
Le président Michel Aoun. Photo d’archives Dalati et Nohra
Le Courant patriotique libre (CPL) a-t-il décidé de prendre ses distances avec le Hezbollah en 2021 ? Les spéculations vont bon train depuis la polémique qui a opposé les deux partis au cours du week-end. Michel Aoun et le CPL ont vivement réagi à une déclaration d’un haut responsable iranien, Amir Ali Hajjizadeh, qui aurait considéré, samedi dernier, le Liban comme la ligne de front de l’Iran face à Israël. « Les Libanais n’ont besoin d’aucun partenaire pour protéger l’indépendance et la souveraineté de leur nation sur ses frontières et ses terres », a écrit le président Michel Aoun sur Twitter, sans préciser le contexte de ce message. « Les Libanais sont responsables de protéger la liberté, la prise de décision, la souveraineté et l’indépendance » de leur pays, indique un communiqué du CPL. Le texte précise que « l’aide reçue » de la part de pays tiers « ne doit pas être conditionnée à un abandon de la souveraineté nationale ni à une immersion dans des affaires qui ne concernent pas » le Liban, dans une claire allusion à l’Iran, sans pour autant le citer.
Alors que les déclarations d’Amir Ali Hajjizadeh sur la chaîne al-Manar ont provoqué une pluie de critiques de la part du courant du Futur, des Forces libanaises et des Kataëb, appelant l’État à prendre position, le CPL a-t-il réagi par simple opportunisme ? Ou ces sorties sont-elles le prélude d’un véritable virage politique par rapport à son allié chiite qui n’a jamais caché ses liens avec l’Iran ? La réponse semble être entre les deux. Les réactions du CPL semblent s’expliquer par la virulence des critiques sur la scène politique mais aussi par la pression que subit le parti sur cette question non seulement de la part de la communauté internationale mais aussi de sa propre base. Le CPL ne veut pas donner le sentiment de laisser la défense de la souveraineté libanaise à ses adversaires politiques et souhaite, dans le même temps, redéfinir à son avantage son partenariat avec le Hezbollah. Dans le prolongement des sanctions que Washington lui avait imposées – sous prétexte qu’il avait refusé de remettre en question sa relation avec le Hezbollah –, Gebran Bassil avait clairement exposé cette ambition : « Nous avons convenu avec le chef du Hezbollah d’améliorer le document d’entente (l’accord de Mar Mikhaël de février 2006) avec le parti, car les gens ont des attentes. »
Cherchant à préserver le seul partenaire solide qui lui reste, en l’occurrence le Hezbollah, le CPL ne peut pour autant ignorer les pressions des pays occidentaux et des pétromonarchies du Golfe qui exigent plus que jamais que le Liban adopte une sorte de neutralité par rapport aux conflits régionaux. Un avis que partage depuis un certain temps un large pan des aounistes qui considèrent que les actions du Hezbollah sont à l’origine de la crise économique qui frappe le pays.
Michel de Chadarévian, responsable des relations diplomatiques au sein du CPL qui vient de quitter les rangs du parti, est pour sa part plus nuancé sur l’analyse de la dernière séquence. Selon lui, la tentative du courant aouniste et du président de se démarquer de la position iranienne est tout simplement due au fait que le CPL considère que c’est le Hezbollah, une entité libanaise en définitive, qui est son allié, et non l’Iran. À maintes reprises, le chef du CPL a tenté de jouer à l’équilibriste en cherchant à se distinguer, sur certains points, de son allié chiite, sans jamais couper les ponts pour autant. « L’existence d’Israël n’est pas pour nous une cause idéologique », avait-il déclaré en décembre 2017 en réponse à une question sur une éventuelle normalisation des relations entre les pays arabes et l’État hébreu lors d’une interview à la chaîne panarabe al-Mayadeen.
