
Gebran Bassil a lancé plusieurs signaux au cours de son discours, dont à son allié hezbollahi, pour engager un dialogue autour de l’entente vieille de 14 ans. Photo Reuters / Mohammad Azakir
Outre la diatribe contre le Premier ministre désigné, Saad Hariri, la conférence de presse qu’a tenue dimanche le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, était porteuse de plusieurs signaux politiques en direction tant des adversaires du courant aouniste, que de ses alliés, tels le Hezbollah avec qui il entend lancer un dialogue.
Une démarche qui semble néanmoins semée d’embûches. Le CPL s’est en effet entendu avec le Hezbollah pour engager un dialogue bilatéral, comme l’a annoncé, dimanche, M. Bassil, qui a également reconnu que les rapports entre son parti et celui de Hassan Nasrallah n’étaient pas au beau fixe. Il s’agit d’une des rares fois où le directoire du CPL admet que les relations avec son allié de longue date passent par de sérieuses secousses.
M. Bassil faisait allusion aux divergences observées entre les deux partis au sujet de plusieurs dossiers locaux, tels que la lutte contre la corruption et l’édification d’un État. Ce dernier point, le leader du CPL l’a évoqué dimanche en estimant qu’il devrait être incorporé à l’ordre du jour du dialogue attendu, « parce que, pour le moment, cela (l’entente entre les deux partis) ne fonctionne pas » sur ce plan, a-t-il expliqué.
Le CPL et le Hezbollah paraissant conscients de la nécessité de traiter leurs relations troublées, il n’est pas surprenant de les voir engager une dynamique politique à même de les mener vers un dialogue bilatéral.
Sauf qu’une minutieuse lecture entre les lignes des propos du chef du CPL n’est pas sans susciter des interrogations quant à la possibilité de voir un tel dialogue se tenir et aborder sans ambages tous les sujets sensibles que Gebran Bassil a évoqué hier. Pour le député de Batroun, tout dialogue avec l’allié stratégique chiite devrait porter sur l’épineuse question de la stratégie de défense, mais aussi et surtout l’arsenal du parti. À ce sujet, Gebran Bassil n’a pas mâché ses mots. « Nous n’acceptons pas que les armes de la résistance servent un projet autre que celui de la protection des intérêts du Liban », a lancé le chef du CPL, accusant ainsi implicitement le Hezbollah de servir le projet régional de l’Iran.
Ces critiques viennent s’ajouter à la mésentente plus que jamais audible entre le Hezbollah et le tandem Baabda-CPL autour de la formation du futur gouvernement, et les fameux « critères unifiés » dont les aounistes veulent imposer le respect.
C’est donc pour tenter de traiter les points de tensions qu’un comité comprenant Alain Aoun et César Abi Khalil, députés aounistes de Baabda et Aley respectivement, ainsi que leur collègue de Bint-Jbeil, Hassan Fadlallah (Hezbollah), a été formé. Il a pour mission de paver la voie à la tenue du dialogue bilatéral.
Pour le moment, cette opération semble à un stade embryonnaire. « Nous n’avons encore rien entamé. À l’heure actuelle, chaque partie fait son état des lieux avant de passer à la table de dialogue », explique Alain Aoun à L’Orient-Le Jour. Il définit toutefois certaines grandes lignes de la démarche : « Aucun sujet tabou ne devrait entraver la tenue d’un dialogue, sinon nous serons devant un échec. » « Il faudrait surtout évaluer la phase politique précédente à la lumière des changements observés récemment », ajoute-t-il. Une allusion au déclenchement du mouvement de contestation populaire, en octobre 2019 et aux modifications qu’il a engendrées sur la scène locale. « Il faut également reconnaître que la situation au Liban n’est pas très bonne, et que le mandat Aoun a fait face à plusieurs obstacles qu’il doit évaluer », ajoute-t-il dans ce qui sonne comme une critique au Hezbollah, dans la mesure où celui-ci n’aurait pas appuyé le chef de l’État sur toute la ligne.
À l’heure où Alain Aoun évoque un dialogue sans tabous, on voit mal le Hezbollah se lancer dans un processus politique qui remettrait en cause son arsenal. Mais, pour éviter d’être accusé de vouloir faire échouer cette tentative de dialogue, le parti chiite semble envoyer des signaux positifs à son allié aouniste sur ce plan. « Le Hezbollah est prêt à discuter de tous les sujets, tels que ses armes, son envergure régionale, le système politique en vigueur, la loi électorale », affirme à L’OLJ Kassem Kassir, journaliste proche du parti de Hassan Nasrallah. Et d’assurer que le dialogue entre les deux alliés devrait débuter prochainement, et que les sanctions américaines infligées en novembre dernier contre Gebran Bassil ont donné un nouvel élan aux rapports entre les deux partis.
« Politique du grand écart »
Karim Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, exclut, quant à lui, la possibilité d’un dialogue portant sur les armes du Hezbollah. Contacté par L’OLJ, il estime que c’est surtout pour des motifs politiques et présidentiels que Gebran Bassil s’est attardé sur la question, lors de sa conférence de dimanche. Selon lui, le chef du CPL « opte pour une politique de grand écart parce qu’il est conscient qu’il est dans une position politique et populaire faible, et qu’il aura du mal à récupérer sa popularité. Il essaye donc d’envoyer des signaux politiques contradictoires dans plusieurs directions, croyant que chacun des protagonistes va retenir la partie qui lui convient, alors que tel n’est pas le cas, parce qu’ils ont déjà une idée du discours politique de M. Bassil ».
« Le chef du CPL n’est toutefois pas prêt à rompre totalement ses rapports avec le Hezbollah, dans la mesure où il est conscient que cette alliance pourrait servir ses ambitions présidentielles », précise M. BitarL’analyste poursuit : « Ce qui manque aux rapports entre le Hezbollah et Gebran Bassil, c’est cette confiance personnelle qui liait ce parti à Michel Aoun, et dont l’absence fait de tout dialogue entre les deux parties un exercice de communication de pure forme, visant à maintenir l’entente de Mar Mikhaël, dans la perspective d’ambitions politiques futures. »
Outre la diatribe contre le Premier ministre désigné, Saad Hariri, la conférence de presse qu’a tenue dimanche le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, était porteuse de plusieurs signaux politiques en direction tant des adversaires du courant aouniste, que de ses alliés, tels le Hezbollah avec qui il entend lancer un dialogue. Une démarche qui semble néanmoins semée...
commentaires (5)
Stade embryonnaire, ça veut tout dire ce sera l'avortement ou l'accouchement d'un avorton
Zeidan
19 h 38, le 12 janvier 2021