Critiques littéraires

Les pathologies de notre psychologie historique

Loubnan fi mi’at ‘am : afkar wa tajareb (Le Liban en cent ans : réflexions et expériences), ouvrage collectif, Club culturel arabe, 2020, 252 p.

L’ouvrage du Club culturel arabe, avec des contributions de dix-sept auteurs, témoigne à la fois de la résilience de l’entité libanaise malgré les perturbations de l’histoire, mais aussi des pathologies de notre psychologie historique. Il en découle l’exigence désormais d’une remise en question de notre historiographie nationale, la promotion d’une libanologie libérée de tout jacobinisme, et l’acculturation du sens de l’État dans la conscience du Libanais.

L’ouvrage se partage entre des approches historiques (Abbas Halabi, Khaled Ziadé, Michel Touma, Muhammad Ali Mukalled, Wagih Kanso, Antoine Messarra), constitutionnelles et politiques (Khaled Kabbani, Abdallah Rizk, Mona Fayad, Tarek Mitri, Mohammad Sammak, Daad Bou Malhab Atallah, Mohammad Hussein Chamseddine…), sociologiques (Melhem Chaoul), et culturelles (Antoine Seif, Nader Sarraj, Muchir Basile Aoun).

On oublie que dans la proclamation du Grand Liban du 1er septembre 1920, il s’agissait de la « Proclamation de l’État (sic) du Grand Liban », suivie le jour même de plusieurs arrêtés pour la constitution de cet État. Or la notion d’État est gommée dans notre culture et psyché collective. « Y a-t-il espoir de reconstituer les piliers de l’État ? », se demande Khaled Kabbani. Le président de la République au Liban est qualifié de « chef de l’État » dans l’article 49 de la Constitution. Le paysage du 17 octobre 2019 domine dans nombre de contributions, dont celle de Tarek Mitri, avec l’espoir d’émergence d’une citoyenneté constructrice d’État.

Mohammad Sammak rapporte des souvenirs personnels fort éloquents sur le vivre-ensemble. « Je ne sais plus, écrit-il, comment m’adresser à l’âme du Patriarche Hoyeck qui a œuvré pour la naissance du Grand Liban, il y a un siècle. Le Liban que tu as voulu grand à la mesure de la foi et de ton humanisme, ils l’ont ramené petit avec leurs petitesses et divagations sectaires. » Ailleurs, Abbas Halabi se demande : « Assistons-nous à la nécrologie de la grandeur du Liban avec les secousses répétitives depuis le désastre en Palestine en 1948 ? »

Le dilemme réside dans la problématique de l’État dans un régime parlementaire pluraliste « et non dans la dimension et la superficie ». « C’est la date de 1926, écrit Mohammad Ali Mukalled, celle de la promulgation de la Constitution libanaise qui constitue le point de départ de la célébration du centenaire. Les événements du siècle passé prouvent que le dilemme ne réside pas dans l’histoire, ni dans la dimension, mais dans la nature de la gouvernance de l’entité nouvelle, quelle que soit sa superficie. Patrie et État sont deux concepts nouveaux en langue arabe et dans le lexique politique. Le repère étatique résout la problématique de l’historiographie unifié. » Citant Abadallah Balkis, Mohammad Ali Mukalled souligne qu’il appartient à l’État le monopole de la force organisée, sinon la violence ravage la société.

L’analyse de la pensée politique libanaise, par Mouchir Basile Aoun, surtout à propos de la liberté, montre « la déficience conceptuelle tragique dans les profondeurs de la psyché nationale. La philosophie aujourd’hui au Liban est orpheline dans le tissu existentiel, social, politique et culturel ». Il en découle que la crise, selon Wagih Kanso, déborde « l’instantanéité des événements » et que, selon Khaled Ziadé, « c’est la gouvernabilité du Liban par le président Fouad Chéhab qui a assuré la gouvernance rationalisée. »

Si, comme l’écrit Mohammad Hussein Chamseddine, « nous gaspillons aujourd’hui cent ans de d’expérience nationale », c’est à notre sens en raison d’une aliénation culturelle, d’une amnésie nationale, et du défaut de fécondation éducative à travers les divers processus de transmission et de socialisation. Le travail d’acculturation de l’expérience libanaise, que décrit Antoine Seif à travers plusieurs associations, il faut le développer à l’avenir. Il faudra pour cela « se libérer d’abord du Liban otage », comme l’écrit Mona Fayad.

L’ouvrage du Club culturel arabe, plein d’observations pertinentes, doit être suivi, non plus par des diagnostics, analyses et descriptions, mais d’un travail complémentaire, opérationnel et empirique en vue d’un programme d’action institutionnelle, historiographique et pédagogique pour la reconstruction, par la nouvelle génération, de l’État (sic) du Grand Liban.

Loubnan fi mi’at ‘am : afkar wa tajareb (Le Liban en cent ans : réflexions et expériences), ouvrage collectif, Club culturel arabe, 2020, 252 p.L’ouvrage du Club culturel arabe, avec des contributions de dix-sept auteurs, témoigne à la fois de la résilience de l’entité libanaise malgré les perturbations de l’histoire, mais aussi des pathologies de notre psychologie...

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