Alors qu’il semblait s’être confiné, ces derniers temps, dans un rôle d’observateur passif alors que la crise politique s’exacerbait, le président de la Chambre Nabih Berry est finalement sorti de son mutisme. En publiant lundi un communiqué tonitruant dans lequel il trace des lignes rouges à ne pas dépasser dans le processus de formation du gouvernement, à savoir la question du tiers de blocage que personne ne doit détenir, le chef du législatif a vraisemblablement décidé de rejouer au pompier. S’il a décoché une flèche en direction du Courant patriotique libre, accusé de chercher par tous les moyens à obtenir les tiers des voix au cabinet, il a également proposé une issue : des ministres experts et apolitiques que chaque partie pourrait nommer à sa guise.
Pour l’ancien député Ahmad Fatfat, la démarche du président du Parlement est certes louable parce qu’animée d’une bonne intention. Il n’en reste pas moins qu’elle constitue une ingérence flagrante dans le processus de la formation du gouvernement, qui doit être l’œuvre du Premier ministre désigné en coopération avec le président de la République. Il en est de même de la récente tentative du Hezbollah d’effectuer une médiation pour rapprocher les points de vue entre les protagonistes qui, selon lui, est également anticonstitutionnelle.
Dans un entretien express avec L’Orient-Le Jour, M. Fatfat exprime toutefois des doutes sérieux sur les chances de voir l’appel lancé par Nabih Berry – qui coïncide avec la relance de l’initiative française – aboutir, pour des raisons intérieures aussi bien qu’internationales.
Comment analysez-vous la déclaration du chef du législatif et sa tentative de briser le marasme politique ?
J’ai un avis mitigé à ce propos. Tout d’abord, je considère que cette démarche est une ingérence du pouvoir législatif que je considère néfaste, dans la mesure où il y a une atteinte au principe de la séparation du pouvoir. La formation du gouvernement est la prérogative du Premier ministre désigné, appelé le formateur, en coopération avec le président de la République. Toute autre ingérence va également à l’encontre de la Constitution. Ce qui se passe n’est pas normal avec, d’une part, le président du Parlement qui intervient et, d’autre part, le Hezbollah qui effectue une médiation. Dans le cas du Hezbollah, c’est pire encore puisqu’il n’a pas de fonction institutionnelle en tant que telle alors que M. Berry est après tout le président de l’Assemblée. Je constate que le Hezbollah joue aujourd’hui le rôle d’Abou Yaarab, le surnom jadis donné à Ghazi Kanaan (qui fut le chef des services de renseignements syriens au Liban, NDLR), qui imposait les formules de gouvernements. Je peux à la limite comprendre la démarche de Nabih Berry qui revient aujourd’hui pour jouer un rôle d’intermédiaire, car il voit que la situation est bloquée. Avec le Hezbollah c’est différent, puisqu’il essaye d’imposer ses desiderata à tout le monde : que ce soit à Saad Hariri, au chef de l’État ou à l’ensemble des composantes du pays.
Analysée sur le plan politique pur, la démarche de M. Berry peut néanmoins être considérée comme une ouverture dans le sens où il dit au Courant patriotique libre et au chef de l’État voilà, vous avez la possibilité vous aussi de désigner vos ministres qui ne soient ni complètement liés à vous ni contre vous. Il a trouvé cette formule « à la Nabih Berry » et a sorti de son chapeau un lapin, comme il avait l’habitude de le faire. Mais la question est de savoir si Gebran Bassil et Michel Aoun sont disposés aujourd’hui à faire des concessions.
Quelles sont, selon vous, les chances que ces interventions puissent aboutir ?
Mon impression c’est qu’on ne s’en sortira pas de sitôt. D’après moi, ce n’est pas vraiment une crise de partage du pouvoir. Le Hezbollah souhaite désormais qu’un gouvernement se mette en place maintenant que Donald Trump a terminé son mandat. Les discussions sur le nucléaire vont probablement être lancées d’ici à quelques semaines. D’un autre côté, on ne peut ignorer ce qu’a dit Gebran Bassil qui a récemment évoqué des réformes politiques de fond. Il cherchera à aller jusqu’au bout pour parvenir à introduire des réformes au système comme il l’avait suggéré. Ce serait, en quelque sorte, sa planche de salut. Et tant que le président Aoun est à Baabda, Gebran Bassil est en bonne posture. L’inverse lui portera tort. La raison est que Bassil fait face à de grands problèmes à l’intérieur du Courant patriotique libre, pendant qu’à l’extérieur ses chances s’amenuisent. Donc il va tout faire pour pousser les choses à bout afin que le pays soit forcé à aller vers une constituante, pour qu’il puisse continuer à jouer un rôle fondamental sur la scène politique libanaise. Il ne faut pas oublier qu’au sein du CPL, il a de la concurrence. Ibrahim Kanaan a aujourd’hui un projet présidentiel. Donc la seule possibilité pour que Gebran Bassil reste en position de force est la présence de Michel Aoun à la présidence. Il ne peut plus attendre longtemps parce que les choses se dégradent pour lui à tous les niveaux. Manifestement, ni le Hezbollah ni Nabih Berry n’arrivent plus à supporter son attitude et ses prises de position, sans compter les problèmes qu’il affronte au sein de sa propre formation politique. Il essaye de s’en sortir en poussant la crise à son paroxysme. Pour l’instant, il manœuvre pour obliger Saad Hariri à fléchir et à faire des concessions de sorte à l’écraser politiquement. Dans ce cas de figure, il pourra se prévaloir d’une victoire et en tirer crédit. Mais ni Saad Hariri ni même les alliés du CPL ne sont d’accord pour aller aussi loin.
Selon vous, Nabih Berry a-t-il fait coïncider son initiative avec celle du président français Emmanuel Macron pour mieux en garantir l’issue ?
Nabih Berry n’intervient jamais sur la scène politique de manière aussi poussée s’il n’a pas auparavant eu l’aval du Hezbollah. Cela dit, oui il y a probablement un recoupement entre les démarches de l’Élysée et de Aïn el-Tiné. Emmanuel Macron tente de relancer son initiative, mais il voudra cette fois-ci enregistrer un succès. Nabih Berry essaye donc de le relayer sur le plan local espérant faire aboutir sa mission. Mais moi je ne pense pas que cela va réussir. Il faut dire que le problème dépasse le cadre national. Il faut aller chercher quelques indices dans l’appel téléphonique qui a eu lieu entre Joe Biden et Emmanuel Macron, qui ont implicitement lié le règlement du problème libanais à celui de l’Iran selon moi. Ils savent parfaitement comment les deux dossiers s’imbriquent. Je pense qu’il va falloir attendre que la situation se décante du côté iranien d’abord. Téhéran détient une carte maîtresse dans les négociations, qui est le Hezbollah et la situation libanaise. L’Iran ne va pas céder de sitôt, encore moins gratuitement. D’un autre côté, il y a un Gebran Bassil qui profite de cette situation pour faire avancer ses pions. C’est malheureux, mais c’est la réalité de la politique libanaise.
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IL NE LUI RESTE PLUS RIEN D,AUTRE A FAIRE POUR ESSAYER D,ELOIGNER LES ACCUSATIONS DE CORRUPTION ET DE BOYCOTTAGE DE L,ETAT POUR LE COMPTE DE SES SEIDES QUI PESENT SUR SON COU ET SON DOS.
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 13, le 03 février 2021