« Propos détournés »
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, n’a pas tardé à répondre aux critiques de son allié chrétien, dans son discours prononcé dimanche soir en commémoration de l’assassinat de Kassem Soleimani, il y a un an. Sans nommer ni le président ni le CPL, il a lié la souveraineté du Liban à l’œuvre de la résistance et à l’efficacité de son arsenal. « Les aides iraniennes à la résistance ne sont pas du tout conditionnées », a déclaré Hassan Nasrallah avant de souligner que le Liban devrait plutôt « remercier » le commandant iranien Kassem Soleimani. Depuis l’invasion israélienne en 1978, l’ancien chef des gardiens de la révolution « s’est tenu aux côtés du Liban ainsi que pendant les différentes étapes du conflit avec l’État hébreu ». « C’est la résistance qui a aidé le Liban et a protégé ses droits et sa souveraineté », a-t-il encore lancé. « On espère qu’un jour, le Liban sera riche grâce aux hydrocarbures et cela pourra arriver grâce à la résistance et à ses missiles », a ajouté Nasrallah. Le secrétaire général a cependant pris soin de rectifier le tir en cherchant à atténuer l’impact des propos du responsable iranien. Selon lui, les déclarations de celui-ci avaient été « détournées ». Le commandant Amir Ali Hajjizadeh aurait affirmé, lors d’un entretien sur la chaîne al-Manar, que « le Liban et Gaza sont des lignes de front pour lutter contre l’occupation israélienne », et non « des lignes de front pour l’Iran », a-t-il assuré.
Loyauté
Plus tôt dans son discours, le chef de la formation chiite s’est longuement penché sur les questions de loyauté et de fidélité, en parlant de la nécessité de faire preuve de dévouement à Soleimani. Une tirade qui a été interprétée par certains comme une pique lancée par Hassan Nasrallah contre ses alliés chrétiens. « Il n’en est rien », rétorque une source proche du Hezbollah qui estime que le chef du parti répondait de « manière générale et non aux aounistes en particulier ». Selon cette source, il est normal que le chef de l’État et le CPL clarifient leur position face à la campagne de dénigrement qui les avait visés. Une allusion aux réactions du courant du Futur, des FL et des Kataëb dont le chef, Samy Gemayel, a reproché à « la présidence, au gouvernement et au Parlement libanais d’être de “faux témoins” » face aux agissements de l’Iran.
La source proche du Hezbollah a toutefois reconnu l’existence de « divergences » entre le parti chiite et les aounistes, estimant qu’elles sont compréhensibles dans « un contexte aussi difficile ». La source affirme que les deux parties tentent d’y remédier par le biais d’un dialogue destiné à rapprocher les points de vue. Côté iranien, ce n’est certainement pas la première fois que de hauts responsables de la République islamique parlent du Liban comme étant une province iranienne ou un prolongement de l’axe régional de la résistance. Il y a quelques années, en novembre 2017, le principal conseiller de Ali Khamenei, le guide suprême iranien, Ali Akbar Velayati affirmait que « la ligne de résistance part de Téhéran et traverse Bagdad, Damas et Beyrouth pour atteindre la Palestine ». Des responsables iraniens vantaient à la même époque le fait que Beyrouth, Damas, Bagdad et Sanaa étaient des capitales désormais sous influence iranienne. En 2018, Kassem Soleimani évoquait à son tour, à l’issue des législatives libanaises, l’émergence d’« une majorité en faveur de l’Iran ».
Le Courant patriotique libre (CPL) a-t-il décidé de prendre ses distances avec le Hezbollah en 2021 ? Les spéculations vont bon train depuis la polémique qui a opposé les deux partis au cours du week-end. Michel Aoun et le CPL ont vivement réagi à une déclaration d’un haut responsable iranien, Amir Ali Hajjizadeh, qui aurait considéré, samedi dernier, le Liban comme la ligne de front...
commentaires (12)
La vraie cause du conflit c’est que le hezbollah a érigé une statue de Soleimani sur la route de l’aéroport, plutôt qu’une statue de Gendrillon comme l’exigeait le CPL... ça les a fait péter dans l’eau, et donc il y a eu du gaz dans l’eau (et non pas le contraire comme le suggère le titre de cet article)...
Gros Gnon
20 h 23, le 05 janvier 2021