Alors que les institutions du pays s’effondrent l’une après l’autre, l’armée libanaise a récemment fait face à une nouvelle campagne la visant, qui n’a pu être étouffée qu’après une série de contacts et de réunions entre son commandement et le Hezbollah, selon des sources concordantes.
La campagne a commencé après le dernier discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait estimé, en évoquant la double explosion du 4 août, qu’on ne pouvait pas en faire assumer la responsabilité à son parti, surtout que l’armée est responsable de la protection du port de Beyrouth. Il avait ajouté que l’armée était au courant du stockage des matières dangereuses et il l’avait appelée à dévoiler les résultats de l’enquête menée jusqu’à présent, alors que cela n’est pas du ressort de cette institution, mais de la justice. Peu après, des articles virulents contre l’armée ont été publiés dans le quotidien al-Akhbar, proche du Hezbollah, par son rédacteur en chef Ibrahim el-Amine et son correspondant judiciaire Radwan Mortada. Ce dernier a également évoqué la responsabilité de l’armée dans le stockage du nitrate d’ammonium à l’origine du drame du port et a usé de termes dégradants à l’égard de la troupe. Selon des sources informées, le commandement de l’armée a estimé que cette campagne était inadmissible et portait atteinte à l’institution et au moral de la troupe. Et des contacts ont eu lieu entre le Hezbollah et le commandement de l’armée pour circonscrire l’affaire, d’après des sources proches des deux parties. Dans ses contacts avec le commandant en chef de l’armée et des officiers de son cabinet, le Hezbollah s’est démarqué de cette campagne et a assuré à ses interlocuteurs qu’il ne couvrirait pas Radwan Mortada, parce qu’il a insulté l’armée. Il a cependant estimé que l’affaire devait être du ressort de la justice et que ce n’était pas nécessaire d’envoyer une patrouille des services de renseignements pour tenter d’arrêter le journaliste qui se trouvait dans les locaux de la chaîne al-Jadeed, comme cela s’est produit le 15 janvier. M. Mortada avait refusé d’obtempérer mais s’était présenté plus tard devant la justice. Des sources politiques opposées au Hezbollah notent que le parti pro-iranien avait choisi d’adresser, via al-Akhbar, un message indirect au commandant en chef de l’armée, le visant en raison de la bonne relation qui le lie aux États-Unis et plusieurs pays arabes et de certaines informations selon lesquelles la troupe se préparerait à combattre les opérations de contrebande entre le Liban et la Syrie. Mais elles expliquent que le Hezbollah se garde d’attaquer frontalement l’armée, pour maintenir les voies de la négociation ouvertes, et aussi parce qu’il ne peut pas se permettre de se mettre à dos l’institution. En effet, le Hezbollah sortirait perdant de tout affrontement avec l’armée et l’intérêt du parti est de maintenir une bonne relation avec elle. Surtout que la formation chiite sait bien que des pressions intenses sont exercées sur le commandant en chef de l’armée pour qu’il entre en confrontation avec le Hezbollah, ce qu’il refuse.
Entre Gebran Bassil et Joseph Aoun...
Pour sa part, l’armée estime que cette campagne n’est pas la première qui vise son commandement actuel et qu’elle intervient après de multiples tentatives de porter atteinte à son image de rassembleur. Une source haut placée au sein de l’institution militaire souligne que « plusieurs parties sont irritées par les succès enregistrés par le commandement de l’armée, surtout qu’il est proche de tout le monde, en maintenant dans le même temps ses distances avec tous. Le problème est qu’il n’a pas accepté de se plier aux exigences d’une partie quelconque », ajoute cette source. Elle souligne, à titre d’exemple, que beaucoup avaient tenté, en vain, de pousser l’armée à l’affrontement avec les contestataires du 17 octobre 2019, ce qu’elle avait refusé. Auparavant, l’armée avait déjà essuyé plusieurs écueils, lors des incidents de Qabrchmoun, en juillet 2019, quand une tournée du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil à Aley avait déclenché un affrontement interdruze entre l’allié du CPL, le Parti démocrate de Talal Arslane, et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, faisant au moins deux morts. Le CPL et le président Michel Aoun, ajoute la même source, avaient tenté de mettre l’armée en face à face avec les partisans du PSP, mais la troupe n’a pas obtempéré. Elle rappelle aussi l’incident de janvier 2018, quand la fuite d’une vidéo dans laquelle M. Bassil accuse le président du Parlement Nabih Berry de pouvoir abusif et le qualifie de « baltaji » (voyou) avait provoqué des tensions entre les partisans des deux camps sur le terrain, notamment devant le siège du CPL, au centre Mirna Chalouhi, où l’armée a dû intervenir.
Dans le même temps, plusieurs parties accusent régulièrement le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, d’ambitions présidentielles que ce dernier dément et il estime qu’elles visent à affaiblir l’institution. Des accusations qui sont surtout le fait des milieux du CPL, en raison de l’absence d’alchimie entre son chef et le général Joseph Aoun. Mais ces divergences se répercutent sur plusieurs dossiers, dont le dernier en date était la nomination d’un nouveau directeur des SR de l’armée. En effet, selon des sources informées, le commandant en chef voulait renouveler le mandat du général Tony Mansour, un de ses fidèles, mais il s’est heurté à l’opposition de Gebran Bassil qui entretient une mauvaise relation avec le général Mansour. Finalement, le chef de l’État a proposé une solution de compromis qui a abouti à la nomination du général Tony Kahwagi à ce poste. Des sources du CPL assurent cependant qu’elles soutiennent entièrement l’armée face à la campagne la visant et démentent tout conflit avec son commandant en chef.
Un autre dossier sensible est celui des négociations sur la démarcation de la frontière maritime avec Israël : alors que ces négociations avaient démarré en octobre sur la base d’une zone contestée de 860 km2, l’armée a présenté une carte affirmant le droit du Liban à une superficie de 2 290 km2 – rejetée par Israël – immédiatement après les sanctions américaines imposées à Gebran Bassil. Si la troupe affirme que le Liban est dans son bon droit de réclamer cette superficie, certains opposants au camp du président se demandent si elle a été mise sous pression pour le faire, dans le but de porter atteinte aux relations de son commandant en chef avec l’étranger et donner l’impression qu’il entrave les négociations. Face à tous ces défis, et au poids de la crise économique qu’elle ressent également de plein fouet, l’armée affirme qu’elle maintiendra sa cohésion et restera loin des divisions confessionnelles. Surtout que l’effondrement de ce seul pilier encore debout au Liban et qui jouit de la confiance des Libanais et de l’étranger signifierait l’anéantissement du pays.
commentaires (10)
"la troupe se préparerait à combattre les opérations de contrebande entre le Liban et la Syrie.". Et mon c.., c'est du poulet? Ils ne feront rien, parceque ça les amènera à se confronter au hezb.
DJACK
20 h 26, le 21 janvier 2021