibles aujourd’hui. Ils ont la responsabilité d’en assurer la mise en œuvre par étapes, loin du confessionnalisme et des tares contre lesquelles se rebelle toute personne de bonne volonté, et dans une fidélité renouvelée envers les valeurs fondamentales que personne n’a pu arracher au Liban, malgré les crises sanitaire, économique et monétaire et malgré les séquelles humaines et socio-économiques de l’apocalypse du 4 août 2020.

Hassãn-Tabet RIFAAT

Avocat au barreau de Beyrouth

Professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph

Ancien président de l’Inspection centrale, ancien directeur général du ministère de la Justice

La Constitution du 23 mai 1926 a été plus d’une fois modifiée pour accompagner des changements sur le plan politique. C‘est en effet en 1943 qu’avec la fin du mandat, le constituant a décidé de corriger les dispositions constitutionnelles devenues incompatibles avec l’indépendance. Les années qui ont suivi n’ont pas dicté de modifications fondamentales. Les dernières en date...